Название | En ballon! Pendant le siege de Paris |
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Автор произведения | Gaston Tissandier |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066090036 |
En descendant sur la place, plus de cinquante personnes m'invitent à déjeuner, mais j'ai déjà accepté l'hospitalité que m'a gracieusement offerte le propriétaire de la voiture. Mon hôte a lu par hasard mon nom sur ma valise, il a reconnu en moi un des voisins de son associé de la rue Bleue. Je mange gaiement, avec appétit, et je me fais conduire au bureau de poste avec mes sacs de lettres parisiennes.
Je les pose à terre, et je ne puis m'empêcher de les contempler avec émotion. Il y a sous mes yeux trente mille lettres de Paris. Trente mille familles vont penser au ballon qui leur a apporté au-dessus des nuages la missive de l'assiégé!
Que de larmes de joie enfermées dans ces ballots! Que de romans, que d'histoires, que de drames peut-être, sont cachés sous l'enveloppe grossière du sac de la poste!
Le directeur du bureau de poste entre, et parait stupéfait de la besogne que je lui apporte. Je vois son commis qui ouvre des yeux énormes en pensant aux trente mille coups de timbre humide qu'il va frapper. Il n'a jamais à Dreux été à pareille fête. On en sera quitte pour prendre un supplément d'employés; mais la besogne marchera vite: le directeur me l'assure. Quant au petit sac officiel, je vais le porter moi-même à Tours, par un train spécial que je demande par télégramme.
Qu'ai-je à faire maintenant? A lancer mes pigeons pour apprendre à mes amis que je suis encore de ce monde, et pour annoncer que mes dépêches sont en lieu sûr. Je cours à la sous-préfecture, où j'ai envoyé mes messagers ailés. On leur a donné du blé et de l'eau, ils agitent leurs ailes dans leur cage. J'en saisis un qui se laisse prendre sans remuer. Je lui attache à une plume de la queue ma petite missive écrite sur papier fin. Je le lâche; il vient se poser à mes pieds, sur le sable d'une allée. Je renouvelle la même opération pour le second pigeon, qui va se placera côté de son compagnon. Nous les observons attentivement. Quelques secondes se passent. Tout à coup les deux pigeons battent de l'aile et bondissent d'un trait à 100 mètres de haut. Là, ils planent et s'orientent de la tête, ils se tournent vivement vers tous les points de l'horizon, leur bec oscille comme l'aiguille d'une boussole, cherchant un pôle mystérieux. Les voilà bientôt qui ont reconnu leur route, ils filent comme des flèches... en droite ligne dans la direction de Paris!
II
Le gouvernement de Tours.--Les inventeurs de ballons.--Projet de retour à Paris par voie aérienne.--Confection d'un ballon de soie.--Voyage à Lyon.--Les nouveaux débarqués du ciel.-- Ascension du Jean-Bart.
Du 1er au 15 octobre.
Faire le récit de mon voyage en chemin de fer de Dreux à Tours, par Argentan, par le Mans; dire que dans toutes les gares j'étais reçu comme le Messie tombé du ciel, questionné toujours, partout, et que les curieux m'ont empêché de fermer l'oeil un seul instant pendant mon voyage nocturne, n'offrirait pas grand intérêt. Je préfère arriver tout de suite à Tours où je suis rendu le 1er octobre à sept heures du matin. Mais Tours n'est plus Tours; ce n'est plus la ville paisible et calme que j'ai connue jadis; où les affaires s'élaboraient tranquillement et sans bruit.
Les touristes et les flâneurs ont cessé de s'y donner rendez-vous; les commis-voyageurs ne s'y rencontrent plus dans les hôtels. Tours est animé, regorge de monde; c'est la seconde capitale de France; aussi m'est-il complètement impossible d'y trouver un traversin pour y reposer mes deux oreilles.
Je fais un somme léger sur un divan de l'hôtel de la Boule-d'Or, et l'après-midi se passe en visites officielles. J'ai une longue entrevue avec l'amiral Fourichon, qui m'explique comment il n'a pas encore envoyé de troupes au secours de Paris; je lance sur le pont de Tours mon beau pigeon à tête brune, porteur d'une dépêche chiffrée; je vois M. Steenackers, M. Laurier, qui m'affirme qu'il a beaucoup de poigne, et que la France sera sauvée par son ministère; je vois M. et Mme Crémieux, M. Glais-Bizoin, qui me prend pour un député de la droite, et me fait un discours d'une heure. Je suis présenté le soir au conseil des ministres, et sans être ni médisant, ni méchante langue je ne puis m'empêcher de dire que je ne vois nulle part le Carnot qui sauvera la France... Mais je n'ai pas la prétention ni l'autorité propres à juger les hommes et les choses.
