L'automne d'une femme. Marcel Prevost

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Название L'automne d'une femme
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084851



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mais que faire? Dites-moi ce que je dois faire, mon père, je le ferai...

      Elle était sincère. Les paroles de l'abbé sur la chute possible, sur la déchéance par l'amour, l'avaient épouvantée, comme si on lui eût montré un précipice de boue ouvert devant elle.

      —Il faut éloigner ce jeune homme!

      Elle pâlit; et son émotion fut si violente que ses lèvres se tordirent sans pouvoir prononcer un mot.

      —Vous voyez bien que vous l'aimez déjà! dit l'abbé tristement.

      Elle balbutia, sans oser regarder le prêtre:

      —Mais c'est impossible de l'éloigner, mon père! cela ne dépend pas de moi. Je n'ai aucune autorité sur lui. Et puis, même s'il y consent, quelles raisons donner à mon mari et à M. Esquier, qui désirent le garder à la maison?

      —Aussi n'est-ce pas à M. Esquier ni à votre mari que vous vous adresserez... C'est à ce jeune homme lui-même... Vous lui ordonnerez... vous le prierez de partir.

      —Et s'il ne veut pas?

      —Il voudra, si vous lui parlez d'une certaine façon... Représentez-lui que vous êtes résolue sincèrement, sans aucun artifice de coquetterie, à ne jamais lui céder... que dès lors un rapprochement de toutes les heures ne peut que le faire inutilement souffrir, et que dans l'intérêt de son repos, dans l'intérêt de votre réputation, vous lui demandez...

      —Pauvre enfant! interrompit-elle, la voix obscurcie par les larmes. Que va-t-il devenir quand je lui aurai demandé cela?...

      —Aimez-vous mieux être sa maîtresse? dit l'abbé.

      Le mot la cingla. Elle se redressa:

      —Je le lui dirai!

      Ses yeux lâchèrent impétueusement les pleurs jusque-là contenus: elle pleura à grosses gouttes, à gros sanglots. L'abbé Huguet s'était approché d'elle, image et ne trouvait devant cette grande douleur que ces mots:

      —Ma fille! ma chère fille!

      Quand elle parut un peu apaisée, il lui demanda:

      —Voulez-vous, pour vous fortifier, que je vous donne l'absolution?

      Elle répondit «oui», parmi ses larmes; chancelante, elle alla s'agenouiller sur un prie-Dieu placé près de l'alcôve. L'abbé la suivit et s'assit à côté d'elle.

      —Faut-il me confesser? dit-elle.

      —Non... Vous n'avez rien de particulier à vous reprocher, n'est-ce pas, hors les petites négligences ordinaires et ce que vous m'avez dit?

      —Non, mon père...

      —Eh bien, ma fille, faites votre acte de contrition, je vais vous absoudre...

      Leurs bouches dirent des paroles latines, ensemble, lui de sa voix uniforme de prêtre, elle mouillant ses mots de ses larmes, un tel poids sur le cœur qu'il lui semblait ne pouvoir jamais se relever... Elle se releva pourtant, absoute. Quelque temps elle demeura à se sécher les yeux devant la pieuse gravure qui surmontait le prie-Dieu, et dont la vitre miroitante lui renvoyait son image.

      Le prêtre, pour la laisser réparer son désordre, s'était éloigné et affectait d'écrire, assis à son bureau. Quand elle eut rajusté son manteau, rabattu sa voilette, elle revint vers lui et dit, très vite:

      —Au revoir...

      —À bientôt, chère madame. Mes respectueux souvenirs à tous, chez vous...

      Ils se serrèrent la main. Tandis que l'abbé, resté dans sa chambre douillette, malgré lui cessait d'écrire et réfléchissait, une certitude lui venait de la chute prochaine de cette femme, une certitude confirmée par la fréquente expérience de telles épreuves. Alors à quoi bon ces discours, ces larmes, cette cruelle et loyale comédie de repentirs et de fermes propos?

