Barnabé. Fabre Ferdinand

Читать онлайн.
Название Barnabé
Автор произведения Fabre Ferdinand
Жанр Зарубежная классика
Серия
Издательство Зарубежная классика
Год выпуска 0
isbn



Скачать книгу

j’y serai mieux qu’avec vous, car Marion au moins ne se gaussera pas de moi, riposta-t-il.

      – Personne, ici, ne songe à se moquer de vous. On vous permet donc de continuer l’histoire de Venceslas, à une condition pourtant, c’est que vous surveillerez vos expressions.

      – Mes expressions! mes expressions!.. Ah ça! croyez-vous que moi, j’ai, durant des années, poli comme vous le banc des écoles avec le fond de mes chausses! J’étais vannier quand ce bon M. le curé, qui avait dit un mot de la chose à Monseigneur, me fit présent d’une soutane et du même coup m’accorda l’ermitage de Saint-Michel. Voilà. Je parle donc avec les mots de chez nous, et, lorsque la langue se trouve à court, les bras l’aident à finir la besogne… Je vous baille présentement l’histoire amoureuse de Venceslas, et M. le médecin me rit au nez. Qui sait s’il rirait d’aussi bon appétit, si je vous racontais la sienne. Tout le monde connaît, aux Aires et dans les environs, que les jupons ne lui font pas peur, à M. Anselme Benoît.

      Mon oncle leva la tête et fut au moment de lancer quelques paroles vives à Barnabé, peut-être à le sommer d’avoir à quitter la table; mais un chatouillement qu’il éprouva soudain à la gorge lui ravit toute haleine, et il recommença à tousser.

      – Voilà ce dont vous êtes cause, vous! dit le docteur à l’ermite d’un ton irrité.

      Ce reproche atteignit profondément le Frère de Saint-Michel. Sa face se crispa, et ses vitres, comme il appelait ses yeux, se troublèrent. Obéissant à son cœur, resté bon dans la perversion native du sens moral, il se leva et alla tomber à genoux aux pieds de mon oncle.

      – Monsieur le curé, mon excellent monsieur le curé, je vous jure, foi d’honnête homme, que je ne vous occasionnerai plus le moindre déplaisir.

      Et, pour donner une idée des regrets qui lui bouleversaient l’âme, de son poing fermé il s’asséna un coup terrible sur la poitrine.

      Mon oncle, touché, se pencha. A l’étonnement général, il embrassa le Frère.

      – Pardonnez-lui tous, balbutia d’une voix éteinte le curé des Aires. Si vous saviez avec quel dévouement Marianne et lui me soignèrent, pendant la longue pneumonie qui m’a laissé cette affreuse toux… Ce pauvre ermite!.. Tout le temps que dura la crise, le jour, la nuit, Barnabé ne déserta pas mon chevet, me souriant, m’encourageant, m’administrant tisanes et potions, ses deux yeux inquiets fixés sur moi. Et comme il était docile à la moindre parole de Marianne, comme il volait au moindre geste, ici, là, partout où on avait besoin de l’envoyer! Ah! il ne ressemble guère à Barthélemy Pigassou, ermite de Saint-Raphaël! Barnabé seul, je m’en souviens, parvenait, sans me faire souffrir, à me retourner dans mon lit, tantôt sur le côté gauche, tantôt sur le côté droit, tantôt sur le dos. Un malade est toujours exigeant. Eh bien! tous mes caprices ne purent lasser sa bonne volonté. Jusqu’au moment où il me fut permis de me lever, le Frère se montra aussi serviable, aussi empressé, aussi généreux. Et quelle joie quand il me vit debout! Je ne puis y songer encore sans me sentir ému et sans lui redire ces mots que je lui ai répétés si souvent: «Merci, mon Barnabé, merci!»

      Il fut contraint de s’arrêter.

      Il y eut un long moment de silence. Ma mère pleurait presque. Quant à moi, il s’en fallait que je fusse à mon aise. Je n’avais plus faim.

