Название | En ballon! Pendant le siege de Paris |
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Автор произведения | Gaston Tissandier |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066090036 |
Le 4 septembre 1870, après un nouveau Waterloo, on espérait un autre 1792! Mais on oubliait que vers la fin du siècle dernier, la Convention, en décrétant la levée en masse pour résister à l'ouragan déchaîné sur nos frontières, avait entre les mains un pays riche en génies illustres, tellement fertile en intelligences, qu'il marchait dans le monde à la tête des sciences et de la philosophie! A cette époque mémorable, en même temps que Carnot organise la victoire, les savants créent toute une industrie nouvelle. Quand il s'agit de faire de la poudre sans le soufre de Sicile, sans le salpêtre de l'Amérique, des inventeurs se lèvent à l'appel du pays; ils ont du soufre qu'ils viennent d'extraire des pyrites, ils produisent du salpêtre, dont ils ont trouvé les éléments dans les vieilles murailles, dans la poussière des écuries. Nicolas Leblanc jette les bases de la fabrication de la soude artificielle, Chappe crée le télégraphe aérien qui, en quelques minutes, envoie des ordres aux armées. L'industrie, privée par le blocus des matières premières indispensables à la confection des armes, à la préparation de la poudre, au travail des manufactures, se régénère, se transforme pour sauver la nation, et pour donner naissance en même temps aux étonnantes opérations de nos usines modernes. La science française du XVIIIe siècle prépare les premiers triomphes de Valmy et de Jemmapes!--Quel abîme, hélas! sépare cette France de 1792 d'avec celle de 1870!
Puissent les grands exemples d'un tel passé nous servir d'enseignements; puissent les illustres génies du XVIIIe siècle, trouver bientôt des successeurs! Puisse la chimie rencontrer encore des Lavoisier, des Fourcroy, des Berthollet, des Guyton de Morveau, les sciences naturelles des Cuvier, des Buffon, des Jussieu, des Geoffroy Saint-Hilaire; les mathématiques et l'astronomie, des Monge, des Laplace, des Lagrange; la géographie des Bougainville et des Lapérouse; la philosophie, des Montesquieu, des Voltaire, des Rousseau et des d'Alembert!
Puissent enfin les aérostats trouver d'autres Montgolfier, de nouveaux Charles et de nouveaux Pilâtre!
G.T.
PREMIÈRE PARTIE
Août 1871. LE CÉLESTE ET LE JEAN-BART
I
Paris investi.--Les ballons-poste.--L'aérostat le Céleste.--Lâchez tout!--L'ascension.--Versailles.--La fusillade prussienne.--Les proclamations.--La forêt d'Houdan.--Les uhlans.--Descente à Dreux.
30 septembre 1870.
Les historiens qui raconteront les drames du siège de Paris se chargeront de juger les crimes de l'Empire, ses négligences inouïes, ses oublis insensés; ils diront que la capitale du monde, à la veille d'être cernée par l'ennemi, n'avait pas un canon sur ses remparts, pas un soldat dans ses forts. Mais ce qu'ils ne manqueront pas d'affirmer, c'est que les habitants de Paris, en traversant ces heures les plus néfastes de leur histoire, puisaient comme une nouvelle force dans les malheurs qui venaient de frapper la France, sans pitiés sans relâche; c'est que leur énergie semblait croître en raison directe des dangers qui les menaçaient.
Quand, le 15 septembre, les journaux annoncent que les uhlans sont signalés aux portes de Paris, le public accueille cette nouvelle avec le sang-froid qui dénote la résignation. On sent que quelque chose de terrible est menaçant, que des événements uniques dans les annales des peuples vont se produire; il y a dans l'air des nuages épais, précurseurs d'une tempête horrible; mais on envisage l'avenir sinon sans émotion, du moins sans défaillance ni faiblesse. Tous les coeurs vibrent à l'unisson au sentiment de la Patrie en danger.
Rien n'est prêt pour la défense; il faut tout faire à la fois et en toute hâte. Chaque enfant de Paris, entraîné par un irrésistible élan, veut avoir sa part de travail dans l'oeuvre commune. Les architectes, les ingénieurs remuent la terre des bastions; les chimistes préparent des poudres fulminantes et des torpilles; les métallurgistes fondent des canons et des mitrailleuses, tous les bras s'arment de fusils.
