La Théorie Postcoloniale. Leon-Marie Nkolo Ndjodo

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Название La Théorie Postcoloniale
Автор произведения Leon-Marie Nkolo Ndjodo
Жанр Социология
Серия
Издательство Социология
Год выпуска 0
isbn 9783838276458



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contemporain africain opère désormais au sein des réseaux globaux de la finance et de l’échange, dont il devient le héraut. De quelle manière la puissance d’hybridation du « capitalisme postmoderne » (Vakaloulis, 2011) se saisit-elle de l’objet d’art africain en lui imprimant la marque de l’indéterminisme, du non-sens, du bizarre et du nomadisme ? A quel point cette intrusion du marché légitime-t-elle la transformation liquide des imaginaires culturels dans l’Afrique noire contemporaine ? Il s’agit là de questions essentielles.

      En Afrique, dans l’espace francophone en particulier, la littérature, l’anthropologie, la science politique, l’esthétique et la philosophie ont densément exploré cette question de l’imagination culturelle en relation avec le « nouvel esprit du capitalisme » (Boltansky et Chiappelo, 1999 ; Nkolo Foé, 2008). Il n’est qu’à citer, pour s’en convaincre, les travaux de J.-F. Bayart, J.-G. Bidima et A. Mbembe. Faisant suite aux œuvres de fiction des romanciers tels que Y. Ouologuem, A. Kourouma ou S. Labou Tansi, cette imposante théorisation s’est illustrée par la production d’un ensemble de concepts-clés : « culture par le bas », « esthétique des marges », « esthétique de la vulgarité », « Afropolitanisme », « contamination culturelle ». Figures tant de la pensée abstraite que de la création, ils ont théorisé le flottement du monde dont les processus disjonctifs d’assemblages et de réassemblages culturels impriment un nouvel imaginaire africain insolite, superficiel, subalterne, mais non moins connecté au monde globalisé – un imaginaire de la circulation des mondes, de l’Afrique-monde, diront A. Mbembe, F. Sarr et bien d’autres. Au cœur de la condition postcoloniale africaine se trouve donc la problématique des formes, des niveaux d’autonomie individuelle et collective autorisées par cet imaginaire décalé et brinquebalant qui travaille par enroulement sur soi, enchevêtrement des signes et des figures, concaténation des univers et des territoires, empilement et superposition des identités itinérantes, car foncièrement inachevées – des identités en devenir.

      L’intention est donc de suivre les contours culturels de ce monde-africain-à-venir décentré et en pointillés. La prétention est de débusquer le sens philosophique de l’Afrique liquide et d’examiner la pertinence de son utopie culturelle structurante – le voyage, le passage, la traversée, l’itinérance. Cette démarche se justifie au regard de l’existence d’autres imaginations africaines de soi portées en revanche par des politiques culturelles de l’enracinement, de l’auto-centrement et de la conscience de soi, politiques culturelles non exclusives de l’Autre et pleinement engagées dans le procès de production de l’Universel. Le terme de ce procès dialectique est une synthèse spécifique. A. Césaire, reprenant le mot de Hegel, la nommait le Singulier. La présente contribution se veut une pensée critique sur la manière dont l’Afrique-qui-vient élabore une sensibilité d’elle-même suspendue à des symboles, des effigies, des figures, des images, des sons, des émotions. Ces signes lui parlent de soi ; ils lui parlent éventuellement du monde. Cette sensibilité propre à « l’Afrique-monde » marronne nécessairement au-delà de l’art pour embrasser l’espace entier de l’invention culturelle : société, histoire, politique, économie, idéologie, science, etc. L’Afrique culturelle prise dans sa globalité est l’objet du propos.

      Deux approches guident notre pensée de l’Afrique culturelle postcoloniale : une approche empirique et une approche théorique.

      L’approche théorique mobilise un ensemble de courants, de doctrines, de méthodologies et de concepts forgés dans les champs de la philosophie, des sciences humaines et sociales, et des sciences esthétiques. Ce matériau abstrait et spéculatif autorise une pensée de l’objet d’art africain dans sa relation complexe et dialectique avec le phénomène historique que constitue l’étape actuelle de concentration flexible du capital au sein du marché mondial (Reich, 1993). En plus d’être une force matérielle, la globalisation est un Zeitgeist (esprit du temps). L’embrasser dans la