      III

Venceslas Labinowski, par des arguments péremptoires démontre qu’il n’est pas boiteux

      Cependant le dîner, qui n’était pas près de finir, Marion ayant voulu se distinguer, après avoir commencé d’une façon joyeuse, menaçait de se terminer fort tristement. Chacun tenait les yeux fixés sur son assiette et mangeait d’un air ennuyé. Le plus morne était mon père, désolé de sa sévérité envers l’ermite de Saint-Michel, sévérité qui avait pu affliger mon oncle, habitué à tout supporter du Frère et à tout lui passer. Comment réparerait-il sa faute? C’est à quoi il songeait. A la longue, rien ne lui sembla plus capable de faire oublier à Barnabé l’admonestation un peu dure de tout à l’heure, que de l’inviter à poursuivre le récit de l’aventure de Venceslas Labinowski. La mauvaise humeur de l’ermite, s’il en conservait, disparaîtrait bientôt, noyée dans les flots de son éloquence, un peu trop salée sans doute, mais abondante, curieuse, singulièrement drôle et imagée.

      – Eh bien, Barnabé, lui dit-il, vous nous avez mis l’eau à la bouche et vous nous plantez là maintenant?

      – Mais… balbutia le Frère, promenant des yeux pleins d’hésitation autour de la table.

      – Il nous faut la fin de votre histoire, insista mon père.

      – Il nous la faut absolument, appuya M. Anselme Benoît.

      – Puis-je parler, monsieur le curé? demanda-t-il d’un ton humble, presque piteux.

      Mon oncle se contenta d’acquiescer du geste.

      – Vous comprenez, dit l’ermite, repartant toutes voiles dehors, que voir couler son sang rouge sur le gravier, à la nuit, dans une ville étrangère, il y a là de quoi vous bouleverser tout l’estomac. Pourtant je ne perdis pas la caboche. Je m’encourus à l’Auberge des Deux-Mulets, où, m’étant plongé, comme fait un canard, quatre ou cinq fois la tête dans l’abreuvoir aux bêtes, la fraîcheur de l’eau arrêta la rivière de mon nez… Vous voyez d’ici la nuit que je dus passer. Ah! je vous le déclare, je ne rêvai point, ainsi que cela m’arrive quelquefois, de mon magot de Saint-Michel. – Vous ne le répéterez à personne, mais sachez que, sans que ça paraisse, j’ai bien six mille francs de bons écus blancs au fond d’un bas pour établir Félibien, «quand son heure sera venue», comme on lit dans le saint Evangile. – Au petit jour, je bridai hardiment Baptiste, et nous allâmes rôder à travers la ville. Pour dire vérité, je comptais bien achever de remplir l’outre de peau de bouc que ma bête portait sur son dos et où il manquait dix litres encore; mais au fond, si j’allais vaguer par tout Béziers, c’était dans l’espoir de rencontrer Venceslas. Quelle bataille! Rien ne m’eût empêché d’assommer sur place ce vaurien, ni ma soutane, ni mon bourdon, ni la règle de Saint-François, ni le bon Dieu lui-même en personne. On est homme avant d’être ermite, me semble-t-il… J’eus beau fouiller les places, les boulevards, n’oublier aucune de ces ruelles où s’abritent, semblablement à des taupes en leurs terriers, les méchantes femmes sans vergogne, pas plus de Venceslas que sur ma main. – Oh! je rencontrai M. Briguemal. Il allait porter une pendule à la sous-préfecture. Quelle pendule, Seigneur-Jésus! Figurez-vous que c’était un homme en bronze, tout pareil à Paul Riquet, et que les heures lui sonnaient dans le ventre…

      – Avançons, Barnabé, avançons! interrompit M. Anselme Benoît.

      – M. Briguemal fit jouer le grand ressort, puis…

      – Et Venceslas? interjeta mon père.

      – M’y voilà, les amis, m’y voilà…

      Il se recueillit quelques secondes.

      Il continua:

      – Cependant notre promenade, de Saint-Aphrodise à Saint-Jacques et de Saint-Jacques à la Madeleine, – il y a cinquante églises dans ce Béziers, mais on n’y est pas plus dévot pour ça, – ennuyait visiblement Baptiste, et d’autant plus que, un verre de vin par-ci, une bouteille de vin par-là au pauvre Frère, l’outre de bouc était devenue comble à souhait… Que faire?.. Peut-être, ayant rompu le licou de Saint-François pour courir après Catherine, mon gueux de Venceslas, son régal fini, était-il rentré à Notre-Dame de Cavimont.

      « – En route, Baptiste, mon ami! m’écriai-je en montrant le chemin de chez nous.

      «Et nous laissâmes Béziers et M. Briguemal derrière les talons.

      «Tout en cheminant, il me vint bien comme ça dans les esprits d’aller au plus pressé, et, auparavant de bouter pieds à Saint-Michel, de monter en droiture à Notre-Dame de Cavimont. Malheureusement, à la descente de