L'automne d'une femme. Marcel Prevost

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Название L'automne d'une femme
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084851



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d'œil sur l'éphéméride suspendu au mur... C'est aujourd'hui le premier mercredi du mois, la sortie des pensionnaires de Sion.

      Il toussa, puis reprit, jouant avec un coupe-papier:

      —C'est une bien aimable personne: je puis le dire, puisque j'ai eu le plaisir de faire sa connaissance quand j'ai prêché une retraite à Sion. Très droite, très courageuse. Ce sera une grande chrétienne dans la vie. Elle est un peu votre parente, n'est-ce pas?

      Mme Surgère rougit.

      —Non. Claire est la fille de M. Jean Esquier, justement, ce grand monsieur, l'associé de mon mari. Nous sommes de très vieux amis, pas des parents.

      Elle avait laissé glisser son manteau sur le dossier de sa chaise, envahie par la chaleur douillette de la chambre. Il y eut un court silence... L'abbé et la mondaine cherchaient un accès vers le vrai entretien demandé par elle, attendu par lui.

      Mais cette fois encore ils ne trouvèrent point. L'abbé dit seulement, riant comme d'un propos spirituel:

      —Alors, vous êtes tout à fait en famille, ce soir, place Wagram?

      —Tout à fait, répondit Mme Surgère...

      Elle hésita un instant, puis dit précipitamment:

      —Nous avons même un nouvel hôte en ce moment, Maurice Artoy, M. Maurice Artoy, le fils de l'ancien directeur de la Banque de Paris et de Luxembourg.

      —Celui qui s'est...?

      —Oui... celui qui s'est suicidé.

      —Et le pauvre jeune homme habite avec vous? fit l'abbé en marquant l'étonnement.

      —Oh! non. Il habite le pavillon du fond avec M. Esquier.

      Toutes sortes de lueurs passèrent dans les yeux innocents de Mme Surgère. Elle sentait rivé sur elle le regard de l'abbé, condensé pour ainsi, dire par les lunettes. Lasse de se contraindre, son inquiétude, son chagrin, ses remords remontèrent de son cœur à ses lèvres et à ses yeux; sans un sanglot, elle s'appuya du coude au coin du bureau, et fondit en pleurs. L'abbé Huguet la laissa pleurer quelques minutes. Il l'observait, il réfléchissait. Comme il les connaissait, les pauvres âmes de ces Parisiennes, ballottées par la houle des compromissions et des lâchetés ambiantes, sans fond solide où ancrer leurs résistances! Il connaissait cette âme-ci particulièrement, étant le confident en titre de ses menues fautes, et il l'aimait parce qu'elle se reflétait vraiment dans l'innocence et la tendresse de ces beaux yeux.

      Mme Surgère ne sanglotait pas, ne remuait pas. Même son visage, que sa main laissait à demi découvert, à la lueur de la lampe, était à peine rougi par les pleurs.

      L'abbé Huguet se leva, se pencha, et mettant sa main sur le bras de la jeune femme:

      —Qu'y a-t-il, mon enfant? Vous souffrez?

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      Déjà il tirait d'un tiroir un flacon de cristal rose taillé, soulevait la capsule de vieil argent, car son métier de pasteur d'âmes féminines l'avait depuis longtemps muni de tout l'attirail destiné à combattre, à calmer les nerfs des femmes.

      Mais Mme Surgère fit «non» de la tête; elle essuyait ses yeux et souriait déjà.

      —Merci, je vous demande pardon... J'ai si mal aux nerfs depuis quelques jours! Il me semble, à certains moments, que j'ai un poids sur le cœur, une sorte de boule très lourde qui l'écrase, pèse sur lui et se soulève alternativement. Puis cela remonte à ma tête et cela se fond en larmes, comme tout à l'heure.

      L'abbé murmura du ton d'un homme qui attend:

      —Vous avez raison; c'est nerveux.

      Mme Surgère achevait d'essuyer ses larmes. Elle dit:

      —Je voudrais justement, monsieur l'abbé, vous parler à ce sujet.

