La Théorie Postcoloniale. Leon-Marie Nkolo Ndjodo

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Название La Théorie Postcoloniale
Автор произведения Leon-Marie Nkolo Ndjodo
Жанр Социология
Серия
Издательство Социология
Год выпуска 0
isbn 9783838276458



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et puissant ». Au-delà de l’art se profile donc un enjeu civilisationnel qui porte sur la société, l’histoire, la politique, l’idéologie, la science, etc., et où s’affrontent deux visions antinomiques et antithétiques du « monde-qui-vient » ou de « l’Afrique-qui-vient » au sein de notre conscience.

      Il y a d’abord « l’Afrique-monde » dont l’utopie se structure autour du voyage, du passage, de la traversée, de la circulation, de la migration, de l’itinérance, du frayage, du diasporique, car en elle est en gésine le déracinement et le refus de faire de l’Afrique « un centre en soi », puisqu’il n’y a plus de disjonction entre la nation et l’Empire.

      Il y a par contre la perspective qui reçoit les suffrages de Nkolo Ndjodo. Il la voit émerger, à travers des imaginations de soi portées par une vision esthétique, culturelle et politique de l’enracinement, de l’autocentration et de la conscience de soi – politiques culturelles non exclusives de l’Autre et pleinement engagées dans le procès de production de l’Universel. Le terme de ce procès dialectique est une nouvelle synthèse. Reprenant le mot de Hegel, A. Césaire la nommait le Singulier. Contre la restructuration phénoménale de la conscience africaine que donne à voir la pensée postcoloniale à travers une « créativité atomisée », Nkolo Ndjodo oppose des formes de l’imagination africaine de soi qui puisent leur pouvoir instituant dans le refus de la raison et des peuples à la pléonéxie (à savoir le fait de vouloir toujours avoir plus que sa part), l’objectif étant, avec Fanon, de « sortir de la nuit » du capitalisme impérial. Il s’agit d’une tâche utopique que Nkolo Ndjodo définit comme une « vision cosmo-esthétique ». Celle-ci veut de nouveau rendre l’œil africain sensible à la beauté, en l’éloignant de la seule utilité économique. La vie africaine sera alors belle, c’est-à-dire libre, épanouissante, équilibrée et puissante, en somme une « belle œuvre » qui naît sur les décombres et les dégâts apportés par le néolibéralisme et son faux concept de l’art et de la vie esthétique qu’on voit dans la vision postcoloniale de l’art. Avec Habermas, l’utopie que poursuit Nkolo Ndjodo est la création des conditions matérielles et intellectuelles d’une modernité non capitaliste : rendre « la vie belle » doit se faire par la libération des sens de l’homme rétabli dans la totalité de ses besoins vitaux et d’accomplissement (nutrition, logement, procréation, connaissance, contemplation, création, croyance, symbole), sa vie est alors sur la voie de sa transformation en « œuvre d’art » avec la fin de l’oppression bourgeoise, car « guérir l’ajusté [au marché mondial] revient donc à changer pratiquement de société, à changer concrètement de monde ». La psychiatrie ne permet plus de soigner ou de remettre sur pied le sujet africain ajusté à travers le traitement avec les antidépresseurs, par anxiolytiques ou par thérapie cognitive et comportementale.

      On peut regretter que Nkolo Ndjodo – en dehors d’une note rapide – n’affronte pas frontalement la perspective d’Achille Mbembe qui entend neutraliser d’un point de vue postmoderne Fanon. La pensée de ce dernier est réduite au rang d’un « processus général de cure », d’une « dimension éthique des soins et de la guérison », d’une « éthique du soin », d’une « relation de soin », c’est-à-dire qu’elle est réduite au care, à la réparation, entreprise que poursuivent les travaux webinairisés sous l’annonce « Fanon After Fanon », en vue de retrouver le lien dynamique entre le politique et le clinique. On sait que, dès le Moyen Âge avec les Dominicains, la cura animarum (le soin des âmes) était une mise au pas. Mais cette mise en perspective critique doit en même temps retrouver la vision esthétique, de la culture et de l’art de Fanon, celle qui nait de sa volonté d’extirper les germes de la pourriture laissée par la colonisation, cette maladie à guérir par le processus révolutionnaire.

