L'automne d'une femme. Marcel Prevost

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Название L'automne d'une femme
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084851



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Aujourd'hui, grande fille, à dix-sept ans, elle ne s'essuyait plus les joues, mais elle restait d'apparence sérieuse, concentrée, parlant peu, jalouse de sa pensée, comme intéressée par un rêve intérieur, par un secret où elle ne souhaitait point de participant.

      En ce moment, attentive, elle regardait Julie.

      —Comme vous êtes belle! dit-elle.

      —Tu trouves?image

      Mme Surgère se regarda et pensa:

      «Elle a raison, je suis belle.»

      Sur ses joues, en larmes tout à l'heure, s'était posé de nouveau ce masque que l'habitude mondaine met aux plus sincères, ce masque nécessaire qui ne laisse rien transparaître de l'intérieure physionomie de l'âme, ni chagrin, ni peur, ni tendresse, rien.

      —Et toi aussi, tu es belle, fit-elle en parcourant la jeune fille du regard. Pour rester jolie, ainsi fagotée...

      L'enfant rougit.

      —Tu seras ravissante quand nous t'habillerons. Toujours pour février la sortie définitive?

      —Pour le commencement de mars... oui.

      —Cela te fait plaisir?

      Elle eut une moue incertaine. Bien vrai, sondant son cœur, elle n'y rencontrait aucun désir précis. Combien de jeunes filles renonceraient volontiers à connaître le monde, pour ne pas quitter le cher asile de leur enfance! Claire apercevait seulement, en cette sortie du couvent, un moyen de voir plus souvent quelqu'un qu'elle avait à la fois le désir et la crainte de rencontrer. Mais cela, c'était son secret.

      Elle déclara, du ton décidé d'une femme qui comprend et accepte à l'avance son rôle dans la vie:

      —Plaisir ou non, il le faut, n'est-ce pas?

      La femme de chambre entrait discrètement:

      —Madame, fit-elle, l'Allemande Hélo me dit que Monsieur est en bas avec M. Esquier et qu'il s'impatiente.

      —Vite, Mary, un mouchoir... Claire, va prévenir Maurice qu'il descende. Il est dans le salon mousse.

      Un peu de sang bistra la peau blanche de Claire. Elle hésita.

      —Nous le préviendrons en passant, dit-elle.

      Elles étaient prêtes; elles quittèrent la chambre, se tenant la main. Devant le salon mousse, Mme Surgère poussa la porte entre-bâillée:

      --- Maurice, on dîne!

      Elle semblait parfaitement calme, rassérénée par la présence de Claire.

      Maurice se montra aussitôt. Elle ne put se défendre de l'envelopper d'un regard tendre qui la transfigurait, d'un regard d'amoureuse irrassasiée, souhaitant d'un seul coup boire tout l'être aimé... Petit et mince, extrêmement beau, Maurice semblait, tant le type de son visage s'imprégnait d'exotisme, quelque prince arabe vêtu à la dernière façon de Londres. Son teint mat s'avivait au noir luisant de ses cheveux, de sa moustache, de sa barbe légère; mais deux yeux admirables, aux prunelles d'ambre clair, donnaient à ce visage d'Oriental la mobilité, l'inquiétude, la nervosité de l'Occident... C'était un de ces hommes qui font à la fois envie et peur aux femmes, et qui dans leur vie sont destinés à plus d'admirations que d'aventures.

      L'air préoccupé, mécontent, il salua Mme Surgère, sans répondre d'un sourire à son sourire.

      —Vous vous êtes bien amusée, cette après-midi? fit-il.

      Le ton de cette phrase condensait toute la rancune gardée à son amie d'avoir refusé de l'emmener avec elle, aujourd'hui, et refusé même d'avouer où elle allait.

      Elle répondit:

      —Mais non!—Vous savez bien que j'avais des courses ennuyeuses...

      Il ne dit plus rien et suivit les deux femmes. Comme ils atteignaient la porte de la salle à manger, Claire les précéda; Maurice saisit la main de Mme Surgère, il la serra d'une pression qui signifiait:

      «N'importe. Je ne vous en veux pas. Je vous aime.»