La politique n'est pas mon affaire, j'ai rempli ma mission, remettant à chacun les lettres qu'on m'a confiées, répétant de mon mieux tout ce que j'avais à dire; j'ai résolu pendant la guerre d'être aéronaute. Revenons à nos ballons!
Quel pouvait être le désir le plus ardent d'un Parisien sorti de Paris au-dessus des nuages, c'était de revenir par le même chemin. On avait organisé à Tours une commission scientifique chargée d'examiner, d'étudier la possibilité de semblables projets; aussi, les trois aéronautes qui m'ont précédé et moi, nous sommes immédiatement appelés à donner notre avis à ce sujet. MM. Marié Davy de l'Observatoire, M. Serret de l'Institut et les autres membres qui pendant la durée de la guerre ont contribué à faire naître un grand nombre d'idées utiles et fructueuses, nous parlent d'abord de la nuée de mémoires, de projets qu'ils reçoivent des quatre coins de la France. Les inventeurs se sont montrés très-nombreux, mais peu sérieux. Quels rêves insensés; quelles utopies, quelles bouffonneries!
Je n'oublierai jamais le monsieur qui voulait faire revenir à Paris un convoi de cent mille montgolfières, portant cent mille bêtes à cornes, et celui qui voulait atteler deux mille pigeons à un aérostat, et des centaines d'autres inventeurs qui voulaient diriger les ballons avec des voiles latines, des phoques et des mâts, comme un navire. Quant aux mémoires sur les ballons-poissons, les ballons-bateaux, les ballons-oiseaux, on en formerait dix encyclopédies. Pour ma part je suis obsédé par les inventeurs qui me proposent les merveilles de leurs conceptions. L'un d'eux surtout me poursuit, il veut munir les ballons d'une grande voilure de son système.
--Mais, monsieur, je ne veux pas vous écouter, il n'y a pas de vent en ballon, vos voiles ne seront jamais gonflées.
--Ah! voilà bien comme sont les hommes du métier, vous chassez, sans même l'écouter, le génie incompris. J'ai déjà fait une grande invention, mais l'humanité m'a repoussé. C'était du papier à cigarette fabriqué avec la racine même du tabac. Personne n'en a voulu.
Je me sauve, et je cours encore!
Le plan que nous nous proposons de tenter pour rentrer dans Paris par la voie des airs n'exige pas des efforts d'intelligence bien extraordinaires. C'est celui auquel se sont arrêtés tous les praticiens sensés. Voici en quoi il consiste, dans toute sa simplicité:
On va envoyer des ballons et des aéronautes à Orléans, à Chartres, à Evreux, à Dreux, à Rouen, à Amiens, dans toutes les villes non occupées par l'ennemi, dans toutes celles qui sont proches de Paris, et où le gaz de l'éclairage ne fait pas défaut.
Chaque aéronaute aura une bonne boussole, et, connaissant l'angle de route vers Paris, observera les nuages tous les matins au moyen d'une glace horizontale fixe où sera tracée une ligne se dirigeant au centre de Paris. Quand il verra les nuages marcher suivant cette ligne, c'est-à-dire quand la masse d'air supérieure se dirigera sur Paris, il gonflera son ballon à la hâte, demandera à Tours, par le télégraphe, des instructions, des dépêches, et il partira. Son point de départ est à vingt lieues de Paris environ; il va chercher une ville qui, en y comprenant les forts, offre une étendue de plusieurs lieues; n'a-t-il pas bien des chances de la rencontrer dans ces circonstances spéciales? S'il passe à côté, il continuera son voyage et descendra plus loin, en dehors des lignes prussiennes. Quand le vent sera du nord, le ballon d'Amiens pourra partir; lorsqu'il soufflera du sud ou de l'ouest, les aérostats d'Orléans et de Dreux se trouveront prêts. Avec une douzaine de stations échelonnées sur plusieurs lignes de la rose des vents, les tentatives seront nombreuses.
L'une d'elles aura de grandes chances de succès, surtout si la persévérance ne fait pas défaut, et si l'on ne craint