      La thèse critique fondamentale de Nkolo Ndjodo est que « l’imagination culturelle dite « postcoloniale » est la forme de l’inventivité propre aux sociétés néocoloniales de l’époque néolibérale : elle accompagne et légitime au niveau de la conscience esthétique africaine la phase actuelle de l’insertion violente de l’Afrique dans le marché mondial.

      De là découlent trois affirmations fondamentales.

      1. Le flottement de la culture contemporaine correspond aux formes déterritorialisées et anonymes du capitalisme multinational de la fin du XXe siècle ; il se caractérise par sa volonté de détruire les structures collectives pour ne laisser debout que le calcul égoïste. De ce point de vue, la morale culturelle internationaliste, cosmopolite ou hybride de la théorie postcoloniale est une pernicieuse idéologie de la soumission.

      2. Aussi, en deuxième lieu, à travers la notion d’« hybridité », le flottement de la culture africaine contemporaine à travers un nouveau cosmopolitisme ratifie-t-il le caractère débridé et subalterne des régimes d’exploitation capitalistes de la périphérie par le biais d’un art qui consacre l’insertion clandestine, marginale et interstitielle de l’Afrique dans la modernité.

      3. Les philosophies et esthétiques de la liberté s’opposent vigoureusement à une « réinsertion frangée » du sous-continent dans le monde moderne. Dès lors, pour celles-ci, la réémergence au monde de l’Afrique passe par le besoin de reformuler les orientations de ses arts et de ses cultures par un grand effort de clarification et d’unification de la conscience autour de l’idée de construire l’Afrique comme un centre autonome de civilisation et de culture.

      Voici un livre vigoureux qui veut nous sortir du découragement que l’esthétique et la pensée postcoloniales veulent installer dans nos consciences. Il est servi par un grand souci de clarté et d’intelligibilité. Il sera un précieux outil pour mieux comprendre notre univers mental.

      Charles Romain Mbele

      Professeur Titulaire

      Université de Yaoundé I

       Remerciements

      Ce livre est une synthèse des recherches conduites depuis une décennie sous la houlette de maîtres bienveillants, les Professeurs Nkolo Foé, C. R. Mbele et L. Ayissi. Je dois mes premiers pas en philosophie à ces maîtres de qui je tiens les bases du raisonnement logique et les principes de la pensée critique. Dans leur effort théorique, ils m’ont mis sur la voie de la problématique esthétique et culturelle postmoderne et postcoloniale. Mes remerciements vont en premier lieu à ces hommes d’exception, penseurs d’envergure, pédagogues compétents et modèles de vie éthique.

      Les thèses fondamentales développées dans ce livre ont été exposées sous formes d’intuitions lors de séminaires, d’ateliers d’écriture et de conférences organisés par le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Mes remerciements vont à ces institutions et à quelques personnalités éminentes, notamment les Professeurs J.-B. Ouédraogo, A. Olokushi, B. Mvé Ondo et S. Pathé Guèye de regretté mémoire.

      Le livre est le fruit de la collaboration scientifique avec le Dr M. Kuhn, le Dr Y. Okamoto et le Professeur S. Yazawa au sein du World Social Sciences and Humanities Network (WSSH Net). Il s’est nourri des échanges sur les poétiques de la révolte, l’hybridisme et le diasporique avec des amis chers, en particulier J. Des Rosiers, J.-M. Rosier, A. Dickow, G. Désert et B. Malela dans le cadre de l’Association Mélanges Caraïbes (AMC). Je leur témoigne ici toute ma gratitude. Cette reconnaissance va également au College of Teacher Education et à l’Institut d’Etudes Africaines (IAS) de l’Université Normale du Zhejiang (ZJNU) en Chine, en particulier aux Professeurs J. Yujiao de regretté mémoire, W. Xiulan et L. Hongwu.

      Je suis redevable au Professeur Idrissou Alioum, Recteur de l’Université de Maroua, au Professeur C. Dili Palaï, Directeur de l’Ecole Normale Supérieure de Maroua et au Professeur Saibou Issa, Doyen de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Maroua, pour leurs encouragements et leurs appuis multiformes.

      Enfin, pour leur soutien constant, je remercie mon adorable épouse, Marie