      Elle n'eut pas le temps de répondre; Esquier venait à elle, et lui disait d'une voix bourrue et souriante:

      —Eh bien! eh bien! qu'est-ce qu'on fait donc là-haut, les trois enfants? Nous allions dîner au cabaret, un peu plus, Surgère et moi.

      Son grand corps, vêtu d'étoffes fines, coupées à son goût et hors de toute mode, barrait l'entrée, un corps robuste et pourtant un peu ployé par la vie, une tête bonne, intelligente et ravagée, avec des prunelles bleues d'enfant, avec des cheveux blonds et gris mêlés, très fins, qui semblaient flamber sur sa tête, une flamme plus drue et plus haute au milieu du front...

      —C'est ma faute, déclara Mme Surgère, c'est moi qui suis rentrée en retard.

      Et passant de l'autre côté de la table, tandis que Maurice serrait la main d'Esquier, elle gagna le fauteuil roulant de M. Surgère.

      Servi par une Allemande nommée Hélo, il ne quittait jamais ce fauteuil, même lorsqu'il voyageait entre Luxembourg et Paris. L'atroce maladie de la moelle dont il souffrait avait, en trois ans, raccorni, réduit aux proportions d'un enfant sa stature vigoureuse de sportsman vétéran. Julie l'embrassa légèrement sur le front, parmi les mèches blanches, nombreuses, mêlées aux boucles restées noires de ses cheveux. Lui ne dit rien. Ses yeux seuls remuèrent, car sa tête ne pouvait bouger sans souffrance.

      Tout le monde s'assit, Esquier à droite de Mme Surgère, Maurice en face, Claire entre les deux, faisant vis-à-vis au groupe de Hélo et de M. Surgère.

      Le dîner fut morne. Claire parlait peu. Elle se rendait compte que n'étant pas encore entrée dans la vie, elle ne dirait rien d'utile ni de nouveau sur des gens, sur des choses qu'elle connaissait mal.—Julie, sentant les yeux de Maurice fixés sur elle, avait trop à faire de maîtriser son émotion, pour risquer de la trahir par l'embarras de ses paroles. Quant à Antoine Surgère, il ne parlait jamais à table. L'Allemande Hélo l'aidait à manger, comme un enfant; à peine pouvait-il porter les aliments à sa bouche demi-inerte.

      Seuls, Esquier et Maurice Artoy causèrent un peu; le premier s'efforçant de rompre par l'exorcisme des mots ce sort de tristesse qui pesait sur la table, l'autre afin de se tromper, se distraire, d'affecter l'indifférence vis-à-vis de Julie. Car sa rancune pour la mystérieuse absence de l'après-midi, bien qu'atténuée, ne désarmait pas. Et Julie le voyait bien.

      Comme elle se sentait reprise à lui, déjà, reconquise par son désir de lui plaire, et de ne pas lui causer de chagrin, surtout!... Elle le regardait: une tiédeur amollissante l'envahissait, à le voir de si près, si charmant. Il était son enfant et son maître, quelque chose de redoutable et de faible, qu'elle avait besoin d'adorer et de protéger. Elle le contemplait et le trouvait beau. Pourtant, sous la grande lumière des lampes à flamme double, voici qu'il paraissait plus âgé que tout à l'heure, dans la pénombre de l'escalier, plus âgé même que ses vingt-cinq ans. Les cheveux, longs sur les tempes, se clairsemaient au sommet de la tête; une ride transversale creusait le front; d'autres, plus menues et sans nombre, griffaient en étoile les deux coins des yeux. La bouche était décolorée; les dents, parfaitement blanches, laissaient voir de nombreuses piqûres d'or. C'était un de ces visages de jeune homme que la moindre inquiétude, que le premier excès vieillit de dix ans en une nuit...

      Quand il avait, comme aujourd'hui, «ses nerfs» et que Claire était là, il les «passait» sur elle, raillant sa toilette, ses travaux, ce qu'elle apprenait au couvent,—pour quoi il professait du mépris,—s'efforçant de découvrir aux rares paroles qu'elle prononçait un sens enfantin ou ridicule. Claire ne se fâchait pas, ne ripostait pas à cette escrime, se contentait de ne pas répondre, ce qui faisait tomber les mots de Maurice. Parfois pourtant, elle rougissait, et l'on voyait