      La phrase était vague; l'abbé la comprit.

      —Est-ce que vous désirez que je vous entende au saint tribunal?

      —Oh! non. Je veux seulement vous consulter, vous demander conseil... Je suis très troublée en ce moment.

      L'abbé vit que des larmes lui remontaient aux yeux. Il lui prit la main.

      —Voyons, ma chère fille, ayez confiance... Parlez-moi... C'est le confesseur qui vous écoute.

      Et comme pour remplacer le décor absent du confessionnal, de l'église silencieuse et sombre, de la grille qui sépare les visages, il éloigna la lampe, modéra la flamme, appuyant un mouchoir sur sa tempe, cachant ses yeux.

      —Je vous écoute.

      Elle parla, entrant dans son aveu par les voies les plus lointaines, comme font toutes les femmes, s'attardant aux menues circonstances, glissant sur les faits... «Vous savez, mon père, ma situation vis-à-vis de mon mari. J'ai bien souffert autrefois à cause de lui, puis j'ai pris mon parti de la séparation effective... Sa maladie l'a rendue toute naturelle. Nous vivons tranquillement l'un près de l'autre, et la présence de M. Esquier, notre ami à tous deux, amortit les chocs. Ce n'est pas, assurément, le rêve du mariage qu'une jeune fille se forme... mais c'est supportable...»

      Le prêtre doucement l'empêcha de s'égarer.

      —Oui, ma chère fille, je sais tout cela. Eh bien, y a-t-il quelque chose de nouveau dans votre intérieur? Est-ce que M. Surgère a changé d'attitude vis-à-vis de vous? Est-ce que...?»

      Il avait soupçonné un instant l'aveu effaré d'un de ces retours offensifs qu'ont parfois les maris vers leur femme longtemps délaissée: retours plus redoutés de celles-ci que l'abandon et contre lesquels elles recourent tout d'abord à leurs alliés naturels, le prêtre et le médecin.

      Mme Surgère le comprit.

      —Oh! non... fit-elle. Grâce à Dieu, non!... Elle chercha à reprendre ses confidences, puis, ne trouvant plus, elle se résolut brusquement et, rejetant sa figure dans ses mains:

      —C'est, dit-elle... c'est Maurice Artoy, le jeune homme dont je vous ai parlé... le fils de l'ancien associé de mon mari, qui habite le pavillon maintenant...

      Le prêtre pensa:

      «J'avais raison d'abord, décidément.»

      Et pour aider l'aveu, il dit tout haut, avec des pauses, avec cette recherche d'expression où les prêtres excellent:

      —Ce jeune homme, sans doute, vivant près de vous, a été frappé par votre extérieur... sympathique, par votre douceur de caractère, ma chère enfant?... Il vous a entourée, poursuivie de ses attentions...

      Elle le laissait parler, acquiesçant par son silence. Ses larmes séchaient au bord des paupières.

      —Sans doute, continua l'abbé, de cette voix blanche qui démonétise les mots, les émousse, les annule presque, c'est un jeune homme sans principes religieux, que la pensée de l'adultère (il pesa avec intention sur ce mot) ne ferait pas hésiter?

      Elle l'interrompit vivement:

      —Oh! non, mon père! ne dites pas cela... Je vous assure que le pauvre enfant n'est pas coupable!... ou du moins je le suis autant que lui... Mon Dieu! Je ne sais pas comment cela s'est fait. Je l'avais vu plus d'une fois sans prendre garde à lui. Il vivait à Cannes avec sa mère...

      —Une Espagnole, n'est-ce pas? fit l'abbé. Une dame très élégante, toujours malade?

      —Oui; il l'a perdue voilà bientôt deux ans: ça été pour lui le premier coup. Nous ne l'avons pas revu pendant des mois; il s'était enfui en Italie et ne voulait plus revenir. Il est revenu pourtant en février dernier, et presque tout de suite ces affreux événements sont arrivés... la faillite de la banque anglaise où