Les Demi-Vierges. Marcel Prevost

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Название Les Demi-Vierges
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089740



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      -- Oui, madame est très jolie et chante très bien.

      Maud présenta:

      -- Mlle Etienne Duroy, un de mes amies de pension.

      -- Vous êtes au théâtre, mademoiselle ?

      -- Non, madame... pas encore.

      -- Nous la ferons connaître, n'est-ce pas, madame ? reprit Maud. Elle s'accompagne admirablement avec la guitare.

      -- Oh ! cara ! la guitare ! je l'aime tant... Mais tout de suite il faut faire cela, un concert, un grand concert... Je chanterai... et vous aussi, Cecilia, n'est-ce pas ? Quand le donnons-nous, Maud ?

      -- Nous y songions, répliqua Maud en souriant. Ce sera pour le mois de mars ou le mois d'avril prochain. Nous inaugurerons le grand hall, vous savez ? le hall mobile.

      -- Je crois bien... Un hall admirable, Cecilia, la moitié de la Scala... Cela se monte avec un ascenseur. C'est un appartement... prodigieux, merveilleux, regardez, Cécile. E come bèn accommodato !... Gosto inglese...

      Elles se mirent à parler italien, Mme Ucelli faisait admirer à son amie le goût singulier, bien moderne, des tentures et du mobilier. Maud, à mi-voix, disait à Etiennette:

      -- Je l'ai en horreur, et au fond, elle m'exècre, à cause de Julien qui a été obligé un jour de la mettre de force hors de chez lui... Oui, ma chérie. Ah ! c'est un vrai tempérament, celle-là, une âme à deux sexes également impérieux. Elle m'exècre; elle corrompt mes gens pour m'espionner: plus d'une fois je l'ai surprise ici en conférence avec Betty ou Joseph. N'importe, si elle peut vraiment chanter à la soirée, cela attirera du monde. Tu lui as plu, parce que tu es jolie... Ne la vois pas trop: vous vous brouilleriez vite.

      -- Tu es un amour, répliqua Etiennette. Merci. Je m'en vais tout heureuse... Merci, du fond de mon coeur. Quel dommage que je ne puisse te servir en rien !

      Les deux visiteuses, dans le grand salon, palpaient la soie légère des rideaux de vitrage.

      -- Reviens me voir souvent, fit Maud, ce sera la meilleure façon de m'être agréable... Je n'ai point de confidents, et j'ai parfois le coeur oppressé, va ! Et puis, ajouta-t-elle après un instant de réflexion, peut-être, moi aussi, te demanderai-je quelque chose. Pourrais-tu me recevoir chez toi... chez ta mère... mettre une pièce de l'appartement à ma disposition de temps en temps ?

      -- Mais tout l'appartement si tu veux, chérie. D'autant que maman étant souffrante et ne bougeant guère de sa chaise longue, -- des rhumatismes au coeur, tu sais, -- je suis vraiment maîtresse de maison, maintenant, c'est moi qui mène tout.

      -- C'est que, poursuivit Maud en domptant son hésitation et en affermissant sa voix, j'aurais besoin à mon tour d'y recevoir quelqu'un... quelqu'un que tu connais.

      -- Julien ?

      -- Cela t'ennuie ? Cela te compromet ?

      -- Oh ! me compromettre, répliqua tristement Etiennette. Est-ce qu'on me compromet, moi ? Fais ce qui te plaira. La maison t'appartient.

      -- Merci. Compte donc sur moi. C'est un petit traité d'alliance que nous signons, n'est-ce pas ? Tu verras que je ne suis pas une mauvaise amie.

      Elles rejoignirent, les bras enlacés, Mme Ucelli et Mlle Ambre.

      -- Excusez-moi, chère madame, fit Maud. Mlle Duroy, qui nous quitte, me donnait une commission...

      -- Vous partez, mademoiselle ? dit Mme Ucelli. Tous nos compliments... Vous aurez le plus grand succès... Venez me voir, rue de Lisbonne, 21, les jeudis soirs... Nous faisons de bonne musique, dans l'intimité.

      Etiennette remercia et salua.

