Les Demi-Vierges. Marcel Prevost

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Название Les Demi-Vierges
Автор произведения Marcel Prevost
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066089740



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n'est pas ici. Et Jacqueline ?

      -- Oh ! Jacqueline... Une enfant !

      -- Une enfant qui voit tout... et qui sait nous faire comprendre qu'elle y voit.

      Maud s'approcha du visage de Julien, et lui tendit sa bouche, qu'il effleura.

      -- Je t'aime. Cela doit te suffire... Veux-tu les commodités des amours de bourgeois, quand tu aimes une jeune fille ? Regarde-moi; ne peux-tu pas souffrir un peu, pour m'avoir ?

      Julien murmura tristement:

      -- Je ne t'ai jamais eue.

      -- Ne dis pas cela. C'est de l'ingratitude et du mauvais amour. Je t'ai donné de moi tout ce que je pouvais te donner...

      Il supplia:

      -- Dis-moi seulement que tu reviendras.

      -- Où cela ?

      -- Rue de la Baume. Chez moi...

      Elle eut un geste d'impatience:

      -- Encore !... Je t'ai déjà dit que je suis guettée, surveillée... cette misérable Ucelli qui t'a fait la cour et dont tu n'as pas voulu... elle m'exècre parce qu'elle sait que tu m'aimes... Elle me fait filer, j'en suis sûre, avec sa police d'Italienne, d'entremetteuse princière. Tu ris ? Je ne suis pas fille à m'effrayer pour rien, tu sais bien. Les deux fois que je suis venue rue de la Baume, elle l'a su... elle s'en est doutée, au moins.

      -- Je changerai d'appartement.

      -- Non, crois-moi, ne demande pas l'impossible; fie-toi à moi pour nous voir le plus souvent et le mieux... Mais ne me tourmente pas. En ce moment, plus que jamais, il faut que je me surveille.

      Julien questionna, surpris:

      -- Plus que jamais ? Pourquoi ?... Quelque chose en train ?

      -- Peut-être, fit Maud.

      Il devint très pâle et, un instant, garda le silence. Puis, affectant d'être calme:

      -- Est-ce que... vous pouvez me dire... de quoi il s'agit ?

      -- Oui, répondit Maud, lentement, les yeux dans ses yeux. Je vais tout vous raconter si vous voulez être... ce que j'ai le droit d'exiger que vous soyez.

      Julien fit signe qu'il écoutait. Tous deux, comme sans effort, avaient repris le ton, l'attitude de mondains indifférents l'un à l'autre.

      -- Eh bien ! dit Maud, voilà, en deux mots. Au mois de juillet dernier (vous voyez qu'il a longtemps), nous avons rencontré aux boues de Saint-Amand une dame de province, Mme de Chantel, qui suivait le traitement. Elle était avec sa fille Jeanne, une enfant d'une quinzaine d'années, assez jolie, mais tout à fait nulle. Son fils Maxime est venu passer les derniers jours de la cure avec elle...

      Elle s'interrompit:

      -- On a sonné, il me semble ?

      -- Oui, dit Suberceaux; j'ai entendu le roulement du timbre. Tenez, on ouvre la porte. Des visites, déjà ?

      -- Non, c'est une petite... Mais, au fait, vous devez la connaître, c'est la petite Duroy...Etiennette Duroy...

      -- La fille de Mathilde Duroy ?

      -- Et la soeur de Suzanne du Roy, votre ancienne passion.

      -- Oh ! passion !...

      -- Non ? On disait que vous aviez été l'initiateur.

      -- Est-ce qu'on sait, avec ces filles-là ! répliqua Suberceaux. On n'est jamais le premier, je crois... C'est égal, si vous permettez, je préfère ne pas me rencontrer avec la soeur. Pourquoi diable la recevez-vous ?

      -- Elle a été à Picpus avec moi, et on dit qu'elle vit avec sa mère, très honnêtement. D'ailleurs, j'ignore ce qu'elle veut. Mais nous étions bonnes camarades et cela me fera plaisir de la revoir.

