Название | Barnabé |
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Автор произведения | Fabre Ferdinand |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Mais, monsieur le curé, intervint la bonne gouvernante, flairant mes secrètes angoisses, notre pétiot va bien s’ennuyer avec un médecin qui, les trois quarts du temps, court dans la montagne après ses malades, et, durant l’autre quart, a le nez fourré dans les livres de son métier. Encore si M. Anselme Benoît était marié, s’il y avait une femme chez lui; mais on raconte…
– Marianne!
– Oui, on raconte qu’il court après cinquante jupons à la fois, quand il serait si honnête d’en tenir un tant seulement à la maison. Au fait, interrogez Barnabé.
– Marianne! s’écria mon oncle avec un effort pour grossir sa voix.
– Enfin, je tais ma langue. Mais mon avis est que nous ne pouvons abandonner notre enfant en de pareilles mains.
– Où voulez-vous alors, si vous persistez à aller voir votre frère, que je laisse mon neveu? Vous savez bien que ses parents habitent, en ce moment, à plus de vingt lieues des Aires, et que le temps me manque pour entreprendre un voyage à Lunel.
Il se tourna vers moi.
– Veux-tu aller demeurer chez M. Combal? me demanda-t-il.
– Chez M. le maire? répondis-je, implorant plus que jamais la vieille gouvernante de mes deux yeux suppliants.
– Préfères-tu attendre notre retour chez les Garidel? insista mon oncle. Simonnet Garidel est un ami pour toi…
– Oh! il a vingt-deux ans, et je n’en ai que douze, murmurai-je.
– Et pour quelle raison, monsieur le curé, courir chercher si loin ce que vous avez sous la main? s’écria tout à coup Marianne. Que le bon Dieu vous bénisse! Qui vous empêche de confier l’enfant à Barnabé? Tous les jeudis, après ses devoirs, ne va-t-il pas à l’ermitage de Saint-Michel, pour y faire les cent coups? Puis Baptiste a de l’esprit, sans comparaison, comme vous et moi, et cette bête distraira notre pétiot.
– Comment, il te plairait de passer plusieurs jours à l’ermitage?
– Barnabé est si complaisant pour moi! répondis-je. La semaine passée, Baptiste, que j’avais monté avec la permission du Frère, a galopé jusque par delà le hameau de Margal. Quelle partie! – «Baptiste, ici!» Il venait. – «Baptiste, halte!» Il s’arrêtait.
– Et travailleras-tu un peu à Saint-Michel?
– Je travaillerai, mon oncle, je vous le promets.
– N’oublie pas qu’à mon retour je te ferai réciter la grammaire latine jusqu’au «Que retranché.»
– Je la réciterai sans une faute!
Mon oncle m’embrassa. Des pleurs brillaient au coin de ses paupières. Etait-ce regret de me quitter, ou bien mes brusques transports lui avaient-ils fait faire un retour pénible sur lui-même? Qui sait? peut-être avais-je été bien cruel sans le savoir. Je restai tout interdit, n’osant lever mes yeux, qui, sans bien démêler pourquoi, venaient subitement de se remplir de larmes. Marianne, troublée, pour dissimuler un chagrin accablant, quitta sa place sur le granit du foyer, et vint considérer la malle, dont elle ferma à double tour la serrure et le cadenas.
Cependant mon oncle demeurait immobile, pétrifié, promenant des regards vagues à travers les diverses pièces du presbytère, bouleversé de fond en comble. Tout à coup son visage pâle se colora d’une rougeur suspecte. Il toussa. Ce fut une quinte terrible, une quinte qui, ébranlant toute la machine de la tête aux pieds, ne lui permit pas de rester debout. Suant, soufflant, rendu, il s’assit.
A ce moment si triste, parut M. Anselme Benoît.
– Vous voyez, mon ami, lui dit-il, qu’il n’y a plus à hésiter. Plût au ciel que vous eussiez suivi plus tôt mes conseils et ceux du docteur Barascut! Je ne prétends pas que les eaux des Pyrénées vous guérissent radicalement; mais, je vous le garantis, elles produiront de l’amélioration. Un peu de courage, que diable! A cinquante ans, un homme est dans toute la vigueur de l’âge, et vous avez encore de longs jours devant vous.
