Les Demi-Vierges. Marcel Prevost

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Название Les Demi-Vierges
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089740



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faisant des grâces.

      Maud garda quelque temps le télégramme dans ses doigts, jouant avec. Elle reprit:

      -- Directeur du Comptoir catholique, cela sonnera bien pour les Chantel.

      Mme de Rouvre se récria:

      -- Pour les Chantel ! je pense que nous n'avons pas besoin de leur montrer ce personnage, faux Alsacien, faux catholique, qui exploite les curés, les bonnes soeurs, les communautés religieuses, et se permet de dire partout qu'il est amoureux de toi, comme si une demoiselle de Rouvre était pour un usurier francfortais, et marié, encore ! Mme de Chantel, pour la première fois où elle met les pieds ici, y trouvera mieux que ça... Nos mardis sont assez suivis !

      Maud laissait parler sa mère avec un sourire moitié triste, moitié ironique.

      -- Oui, très suivis, murmura-t-elle. Un peu trop de gens de ministère seulement; trop de monde des réceptions ouvertes. Des attachés de cabinet comme Lestrange, des secrétaires députés comme Julien, le résidu des relations de cercle de papa, et nos connaissances de villes d'eaux; ce n'est pas ça qui impressionnera des gens de vieille roche comme Maxime et sa mère.

      -- Et Mme Ucelli ?

      -- Oh ! celle-là !

      -- Comment, celle-là ? l'amie de la duchesse de la Spezzia ?...

      -- Justement, interrompit la jeune fille. Cela se dit un peu trop. Si elle rencontre ici les Chantel, il ne faudra pas parler de la duchesse de la Spezzia.

      -- Penses-tu que nous aurons les deux Le Tessier? demanda Mme de Rouvre après un silence.

      -- Paul, ce n'est pas sûr; il y a aujourd'hui une discussion importante au Sénat sur le privilège de la Banque de France; il doit parler. Mais Hector viendra certainement, comme tout les mardis.

      -- Eh bien ! je suppose que si Maxime et sa mère rencontrent ici un sénateur, futur ministre, comme Paul, une sorte de princesse, comme Mme Ucelli...

      -- Un directeur de grande société financière catholique, comme Aaron, interrompit Maud ironiquement.

      -- Et un gentleman accompli, un homme de sport très en vue, comme Hector...

      -- Ils auront lieu d'être satisfaits, conclut la jeune fille. Dieu le veuille !...

      -- Crois-tu donc qu'ils en voient tous les jours autant ? Je voudrais assister à une de leurs réceptions, là-bas, en Poitou, à Vézeris !

      Maud se leva et pressa le bouton électrique voisin de la cheminée.

      -- Oh! fit-elle, je ne sais pas qui les Chantel reçoivent à Vézeris ! c'est peut-être des gens très nuls et très ridicules, mais je suis convaincue que c'est tout ce qu'il y a de plus noble, tout ce qu'il y a de plus respectable et tout ce qu'il y a de plus calé dans la contrée.

      Mme de Rouvre répondit:

      -- Bah !... Personne n'est si simple que Mme de Chantel. Rappelle-toi cet été, aux boues de Saint-Amand, comme nous nous entendions bien ensemble ! Nos après-midi de bezigue... Nos promenades côte à côte, dans les pousse-pousse...

      -- C'est vrai, fit Maud pensive, vous faisiez très bon ménage, toutes les deux.

      Elle cherchait, sans se l'expliquer, quels fils invisibles avaient pu lier si aisément, dans la solitude d'une petite station du Nord, le vieil oiseau écervelé qu'était sa mère avec la rigide provinciale, sorte de puritaine catholique et noble, qu'était la mère de Maxime de Chantel.

      "Toutes les deux sont pieuses, pensa-t-elle, pieuses avec un peu d'exagération; chacune d'elles a la même maladie avec des accidents différents, et croit l'autre plus malade que soi. Et puis tout cela est mystérieux. Pourquoi ai-je plu à Maxime, moi ?"