Mais au milieu de cette effervescence, une question de premier ordre, question vitale, s'il en fut, vient s'imposer à l'administration. En dépit des affirmations du génie militaire, les Parisiens sont bel et bien bloqués dans leurs murs. Quelques courriers à pied franchissent d'abord les lignes ennemies, mais bientôt, d'autres reviennent consternés, ils n'ont pas rencontré un sentier sur quelque point que ce fût, où le «qui vive» ennemi ne les ait contraints de rebrousser chemin. M. de Moltke a résolu ce problème inouï: investir une ville de deux millions d'habitants, faire disparaître sous un cordon de baïonnettes, la plus immense place forte de l'univers. La capitale du monde se laissera-t-elle emprisonner vivante dans un tombeau? Lui sera-t-il interdit de parler à la France, de communiquer au dehors son énergie, sa foi, son courage, d'avouer ses déceptions, ses faiblesses, ses inquiétudes, d'affirmer ses joies, sa force et ses espérances? Ne pourra-t-elle pas protester à haute voix contre un bombardement barbare, contre un assassinat monstrueux de femmes et d'enfants? L'ennemi tiendra-t-il au secret une des plus grandes agglomérations humaines, sous l'inflexible vigilance d'une armée de geôliers? Arrivera-t-il à tuer la France en étouffant la voix de Paris?
Il allait être donné à l'une des plus grandes découvertes de notre génie scientifique, de déjouer les projets de nos envahisseurs. Les aérostats si oubliés, si délaissés depuis leur apparition, ces merveilleux appareils sortis tout d'une pièce du cerveau des Montgolfier et des Charles, allaient tout à coup reparaître, pour contribuer à la défense de la Patrie, en lui portant par la voie des airs, l'âme de sa capitale. Les aéronautes, plus audacieux que l'ancien monarque de Syrie, se préparaient à franchir le cercle d'un nouveau Popilius!
Sans les ballons, pas une lettre ne serait sortie de l'enceinte des forts, pas une dépêche n'y serait rentrée. Les portes ne se seraient ouvertes qu'au mensonge, à la ruse, à l'espionnage. Un silence de cinq mois n'eût pas été possible. La grande métropole, baillonnée, aurait vite fait entendre un murmure de détresse, puis un cri de grâce! Car n'oublions pas que les aérostats n'ont pas seulement emporté les dépêches parisiennes, ils ont emmené avec eux les pigeons voyageurs, qui devaient rentrer dans les murs de la capitale cernée. Les missives du dedans ont pu recevoir ainsi les réponses du dehors. Tours a entendu Paris, Paris a entendu Tours. L'Attila des temps modernes, qui avait écrasé des armées, bombardé des villes, décimé des populations entières, s'est trouvé impuissant devant l'aérostat qui traversait les airs, comme devant l'oiseau qui fendait l'espace!
Le premier départ aérien s'exécuta le 23 septembre; Jules Duruof s'élève en ballon du la place Saint-Pierre à 8 heures du matin. Deux aérostats le suivent dans les airs, le 25 et le 26 du même mois. Mon frère et moi, qui avons fait, les années précédentes, un grand nombre d'ascensions en artistes et en amateurs, nous offrons nos services à M. Rampont. Paris, disons-nous, peut perdre deux soldats pour gagner deux courriers aériens. Les gardes nationaux ne manquent pas ici, mais les aéronautes sont rares.
Le jour même du départ de Louis Godard, un des administrateurs de la Poste m'appelle auprès de lui.
--Vous êtes prêt à partir en ballon, me dit-il.
--Quand vous voudrez.
--Eh bien! nous comptons sur vous demain matin à 6 heures, à l'usine de Vaugirard; votre ballon sera gonflé, nous vous confierons nos lettres et nos dépêches.
Le 30 septembre, à 5 heures du matin, je pars de chez moi avec mes deux frères qui m'accompagnent. J'arrive à l'usine de Vaugirard, mon ballon est gisant à terre