      -- A propos, reprit l'Italienne, on vous verra demain à la Walkyrie, n'est-ce pas ?

      Etiennette répondit:

      -- Mon Dieu, madame, je n'ai point de places pour les premières.

      -- Oh ! vous n'iriez point, vous, cara, répliqua l'Italienne en lui saisissant les mains comme à une ancienne amie... Une telle artiste... Et si jolie... Che peccato !... Venez dans ma loge... Baignoire 15... Il y aura Mlle Ambre, le comte Rustoli... Qui encore ? Peut-être M. Luc Lestrange, un ami de ces dames de Rouvre.

      La porte du grand salon s'ouvrait, poussée par le valet de pied, ganté de blanc, qui n'annonça pas. Un homme d'environ trente-cinq ans, blond, d'une jolie figure un peu fanée et usée, très correct, s'avançait en souriant.

      -- J'ai entendu mon nom... Que disait-on de moi ?

      Il baisa les mains. Mme Ucelli s'écria:

      -- Ah ! signore Lucca ! Voilà qui est bien plaisant: nous parlions justement de vous... Et vous apparaissez comme un fantôme.

      Etiennette prenait congé et sortait, reconduite par Maud. Quand celle-ci revint, on s'assit autour de la cheminée.

      La cheminée était en marbre blanc, de style néo-grec, presque nue, décorée d'une seule statuette de Tanagra, une vestale tenant un brûle-parfums, et de deux sveltes vases où trempaient deux orchidées. Dans l'âtre une grosse bûche brûlait sans flammes, toute noire avec un coeur de braise.

      Presque aussitôt, de nouveau la porte s'ouvrit, livrant passage à une dame âgée, accompagnée de deux jeunes filles habillées pareil, assez jolies, l'air anémique. Elles s'appelaient Marthe et Madeleine. Madeleine plus alerte, plus gaie; Marthe plus silencieuse, souvent distraite, les yeux fuyants, la rougeur prompte. Et pourtant, elles se ressemblaient. Maud présenta:

      -- M. Luc Lestrange, chef de cabinet du ministre de l'intérieur; Mme de Reversie, Mlles de Reversier... Mais, au fait, vous vous connaissez, je crois ?

      -- Est-ce que M. Lestrange ne connaît pas toutes les jeunes filles de Paris ? dit en riant Mme Ucelli.

      -- Non, lui répondit Lestrange à demi-voix. Je ne vois que certaines spécialités.

      -- Comment va votre chère mère ? demanda Mme de Reversier en s'asseyant.

      -- Elle est un peu souffrante... Nous ne la verrons guère avant cinq heures, je crois.

      -- Et Jacqueline ?

      -- Jacqueline est allée à son cours de littérature. Mais il est quatre heures et demie. Elle devrait être rentrée. Vous allez la voir.

      Mme Ucelli, qui causait avec Lestrange, interrompit:

      -- Qu'est-ce donc que ce cours, Maud ? Celui de la rue Saint-Honoré, où un jeune homme de trente ans enseigne la morale aux demoiselles ?

      -- Aux demoiselles et aux messieurs, chère madame, rectifia Maud, il y en a pour les deux sexes.

      -- Mêlés ?

      -- Mêlés. Le cours est mixte.

      -- Tiens ! fit Lestrange, il faudra que j'aille prendre là quelques notions de morale.

      -- On ne vous laissera pas entrer, birbante; vous avez une trop mauvaise réputation auprès des mères de famille; vous compromettez les demoiselles.

      -- Mais non. C'est elles qui me compromettent, je vous assure.

      Maud changea la conversation:

      -- Qui va à l'Opéra, demain, pour la Walkyrie ?

      -- J'ai un fauteuil, fit Lestrange.

      Mme de Reversier déclara:

      -- On nous a offert des places. Je ne trouve pas que la Walkyrie soit un spectacle convenable pour mes filles.

      On se récria... Mme de Reversier jugeait le second acte horriblement inconvenant. Mme Ucelli protestait bruyamment au nom de l'art. Madeleine et Marthe de Reversier prirent part à la discussion, donnèrent leur avis.

      -- Mais, demanda Lestrange à Madeleine, puisque vous connaissez parfaitement