Название | Barnabé |
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Автор произведения | Fabre Ferdinand |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– En vérité, dit mon père, ce Venceslas me paraît un coquin des plus audacieux. Mais que va-t-il faire de tous ces objets volés?.. Allons, il ne sera pas trop difficile de le prendre.
– Ce ne sera pas toujours le gendarme que nous avons rencontré tapi dans la haie de la grange de M. Lautrec qui le prendra, intervint M. Anselme Benoît.
– Faut-il être dépourvu de sens et de ruse! s’écria Barnabé; la gendarmerie se porte sur la route d’Hérépian, comme si Venceslas devait aujourd’hui venir à la foire de Bédarieux. C’est à Béziers, à Montpellier, à Marseille, à Toulon, dans les villes où il y a des femmes de méchante conduite, qu’il faut aller traquer ce brigand.
– La misère l’obligera bien à se débarrasser de son butin, reprit mon père. Or, il ne sera pas commode dans nos pays de trouver à vendre un calice, un ostensoir, un saint-ciboire…
– Et les Juifs donc, ces assassins du bon Dieu! interrompit l’ermite de Saint-Michel.
– O Seigneur! soupira mon oncle, qui sait si le saint-ciboire ne contenait pas des hosties? Quelle profanation épouvantable, le corps de Jésus-Christ aux mains de ce scélérat! Peut-on songer à cela sans frémir…
Il se signa dévotement. Ma mère, Barnabé et moi nous l’imitâmes.
– Dois-je servir le café, monsieur? demanda Marion, entr’ouvrant la porte de la cuisine.
– Surtout qu’il soit bien chaud! lui répliqua mon père.
IV
Je respirai. Dieu merci! je n’étais pas dans l’affaire. Égoïsme des enfants! dans le contentement que j’éprouvai, Venceslas Labinowski, ce Venceslas Labinowski que j’avais tant aimé, je l’abandonnais sans regrets à la gendarmerie, je l’eusse abandonné au bourreau. Peut-être, aujourd’hui même, agrippé au fond de quelque réduit de la montagne, allait-il traverser la ville, les menottes aux poignets. Oh! je ne serais pas le dernier, quand il passerait devant notre porte, à lui crier avec tout le monde:
– Voleur, voleur, tu n’es qu’un voleur!
J’osai relever la tête, que j’avais tenue penchée tout le temps du récit de Barnabé. Il fallait voir avec quelle volupté, à la fois complaisante et sérieuse, l’ermite de Saint-Michel, après avoir par un signe invité Marion à lui remplir de café et la tasse et la soucoupe, humait le moka brûlant! Dans sa longue fréquentation des ecclésiastiques, gens qui officient à la table comme à l’autel, le Frère avait fini par prendre quelque chose de leurs manières graves, cérémonieuses, apprêtées.
– C’est bon! répétait-il à chaque gorgée, en se caressant l’estomac de sa large main étendue, c’est très-bon!
Une fois, sa langue claqua bruyamment. Mais mon oncle fit les gros yeux, et cet homme exubérant de sève et de vie, qui ne demandait qu’à se répandre en gestes, en paroles, en démonstrations de toute sorte, courba le front et demeura coi.
Pour moi, je m’ennuyais horriblement, et j’aurais voulu partir. Comment m’y prendre pour déserter cet interminable repas? Deux fois, sous la table, je pressai le genou à ma mère, essayant par ce contact de l’initier aux longues angoisses de mon martyre. Mais ma mère, occupée à faire fondre un énorme morceau de sucre dans un petit verre de carthagène, liqueur du crû que M. Anselme Benoît permettait à mon oncle, n’entendit pas mon appel ou feignit de ne pas l’entendre.
Cependant il s’en allait deux heures, et c’était à trois heures que devait avoir lieu, en plein Planol, le combat des ânes et des chiens. Comment ne point assister à cette lutte unique, si terrible, si solennelle, moi qui n’en manquais aucune, ni les jours de foire, ni les jours de marché! Les Catalans me connaissaient bien avec ma blouse trouée aux coudes, mon pantalon poussiéreux aux genoux, mes chaussures rougeâtres et fripées, mon feutre sans forme ni couleur. Tout à coup, dans mes nouvelles préoccupations, – il est bien évident que Venceslas Labinowski n’occupait plus ma pensée, – je crus ouïr de lointains roulements de tambour. Probablement, selon une habitude ancienne, on commençait à travers les rues la promenade des ânes qui devaient soutenir l’assaut de nos féroces chiens-loups cévenols. Je ressentis d’intolérables picotements le long de l’échine, et je me secouai sur ma chaise comme je l’eusse fait sur une pelote d’épingles.
