En ballon! Pendant le siege de Paris. Gaston Tissandier

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Название En ballon! Pendant le siege de Paris
Автор произведения Gaston Tissandier
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066090036



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de la terre et au-dessus de la mer[1]. Mais là se bornent,--en plaçant à part, comme ayant une importance exceptionnelle, l'exploitation du ballon captif de l'Exposition, et en faisant mention de quelques autres ascensions d'aéronautes forains,--l'histoire des ballons dans ces dernières années. Était-ce assez de ces efforts isolés? Que pouvait-on faire, abandonné à soi-même, rencontrant pour ses expériences de nombreux obstacles, n'ayant souvent à sa disposition qu'un matériel insuffisant ou en mauvais état?

      [Note 1: Consulter à ce sujet le volume des Voyages aériens, publié par la librairie Hachette, et contenant le récit des ascensions de MM. Glaisher, Flammarion, W. de Fonvielle et G. Tissandier.]

      Toutefois nous ne cessions de répéter, sans avoir l'ambition ni la prétention d'être des révélateurs, que l'aérostation est un art trop séduisant, trop admirable, pour qu'il ne soit pas sans cesse étudié, cultivé, pour qu'il ne s'entoure pas de nombreux et fervents adeptes. Nous disions qu'il faut s'élancer dans les airs pour faire progresser la navigation aérienne, que c'est un mécanicien qui a trouvé les organes de la machine à vapeur, un physicien qui a inventé le télescope, et que l'aéronaute seul, le praticien qui a appris à connaître l'outil qu'il veut améliorer, soulèvera quelque jour le coin du voile sous lequel est cachée la solution du grand problème! Nous affirmions que les excursions dans l'atmosphère offrent à l'artiste des spectacles imposants, des scènes sublimes, des tableaux grandioses où la nature se révèle dans toute sa grandeur, dans son imposante majesté; fournissent au savant des sources d'étude intarissables, bien propres à éveiller son esprit, à le conduire à la découverte des lois inconnues qui régissent les mouvements de l'atmosphère, qui commandent le mécanisme de la météorologie. Nous tâchions de faire comprendre que c'est en s'aventurant dans les plages aériennes que les aéronautes fonderont la véritable science de l'air, comme c'est en s'élançant sur la cime des vagues, que les navigateurs ont créé la science de l'Océan. Mais l'exemple des touristes aériens ne trouvait pas d'imitateurs; à leur grand regret, nul rival ne se présentait à eux dans les hautes régions de l'air; aucun savant ne voulait risquer sa fortune dans l'empire d'Eole!

      Plus tard, nous attirions l'attention sur l'importance de l'organisation d'un corps d'aérostiers pour les observations militaires; huit mois avant la guerre, nous écrivions les lignes suivantes: «L'Ecole aérostatique de Meudon, supprimée dans un moment de mauvaise humeur, ne devrait-elle pas être reconstituée? Attendra-t-on qu'une guerre éclate pour former des aéronautes, pour improviser des ballons? Ce serait une imprudence, une folie des plus grandes, car dans notre siècle, les guerres vont vite, et le sort d'un empire pourrait bien avoir été décidé pendant qu'on ajusterait ensemble les fuseaux d'un ballon[2]!» Mais les paroles le plus sensées n'entrent pas dans les oreilles volontairement fermées.

      [Note 2: Voyages aériens, page 556.]

      Comment se rappeler sans un bien légitime étonnement que la France, la véritable patrie des ballons, n'a jamais compté depuis Coutelle, c'est-à-dire depuis 1794, la moindre école aérostatique où des appareils bien confectionnés auraient été mis à la disposition des explorateurs audacieux, vraiment épris de la navigation aérienne; que l'Observatoire de Paris, dont le devoir est d'étudier les éclipses, les averses d'étoiles filantes, n'a jamais eu l'idée, depuis Arago, de recourir aux nacelles aériennes pour faciliter les études de ce genre? Comment expliquer le dédain des généraux de l'Empire pour les aérostats militaires, qui avaient été si efficacement employés, sous la première République, et pendant la guerre d'Amérique?

      Les infortunés ballons semblaient être les parias du monde scientifique et administratif! Les aéronautes qui avaient la passion des aventures de l'air, ceux qui avaient la foi, rencontraient bien,--il y aurait ingratitude à l'oublier,--quelques précieux appuis de la part d'hommes éminents et éclairés, mais c'était pour ainsi dire à l'état d'exception. Quand ils osaient demander d'utiliser le ballon l'Impérial, pour faire des expériences sérieuses et privées, le ministre de la Maison de l'Empereur se gardait bien de confier à qui que ce fût le matériel aérostatique de l'Empire; il préférait le laisser moisir, sans soin, sans nulle surveillance, dans les greniers du Garde-Meuble[3].