      La face sournoise de Joseph apparut à la porte du salon:

      -- Mademoiselle... C'est cette demoiselle.

      -- Je vous quitte, fit Suberceaux.

      -- Passez par le grand salon... A ce soir, n'est-ce pas ? Vers cinq heures et demie, revenez. Maman descendra... Faites entrer directement Mlle Duroy ici, par la galerie, Joseph.

      Et reconduisant jusqu'à la porte du grand salon Suberceaux pensif, Maud lui dit:

      -- Venez... Il sera là... Je veux que vous veniez.

      Plus bas, quand il eut passé le seuil, elle lui redit par l'entre-bâillement de la porte:

      -- Je t'aime !

       II

      La visiteuse était déjà introduite dans le petit salon: une mignonne blonde, un peu grasse, aux yeux gris, aux traits ronds et fins, aux cheveux de balle d'avoine, blottie comme une caille dans les plumes de sa palatine, de son manchon, de son chapeau.

      En voyant Maud venir à elle, si grande, si brillante, si "dame", elle balbutia un timide:

      -- Bonjour, mademoiselle... Je vous...

      Mais Maud l'embrassa joyeusement.

      -- Mademoiselle !... Vous !... Veux-tu bien rentrer ces vilains mots-là, Tiennette, et me parler comme à la pension !

      Etiennette, les joues animées par une réaction de contentement, rendit les baisers.

      -- Oh ! c'est gentil, fit-elle, de te rappeler... Moi qui hésitais à venir... J'avais peur d'être mal reçue, figure-toi !

      -- Et pourquoi cela, grand Dieu ? répondit Maud, faisant asseoir son ancienne amie et s'asseyant elle-même.

      -- Parce que... Mon Dieu !... Le couvent, c'est un vieux souvenir... Plus de quatre ans ! cela suffit à bien des gens pour oublier. Et puis, ajouta-t-elle en baissant la voix, je supposais que, connaissant maintenant ma situation...

      Maud sourit:

      -- Crois-tu que je ne la connaissais pas au couvent, "ta situation", comme tu dis ?

      -- Comment, tu savais ?... On t'avait dit ?... Qui ça ?

      -- Mais... les Le Tessier... L'aîné, Paul, celui qui est sénateur depuis l'an passé, était lié avec ce député de l'Aude, avec monsieur... comment donc ?

      -- M. Asquin ? demande Etiennette.

      Et, sur un signe affirmatif de Maud, elle ajouta, en rougissant un peu, mais sans affecter l'embarras:

      -- C'était mon père. Nous l'avons perdu, il y a deux ans.

      -- Ah ! c'était ton père ? Cela, je l'ignorais. Je savais seulement qu'il... allait chez ta mère, avec les deux Le Tessier et M. de Suberceaux.

      -- M. de Suberceaux était le secrétaire de papa... Il...

      Elle s'arrêta court, ressaisie par sa timidité de tout à l'heure. Maud de Rouvre lui prit la main:

      -- Voyons, Tiennette, aie donc confiance. Je te dis que je suis au courant de tout... oui, de tout... Je sais aussi l'histoire de Julien avec ta soeur Suzanne.

      -- Oh ! je pense bien, répliqua Etiennette en s'essuyant les yeux, cela, tout Paris l'a su... Ma soeur est une telle folle ! Elle s'est affichée avec Suberceaux, comme elle s'affiche avec tant d'autres depuis... C'est égal, fit-elle après un temps, Julien n'a pas bien agi avec nous. Mon père l'aimait beaucoup, maman le recevait comme notre frère. Il aurait dû laisser Suzon tranquille. Et depuis sa rupture avec elle, croirais-tu qu'il n'est même pas revenu à la maison ? Il sait pourtant que maman est malade, et elle était si bonne pour lui ! Enfin, moi, je ne l'aime pas.

      Mlle de Rouvre répondit sérieusement:

      -- N'en dis pas de mal, Tiennette. Julien est de nos amis.

      D'un de ces gestes mutins et câlins qui la faisaient si captivante, Etiennette jeta ses bras autour du cou de