      Debout contre la cheminée, elle évoquait les quatre journées que Maxime de Chantel était venu passer près de sa mère, à Saint-Amand, et durant lesquelles elle l'avait senti se prendre, se ligoter à elle, malgré lui et presque sans qu'elle y aidât. Brusquement, il était parti, il s'était enfui dans la solitude de Vézeris, où il dirigeait une vaste entreprise agricole. Durant des mois, on n'avait eu de ses nouvelles que par les lettres de Mme de Chantel à Mme de Rouvre. Maud pensait: "N'importe... Il m'aime. On ne m'oublie pas." Et voici qu'il venait, en effet, accompagnant sa mère qui voulait consulter un médecin à la mode.

      -- ... Mademoiselle désire ?...

      C'était la femme de chambre, appelée par le coup de sonnette de Maud.

      -- Tenez, Betty, faites porter ça au télégraphe. Vous pouvez allumer le feu dans le grand salon, mais avant, fermez le calorifère. On commence à étouffer, ici.

      -- Bien, mademoiselle.

      -- A quatre heures et demie, vous irez chercher vous-même Mlle Jacqueline à son cours. Vous la prierez de s'habiller tout de suite et de venir m'aider à servir le thé au salon.

      -- Oui, mademoiselle. C'est tout ?

      -- Oui... Ah! attendez. Vers trois heures, il viendra une personne... une jeune fille... qui me demandera. Vous la ferez entrer ici, directement, sans passer par le grand salon, et vous me préviendrez.

      -- Même s'il y a du monde ?

      -- Même s'il y a du monde. Mais il n'y aura personne, à cette heure-là.

      -- Qui vas-tu donc recevoir ? demanda Mme de Rouvre, se dressant péniblement sur son séant.

      -- Tu ne connais pas... C'est une amie de couvent que je n'ai pas revue depuis ma sortie de Picpus.

      -- Qu'est-ce qu'elle te veut ?

      -- Mais je n'en sais rien, fit Maud avec un peu d'impatience. Je sais seulement qu'elle a besoin de me voir.

      -- Et elle s'appelle ?

      -- Duroy... Etiennette Duroy.

      Mme de Rouvre réfléchit un instant:

      -- Etiennette Duroy... Non... Je ne me rappelle pas.

      -- Tu ne te rappelles jamais rien, répliqua Maud.

      Rompant la conversation, elle alla soulever le rideau de la fenêtre; elle regarda, dans l'avenue légèrement feutrée de neige malgré un clair soleil d'hiver, circuler les voitures aux vitres levées, les passants emmitouflés qui pressaient le pas.

      La femme de chambre, demeurée sur le seuil du petit salon, demanda:

      -- Mademoiselle n'a plus besoin de moi ?

      -- Non, répondit Maud.

      -- Moi, ma fille, dit Mme de Rouvre en achevant de se mettre sur pied, vous allez me conduire chez moi... Dis donc, Maud !

      -- Maman ?

      -- Il n'est pas nécessaire que je me presse, n'est-ce pas ?

      -- Non. Reste dans ta chambre jusqu'à ce que Mme de Chantel arrive, je te ferai prévenir.

      -- Bon. Allons, Betty, votre bras.

      Elle s'en allait par le grand salon, appuyée sur la femme de chambre, la jambe gauche lourde et traînante. Avant de sortir, elle se retourna:

      -- Maud !

      -- Quoi, mère ?

      Elle rejoignit Mme de Rouvre, tâchant de brider son énervement... La malade cherchait ses mots, comme embarrassée de ce qu'elle avait à dire.

      -- Cette aigrette, fit-elle, tu sais ?... en strass ancien, que nous avons vue l'autre jour au "Vieux Japon"...

      -- Oui... Eh bien ?...

      -- Eh bien... J'ai oublié de te dire: j'ai écrit. On l'apportera ce soir.

      Maud devint rose, subitement; le pli de son front se creusa, et ses yeux bleus noircirent:

      -- Mais c'est absurde !... Voyons, ajouta-t-elle en