Название | Barnabé |
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Автор произведения | Fabre Ferdinand |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
Des paysans, des paysannes défilaient sous mon œil attentif, les hommes juchés royalement sur leurs montures, les femmes marquant la trace de leurs pieds nus dans les ornières du chemin. Je vis passer M. Combal, maire des Aires. Il se prélassait à califourchon sur un mulet noir magnifique et avait en croupe sa fille Juliette, toute fraîche et toute contente. Sa femme, la Combale, courbée sur un bâton tout défléchi par le service, cheminait péniblement à quelques pas. Pourquoi Juliette laissait-elle sa mère se fatiguer ainsi, au lieu de lui céder sa place et de marcher? Ah! mauvais cœur!.. Sur un chariot attelé d’un gros cheval de labour, je remarquai le marguillier Simon Garidel avec son fils Simonnet. Il me parut que Simonnet faisait des signes à Juliette Combal et lui souriait, mais je n’en suis pas sûr absolument. Je reconnus encore bien des visages: entre autres celui de Jean Maniglier, dit Braguibus, le joueur de fifre, le sorcier, le chanteur… Ah! j’aperçus aussi M. Martin, curé d’Hérépian…
On jasait avec animation. Deux fois, au milieu de phrases volubiles, je saisis au vol le nom de Venceslas. Que lui voulait-on? Je tendis l’oreille. Plus rien…
Il allait sans doute arriver, le Frère que j’aimais tant! J’explorai la route d’un regard rapide. Là-bas, un groupe de jeunes gens s’avançaient en chantant. Je ne l’ai pas oublié, il était environ sept heures du matin, et le soleil, émergeant au-dessus des montagnes comme la gueule chauffée à blanc d’une fournaise, rougissait déjà les grands blocs granitiques du mont Caroux. – Mon Dieu! mon Dieu! mon Venceslas qui ne paraissait point. – Enfin le voilà! pensai-je, démêlant, dans les derniers lambeaux de la brume matinale, à quelque distance de ma luzernière, une longue silhouette couronnée d’un vaste chapeau.
On s’approchait. Ciel! c’était Barnabé. Mon oncle, maigre et pâle, se tenait sur Baptiste, que son maître, armé d’une houssine, fouaillait impitoyablement à tour de bras. Je reconnus également le personnage qui, monté sur une mule aux yeux farouches, cheminait à côté de mon oncle. C’était M. Anselme Benoît, le médecin des Aires et autres lieux.
Quand tout ce monde, parlant haut, frôla la haie qui me cachait, on devine si ma tête disparut dans les hautes herbes et si je retins ma respiration.
– Ce Venceslas est un véritable brigand de la Calabre! s’exclama frère Barnabé de sa voix de basse profonde.
– C’est un scélérat digne de la corde! ajouta M. Anselme Benoît.
– C’est pis que tout cela, conclut mon oncle, frère Labinowski est un sacrilége!
Ils s’éloignèrent.
II
Je fus atterré. Qu’avait fait Venceslas, mon Venceslas? Je restai longtemps couché dans la luzerne, non que je redoutasse de me montrer, – Barnabé et mon oncle étant passés, je n’avais désormais plus rien à craindre, – mais je sentis tout à coup mes forces m’abandonner.
Que reprochait-on au Frère de Notre-Dame de Cavimont? Quel était son crime? Dieu! moi qui étais l’ami de Venceslas, ne me trouverais-je pas confondu dans l’accusation qui pesait sur lui? Certes, les jours de foire, le curé des Aires, frère Barnabé, M. Anselme Benoît, quelquefois M. Combal, le maire, avaient l’habitude de venir à Bédarieux; mais, après le méchant coup de l’ermite de Cavimont, qui sait si ce n’était pas pour me juger qu’ils y venaient aujourd’hui? Tous avaient un air indigné bien fait pour justifier mes appréhensions.