– Eh bien! vas-tu rester tranquille? me dit mon père sévèrement.
Eperdu, je regardai Barnabé.
– Ah! je comprends le fillot, moi, intervint le Frère, devinant mon intime désir. Je suis sûr qu’un brin de comédie l’amuserait plus que l’histoire de Venceslas. Attends, mon garçonnet, attends que j’aie fini mon café, et je te mènerai au Planol. Parce que ton ami l’ermite de Cavimont a pris du champ, ce n’est pas une raison pour que tu passes ta foire de septembre aussi triste qu’un rat dans une ratière. D’ailleurs, je ne serais pas fâché de voir comment les ânes de la Catalogne se comportent…
– Barnabé, interrompit mon oncle, à qui la carthagène sucrée venait de restituer quelque voix, dernièrement, quand j’agonisais dans mon lit, vous me fîtes deux promesses: celle de ne plus fréquenter les spectacles et celle de ne plus rimer de chansons pour les jeunes gens à qui il prend envie, en compagnie de Braguibus, de donner des aubades aux filles. En soi, ces deux choses sont innocentes, et nos mœurs méridionales, peut-être trop tolérantes, les acceptent; mais elles peuvent devenir, pour certains, une cause de scandale, et je désire que vous vous en absteniez d’une manière absolue. Quoique laïque, l’habit dont mes mains vous revêtirent jadis, vous oblige à plus de réserve, à plus de dignité.
– Mais, monsieur le curé, tous les ermites de la contrée vont à la comédie. Tenez! à la dernière foire, M. le curé de Vasplongue assistait, à côté de moi, à la Tentation de Saint-Antoine. Que c’est joli! Il y a un cochon, un vrai cochon qui…
– M. le curé de Vasplongue et les ermites eurent tort, repartit mon oncle d’un ton bref.
Il ne put en dire davantage: la respiration lui manquait.
– Tu auras beau prêcher, mon pauvre ami, intervint mon père s’adressant à mon oncle, tu ne changeras pas le paysan. Le paysan, revêtu du froc, n’a pas tort de rester ce qu’il est foncièrement; mais l’évêque a tort de laisser l’habit ecclésiastique à des hommes généralement ignorants, grossiers, quelquefois vicieux…
– Ohé, là-bas! s’écria Barnabé, je crois, monsieur l’architecte, que vous secouez les pruniers de mon jardin.
– Je ne veux rien dire de désobligeant pour ton Frère de Saint-Michel. Barnabé est un brave et excellent homme. Malgré sa fréquentation trop assidue de la Grappe-d’Or, ton ermite conserve plus de tenue que ses confrères; d’ailleurs il te prodigua des soins qui me touchent, et il me trouvera toujours indulgent pour ses peccadilles. Mais l’exception n’est malheureusement pas la règle, et, si j’avais l’honneur d’être prêtre, je me hâterais de réclamer de l’autorité compétente la dissolution de la Confrérie des Frères libres de Saint-François.
– Alors, que deviendraient nos ermitages? demanda mon oncle levant les bras au ciel.
– On s’en passerait.
– Tu en parles bien à ton aise, toi qui trouves toujours des plans à dresser et des maisons à bâtir. Tu ignores donc que Saint-Michel, à lui seul, fournit de messes cinq ou six desservants des environs, lesquels ne sauraient vivre avec leurs minces émoluments. La chapelle de Notre-Dame de Nize, confiée aux soins du pieux ermite Adon Laborie, rapporte, bon an mal an, quatre mille francs de messes basses, dont profitent les curés les plus pauvres de la montagne.
– Ma foi, je ne suis pas d’avis que, pour un revenu quelconque, et celui-ci me paraît misérable, il convienne