      Cependant la pénitente, ayant traversé la sacristie et la chapelle sans s'y arrêter, sentait en franchissant la porte de l'église, en remontant dans son coupé qui repartait sous la pluie, une allégeance, une libération, comme une fin de cauchemar, à n'être plus murée dans ce cloître, hypnotisée par ce prêtre. Pourtant elle voulait encore, bien fermement, tenir sa promesse et se déchirer l'âme en éloignant son aimé.

      Oh! ténébreux et troubles, nos cœurs humains, même les plus sincères!

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       Table des matières

      Déja le coupé traversait le pont de l'Europe, incendié par les reflets jaunes et mauves de la gare Saint-Lazare, quand elle s'avisa que vraiment elle était trop émue pour reparaître chez elle, les yeux gonflés, les joues brûlées par les larmes. Baissant la vitre d'avant, elle dit au cocher:

      —Passez chez Moreri, place de l'Opéra.

      Elle s'était rappelé qu'il n'y avait plus de ravioli à l'office, de ces petits gâteaux italiens, faits d'un peu de pâte autour d'une noix de hachis. Car Julie Surgère était une maîtresse de maison bien informée, de celles qui connaissent mieux que leurs gens le service de chacun et peuvent leur en remontrer. Paresseuse aux choses de l'esprit, lente aux conversations mondaines qui l'intimidaient et la troublaient, elle occupait plus volontiers son temps aux soins intérieurs, aux menues besognes des doigts féminins; et elle y excellait, avec beaucoup de bonne humeur et de simplicité.

      Le coupé avait rebroussé chemin, descendant la rue de Londres, traversant la place de la Trinité. Là, il se mit au pas, tant les voitures se pressaient à l'entrée de la Chaussée-d'Antin; même il dut stationner quelque temps, juste sous le transparent où on lisait en lettres noires: Banque de Paris et de Luxembourg. Julie avait vécu là les vingt-deux années qui suivirent son mariage. Maintenant, les directeurs ayant installé place Wagram leur domicile particulier, le personnel occupait toujours les bureaux de l'ancien immeuble... Le cheval repartit, au pas. Par les vitres hachurées d'eau, Mme Surgère regardait Paris, l'amusant Paris des jours de pluie.

      Depuis plusieurs mois qu'ils sortaient ensemble, en voiture, presque chaque jour, Maurice lui avait appris à observer cette physionomie mobile, divertissante et émouvante de Paris; et désormais il n'était guère de coin familier à ces courses quotidiennes, qui ne lui rappelât les mots du jeune homme devant les rues, les maisons, les gens près desquels elle passait naguère indifférente, comme sans les voir. Vraiment, à l'heure présente, il lui semblait qu'elle les voyait avec les yeux de Maurice. L'esprit de Maurice, plus alerte, avait peu à peu occupé tous les chemins, toutes les issues de son propre esprit; si bien que la Ville et la vie lui semblaient autres aujourd'hui, intéressantes comme jamais, plus nouvelles même que du temps où, petite fille, on l'avait menée pour la première fois hors de son Berry natal. C'est qu'en toute chose, à présent, elle voyait le cher ami, elle voyait Maurice. En toute chose elle se sentait faire pour lui comme un acte de tendresse, et c'était divin, cette possession par une idée unique, qui pour la première fois emplissait son cœur puéril et maternel.

      Elle s'enlisait dans le souvenir des promenades communes, quand, d'un trait de flèche, la pensée lui revint de la promesse qu'elle avait faite tout à l'heure. Voilà qu'elle l'avait oubliée, reprise à vivre, à aimer, passé le seuil des Rédemptoristes.

      «J'ai promis cela, j'ai promis de me séparer de lui, de l'éloigner. Mais c'est affreux! Pauvre chéri, lui si nerveux, si prompt à souffrir!... Et pourquoi le chasser, pourquoi?...»

      Les