      [Note 3: Parmi les ballons qui existaient à Paris en septembre 1870, l'Impérial est le seul qui n'ait pu être utilisé pendant le siège. C'est en vain qu'on essaya de le réparer. Cet aérostat était tombé en lambeaux; il avait coûté 30,000 fr.]

      Les aérostats, malgré leurs imperfections, sont aujourd'hui les seuls appareils, ne l'oublions pas, qui nous permettent de rivaliser avec l'oiseau, de sillonner l'étendue de l'atmosphère, de quitter le plancher terrestre, où, sans eux, nous serions impitoyablement attachés; ils étaient à la veille de périr faute de culture. Sans l'inventeur des ballons captifs à vapeur, qui avait toujours quelques ballons dans son hangar, comme d'autres ont des chevaux dans leur écurie, sans quelques aéronautes, qui malgré leurs modestes ressources, construisaient de temps en temps des ballons, personne ne se serait préoccupé de cette grave et importante question de la navigation dans l'air; l'aérostat passait peu à peu à l'état de bric-à-brac, et nos fils en eussent parlé un jour comme du feu grégeois ou de l'émail italien.

      Voilà jusqu'où était tombée l'aéronautique sous le second Empire. Le gouvernement ne voulait rien faire pour encourager les études aériennes; ici comme ailleurs, l'initiative privée, quand elle avait l'audace de se montrer, était vite écrasée sous les obstacles qu'on ne manquait pas de lui opposer. Une des plus grandes découvertes de notre génie scientifique allait peut-être s'éteindre dans la France même; on aurait laissé à des étrangers le soin de faire croître ce germe que les Montgolfier avaient semé sur le champ des découvertes.

      Il a fallu que les Prussiens viennent nous écraser, nous faire sortir de notre torpeur; il a fallu que la première métropole du monde soit investie, cernée, bloquée par les innombrables légions des barbares modernes, pour que l'on s'aperçoive enfin que les ballons valent bien la peine d'être gonflés! Après les immenses services qu'ils ont rendus à la patrie, est-il permis de croire qu'ils ne seront plus délaissés d'une façon vraiment coupable? Est-il permis d'espérer que le gouvernement protégera sérieusement les études aériennes, que nos sociétés savantes s'en préoccuperont d'une manière efficace?

      On ne manquera pas de trouver dans cet ordre d'idées de nombreux prosélytes; la navigation aérienne a toujours eu le privilège d'émouvoir et d'intéresser le public. Ce ne sont pas les hommes de bonne volonté qui feront défaut pour un tel genre d'investigation, car, comme nous le disait avec esprit un des plus illustres savants de l'Angleterre: «Le Français est essentiellement aéronaute; son caractère aventureux, un peu volage, est bien fait pour cet art merveilleux, où l'imprévu joue un si grand rôle.»

      En effet, les questions aérostatiques ont toujours eu en France le privilège de passionner le peuple, et ce fait offre une importance réelle, car il y a, au-dessus des appréciations de la science, au-dessus de l'avis des hommes du métier, il y a quelque chose d'indéfinissable qu'on appelle l'opinion publique. Rarement elle s'égare dans les jugements qu'elle porte instinctivement sur les problèmes de ce genre, et nul ne peut nier qu'elle n'accorde aux ballons une large part d'admiration. Le peuple, le public, si vous voulez, aime les ballons, comme il admire une oeuvre d'art, comme il écoute un opéra des maîtres; dans un musée, sans être peintre, le public marque du doigt le chef-d'oeuvre; sans être écrivain, il trouve le bon livre; sans être savant, il sait flairer les grandes découvertes dans les choses de la science. Malgré les hommes spéciaux qui dénigrent à sa naissance le gaz de l'éclairage, il accourt aux expériences de Philippe Lebon, et les impose à l'administration; il applaudit à l'apparition des chemins de fer, en dépit des savants qui les dénigrent. Or, nous le répétons, il aime les aérostats, il PRESSENT qu'il y a là un inconnu plein de mystère, mais plein d'espérance, il CROIT à la navigation aérienne. L'avenir donnera raison à l'intuition populaire, à ce que l'auteur latin appelle «vox populi

      Que de progrès à rêver; que de perfectionnements à entrevoir dans l'aéronautique comme dans toutes les branches du savoir humain! Mais la science est un sol qui, quoique fertile, ne donne une ample moisson