Le domino rose. Alexis Bouvier

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Название Le domino rose
Автор произведения Alexis Bouvier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066330385



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vous suivons.

      Renée dit bas à Sidie:

      –Sidie, c’est mal ce que tu me fais faire.

      –Tu n’es qu’une niaise, c’est ton avenir que tu compromets.…je ne te quitte pas, tu n’as rien à craindre et tu seras à même’ au moins de lui parler sérieusement. tu l’aimes, n’est-ce pas?

      –Oh! oui, fit en soupirant la jeune fille.

      Les deux hommes étaient entrés, les jeunes filles les suivirent et quelques minutes après, ils étaient installés dans un cabinet du premier étage autour d’une table servie. Rochon, assis sur le canapé, près de la grande Sidie, riant comme une folle de ce qu’il lui disait; près de la fenêtre, assis l’un en face de l’autre, Maurice tenait dans ses mains les mains de Renée, il la contemplait et lui parlait doucement. Celle-ci, souriante et regardant en dessous, écoutait ce chant d’amour si doux, à l’oreille qui l’entend pour la première fois. Rochon disait à Sidie en lui montrant les deux amoureux:

      –Regarde-moi ça, Sidie, Platon qui conte des blagues à une jeune grecque.

      –Vous, dit en riant Sidie, je vous défends de me tutoyer.

      –Ils mangent des phrases… Nous, allons-y du coup de fourchette. Prenez donc des huîtres.

      Sans s’occuper d’eux, Maurice disait à Renée:

      –Pourquoi, Renée, avez-vous peur de moi?…

      –Je n’ai pas peur de vous, M. Maurice, j’ai honte, parce que je fais mal.

      –On ne fait pas mal d’aimer qui vous aime?… Je ne vous parle pas d’un amour banal qui s’éteint avec la honte qu’il laisse, je vous parle d’un amour sincère, pur comme vous, un amour qui durera la vie entière.

      –C’est bien vrai, ce que vous me dites là?

      –En doutez-vous?

      –Nos situations ne sont pas égales… Vous êtes riche, je suis pauvre.

      –Vous vous trompez, Renée, je ne suis pas riche, il me faut comme vous travailler pour vivre. Je dois l’aisance relative dans laquelle je vis à l’affection d’un oncle, mon unique parent, qui me considère comme son fils.

      –Vous n’avez ni votre père, ni votre mère?

      –Non, Renée, personne à aimer…

      –Que vous devez être malheureux!... Si vous saviez comme elle m’aime, ma mère…

      –Vous le méritez.

      –Pas aujourd’hui, car près de vous je fais mal… Oh! si elle savait cela… Je n’ose y penser… et cependant il faudra bien le lui dire… Vous me le promettez?

      –Je vous le jure, Renée.

      –Je ne peux croire que vous m’aimez.

      –Et pourquoi?

      –Vous êtes heureux, élégant; vous vivez dans un monde intelligent, où vous rencontrez sans cesse des femmes plus belles, plus instruites, plus intelligentes que moi… Comment pourriez-vous avoir un amour véritable pour une petite ouvrière?…

      –Si vous saviez, Renée, quelles qualités sont à mes yeux les défauts que vous vous trouvez, l’innocence, la simplicité, la timidité, autant de vertus dont vous n’appréciez pas la valeur parce que vous les avez… Point de coquetterie en vous…

      –Vous trouvez cela parce que vous me connaissez peu… Peut-être même le soir, après m’avoir quittée, allez-vous avec d’autres rire de moi, qui ai cru à ce que vous m’aviez dit.

      –Mais quelle méchante pensée avez-vous là… Vos mains sont dans les miennes, levez les yeux, Renée… mes regards sont fixés sur les vôtres… Comprenez-vous? Vos mains tremblent… Mes yeux ne mentent pas, Renée, je vous aime, Renée, je n’ai en moi qu’un amour, qu’un culte, vous…

      En disant ces mots, Maurice avait attiré la jeune fille vers lui et ses lèvres se posèrent brûlantes sur le front de Renée qui jeta un petit cri et se leva vivement.