La paralysie me gagnait les membres, et je me sentais la tête lourde. Un instant, il me sembla que la haie vive qui me séparait du chemin exécutait une sarabande folle autour de moi. Tout tournait: et la grange de M. Lautrec avec son pigeonnier bariolé de pigeons, et les longues rangées de mûriers de la Bastide, et le clocher de l’ermitage de Saint-Raphaël, dont, à travers les touffes épaisses des saules blancs, j’entrevoyais la toiture rouge, de l’autre côté de l’Orb.
J’ignore combien de temps je passai dans cet état d’écrasante prostration. Oh! les peurs de l’enfance, qui les a oubliées! Mes terreurs obsédantes – il était évident qu’à mon insu j’avais dû tremper dans le forfait dont Venceslas s’était rendu coupable – finirent par avoir raison de ma pensée haletante, de mes nerfs malades, et je m’endormis, pelotonné dans ma luzernière comme un lapin que les chiens ont traqué, – quels chiens féroces que nos pensées! – et qui retrouve enfin son trou.
Quand je revins à moi, la route d’Hérépian à Bédarieux se trouvait absolument déserte. Mes regards se portèrent au ciel. Le soleil avait marché à pas de géant, et remplissait la vallée tout entière de gerbes d’or à profusion. Qui sait? peut-être était-il tard déjà. Et personne pour demander l’heure! Je me passai la main sur le front, comme tout étourdi. Je pensai à ma mère, à mon père, qui en ce moment sans doute se mettaient à table avec mon oncle, Barnabé, M. Anselme Benoît… Comment les aborder? – Si je partais pour Notre-Dame de Cavimont? – L’audace des enfants ne mesure pas les obstacles. Je me mis debout et, sans plus ample délibération, par un bond de jeune chevreau, je sautai sur le chemin.
– Et que fais-tu donc là, toi? me cria une voix féroce.
Je me retournai. O terreur! des broussailles de la haie je vis saillir le bicorne d’un gendarme.
– Je ne fais rien… je ne fais rien…
– Veux-tu bien filer chez ton père, polisson, et laisser la justice tranquille.
– La justice!.. la justice!..
Je n’attendis pas qu’on me répétât le commandement, car on avait commandé. Par le sentier de la grange de M. Lautrec, je gagnai les bords de la rivière au pas de course, traversai vivement la passerelle sur l’Orb, franchis le petit bois du Cros tout d’une haleine, et rentrai dans la ville par le faubourg Trousseau.
Comme je passais devant l’église Saint-Alexandre, les douze coups de midi sonnèrent à la grosse horloge du clocher.
Sauf mon père, que ses travaux d’architecture retenaient souvent dans une vaste chambre au troisième, où il lavait à l’encre de Chine des plans que je trouvais admirables, quand j’entrai, tout le monde était assis autour de la table: mon oncle, le Frère, le médecin. Ma mère et Marion, notre bonne, vaquaient dans la cuisine aux derniers apprêts du repas.
– Tu cours donc toujours? me dit le curé des Aires voyant mon front ruisselant.
– Vous comprenez, mon oncle, les jours de foire… balbutiai-je.
Il m’embrassa et n’ajouta plus un mot.
– Eh bien! as-tu vu ton Venceslas aujourd’hui, pétiot? me demanda Barnabé en m’allongeant une tape amicale sur la joue.
– J’étais au Planol tout à l’heure, répondis-je, esquivant la question, et comme ces hommes de la Catalogne ont perdu l’ours qui leur restait, cette après-midi on fera battre des ânes avec les chiens-loups de la montagne. Si vous voulez que j’amène faire battre Baptiste?
– Est-il fou, cet enfant! s’écria le Frère: attacher ma bête au poteau et la laisser tranquillement dévorer!
– Baptiste ruera pour se défendre comme les autres, dis-je.
Mon père entra.
Une fois la soupe dépêchée, – à Bédarieux, on la mange à midi, – chacun respira.
– Savez-vous, demanda mon père, si l’on a mis la main sur le Frère de Cavimont? Depuis ce matin, toute la ville est en rumeur à cause de lui.
– La gendarmerie est à ses trousses, répondit mon oncle; mais elle ne l’a pas saisi.
– Le saisira-t-elle? intervint M. Anselme Benoît. Je ne le crois pas. Venceslas Labinowski, qui