– Que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses! gémit mon oncle.
– Allons, reprit l’officier de santé, la carriole des Garidel est attelée, êtes-vous prêt?
– Je suis prêt.
– La diligence part de Bédarieux pour Béziers à sept heures, et il est cinq heures et demie à présent. Nous n’avons pas de temps à perdre. Êtes-vous heureux! vous allez voir des villes superbes: Béziers, Narbonne, Perpignan…
M. Anselme Benoît se courba et passa sa main droite à l’une des poignées de la malle.
– Marianne, fit-il, désignant l’autre poignée à la gouvernante.
La malle fut enlevée.
Une minute après, la carriole, dirigée par Simonnet Garidel, disparaissait derrière le four communal des Aires, et descendait vers la grande route, dans le fond de la vallée d’Orb.
Marianne et moi, qui avions accompagné mon oncle jusque sur la place du village, nous rentrâmes à la cure en pleurant.
VI
Le lendemain, Barnabé, que Marianne avait fait prévenir aussitôt après le départ de mon oncle, arriva de bonne heure chez nous.
Mais, avant d’aller plus loin en ce récit, il me paraît indispensable d’en portraire minutieusement le héros.
Barnabé Lavérune, ou mieux frère Barnabé, comme on l’appelait aux Aires et partout dans les environs, était un énorme paysan de cinquante-cinq ans, aussi grand, aussi robuste qu’un châtaignier de la montagne. Il avait des bras démesurés, se terminant par des mains cartilagineuses, armées de doigts longs, durs et poilus. Son visage, au beau milieu duquel s’épatait, semblable à un champignon dans les bruyères, un gros nez tuberculeux sillonné de veinules violacées, avait un caractère de gouaillerie ironique qui faisait songer à ces personnages plantureux dont le génie de Rabelais peupla l’abbaye de Thélesme. Les yeux de Barnabé, noirs, petits, étaient singulièrement perçants. Une barbe touffue lui descendait jusqu’au bas de la poitrine, grise autour de la bouche largement coupée, d’un blanc ambré au-dessous du menton.
Notre homme, qui, depuis plus de dix ans, appartenait à la Congrégation des Frères libres de Saint-François, était habillé, accoutré devrais-je dire, d’une soutane. Cette soutane, dans laquelle mon oncle s’était trouvé à son aise, craquait en maints endroits sur la vigoureuse armature de l’ermite de Saint-Michel. Il faut le reconnaître, c’est seulement après huit ans de bons et loyaux services que le curé des Aires avait consenti à se séparer de ce vêtement, élimé par la brosse, aminci par l’usure, un peu troué par-ci par-là. On devine comme ce fourreau de vieux drap, luisant à tous les plis, et dans lequel notre Frère s’était glissé non sans effort, ainsi que dans une gaîne, devait lui aller. Mon oncle étant de petite taille, l’étoffe de la soutane tombait ni plus ni moins jusqu’aux genoux de l’ermite, et là, abandonnait ses tibias à un pantalon de velours bleu, dit chez nous velours d’Espagne, et très en faveur auprès des paysans cévenols.
Aux premiers jours de sa moinerie, pour emprunter le mot de maître François, dans toute la ferveur de sa vocation nouvelle, Barnabé avait caressé le rêve de s’acheter un froc de bure avec capuchon, en tout pareil à celui de la plupart de ses confrères. Mais à la longue, il était revenu de cette coquetterie, ne pouvant se résoudre à toucher au magot de Félibien. Tirer vingt francs du bas sacro-saint au fond duquel gîtait son trésor, c’était, lui semblait-il, ruiner Félibien, lui voler ses montres, ses pendules, le magasin qu’il entrevoyait pour lui dans l’avenir, et il avait accepté avec résignation toutes les loques qu’on lui offrait.
Notre