      Rochon dit en riant:

      –Bon! voilà ceux qui lisaient Platon qui font une corne à la page.

      Et comme il glissait son bras autour de la Sidie, voulant aussi l’embrasser, la grande fille se dégagea en disant la main levée:

      –Ah! pas de ça! ou la gifle… nous ne sommes ici que pour causer.

      –Ah! ben, elle est forte, celle-là! dit Rochon ébahi et montrant les plats vides: c’est ça que vous appeler causer?

      La grande Sidie et Maurice éclatèrent de rire…

      Renée dit à Maurice qu’elle voulait partir. Elle craignait que sa mère ne vînt au devant d’elle et, ne la rencontrant pas, n’allât chez sa patronne. Le jeune homme s’offrit à la reconduire. Elle refusa, et, au désespoir de Rochon, la grande Sidie se leva pour accompagner son amie; mais on avait pris rendez-vous pour le surlendemain.

      Quand les deux jeunes filles furent parties, Rochon furieux s’écria:

      –En voilà assez de ces amours-là!… Tout ça se passe trop à la conversation… Je vais à Bullier… Faut donc M. le maire pour aimer ces femmes-là… Bonsoir les petites ouvrières!

      C’était un bien joli tableau qui venait de s’effacer que celui de Mlle Renée près de Maurice, quand celui-ci, dans l’encadrement des rideaux de la fenêtre, tenait dans ses. mains brûlantes les mains mignonnes de la belle enfant. Quels regards ils échangeaient, et combien à cette heure elle était loin du cerveau de la jeune fille l’idée de rompre avec M. Maurice! Quels menteurs que les amoureux! Belle chose, au reste, que l’amour des jeunes! Admirable chose surtout que Mlle Renée, et qu’elle valait bien les longues minutes d’extase qui ravissaient le jeune homme! Que d’embarras, que dé confusion et aussi que de désirs;… c’était bien ce bon amour d’enfant qui fait des châteaux en Espagne, qui donne que de bonnes et douces pensées et dont le but et le mobile sont purs comme l’âme de celui qui le ressent.

      Renée avait des cheveux châtain-roux, un nez fin dont les narines roses se dilataient dans le sourire, ses yeux bleus étaient doux, dans l’ombre de leurs grands cils retroussés, et la peau paraissait plus blanche sous les sourcils bruns, épais et soyeux. Les lèvres purement arquées souriaient souvent en laissant voir des petites quenottes d’un blanc laiteux, enchâssées dans des gencives peut-être un peu trop pâles; le sourire creusait dans les joues deux fossettes adorables.

      Ni trop grande ni trop petite, admirablement faite,-la taille ronde et fine, souple et gracieuse en tous ses mouvements; la santé se lisait dans la transparence des chairs; des mains adorables, des doigts fins à ongles roses... et tout cela n’avait pas encore dix-sept ans!

      Un grand malheur, cependant, malgré des apparences robustes, l’enfant avait un mal étrange, qui pouvait l’enlever en une nuit, dans une crise morale, il fallait lui éviter les grandes émotions. Ce mal, avait dit le médecin, elle le devait à une terreur de sa mère, alors que celle-ci la portait dans ses flancs, et c’est la maternité qui seule l’en délivrerait… Mademoiselle Renée ignorait, heureusement, son état.

      On a vu que l’amoureux de Renée n’était pas un gaillard hardi, ayant le propos libre et passé maître en l’art d’aimer: non; il était le digne pendant de son amoureuse.

      C’était un grand garçon de vingt-quatre ans, il entrait dans sa vingt-cinquième année, grand, bien pris, svelte, élégant; le geste était aisé, les mouvements rapides, et, quoique négligemment vêtu, on sentait en lui l’homme distingué.

      La tête était belle, l’œil noir avait cette vivacité qu’on qualifie d’œil fripon, il était un peu enfoncé sous les sourcils très-bruns