Le domino rose. Alexis Bouvier

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Название Le domino rose
Автор произведения Alexis Bouvier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066330385



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de poison dans un coffret, j’ouvris le coffre, pris la fiole et la jetai par la fenêtre… elle éclata de rire… Je sortis furieux en lui disant: «Cette nuit, madame, vous dormirez: la nuit porte conseil,» et je l’enfermai chez elle.

      –Quelle heure était-il?

      –Une heure du matin, environ. Le matin, en m’éveillant, j’allais pour essayer de faire la paix… La porte de sa chambre était ouverte… elle était partie.

      –Elle avait des doubles clefs de l’appartement?

      –Non, monsieur… je le croyais, du moins. Sur le guéridon de sa chambre était cette lettre.

      Le mari de la morte donna une lettre au commissaire, qui lut:

      «Ne vous en prenez qu’à vous du malheur qui arrive… Adieu! Vous ne me reverrez plus. Adieu!

      » HÉLÈNE.»

      Pendant que Verdier se lamentait, le commissaire disait:

      –C’est un suicide, tout cela est clair. La malheureuse, folle de rage, craignant de manquer de courage, s’est empoisonnée; puis, de la rue Gaillon, elle a couru vers la Seine au quai des Tuileries, voulant se jeter à l’eau. Sur le quai, elle est tombée foudroyée par le poison: c’est ce que supposait tout à l’heure le docteur.

      –Ainsi c’est moi! c’est moi qui l’ai tuée… pauvre Hélène! A cette pensée je deviens fou… Oh! mon Dieu… je veux la revoir… l’enlever d’ici… Où est-elle?…

      Et sortant précipitamment du greffe, il se dirigea vers la salle d’exposition; mais, dans la pièce précédente, il se trouva devant la civière sur laquelle on venait de placer le corps…

      Le malheureux se jeta sur les restes mortels de la belle Dame aux Violettes, prenant la tête entre ses bras, couvrant son front, ses yeux et ses lèvres de baisers, gémissant, pleurant et ne contenant plus les sanglots qui lui déchiraient la poitrine…

      C’était un triste tableau, qui, malgré eux, émotionnait vivement les gens habitués à le voir.

      Sur l’ordre du commissaire, on entraîna le malheureux Verdier défaillant, jusqu’au greffe, où il donna les signatures nécessaires…

      –Monsieur, c’est un grand malheur, il faut du courage; je respecte votre douleur et la cause de la mort étant connue, je clos l’enquête… Le corps va être transporté chez vous Il faut être fort, imposer à votre douleur, écouter votre raison… Pour vous, pour la mémoire de celle que vous regrettez, il ne faut pas prêter à la médisance.

      –Vous avez raison, monsieur… je serai fort!… Le commissaire reconduisit le mari jusqu’à la voiture.

      –Du courage, monsieur, votre excès d’amour, en vous rendant quelquefois injuste, n’a rien fait en cette occasion: la raison était pour vous. Le malheur est le résultat d’une hallucination momentanée, commune à certaines natures dévorées de désirs. Vous avez fait votre devoir… pleurez… regrettez… mais ne craignez pas le remords.

      –Merci, monsieur, merci.

      La voiture partait lorsque Etienne et Crochin, les deux agents, revenaient tout contrits de n’avoir rien découvert.

      –Nous nous étions trompés, dit le commissaire, ce n’était qu’un suicide.

      Quelques heures après, le corps de la Dame aux Violettes était porté à son domicile, rue Gaillon.

      C’était le soir. A la même heure, Caroline Vallier sortait de chez sa mère en disant:

      –Il faut que je lui parle: peut-être ne sait-il rien.

       LES AMOURS DE CAROLINE

       Table des matières

      La jeune couturière, après avoir descendu la rue Saint-Jacques, suivi les quais, traversé la Seine et le jardin des Tuileries, était entrée dans une maison de la rue Saint-Florentin; sans parler au concierge, d’un pas léger, elle avait grimpé les cinq étages, et s’apprêtait à frapper, lorsque, sentant la clef sur la porte, elle entra. Elle ferma vivement et sans bruit la porte, après en avoir retiré la clef. La pièce dans laquelle la jeune fille se trouvait était plongée dans une obscurité profonde, mais elle la connaissait, car la traversant, elle alla sans hésitation ouvrir une porte placée dans l’angle, et, s’arrêtant, elle demanda:

      –Henri, es-tu là?…

      –Qui est là? qui est là? répondit aussitôt une voix effrayée. Et l’on entendit le bruit d’un pas lourd, comme celui d’un homme sautant sur le parquet… en même temps dans l’obscurité un peu éclaircie par les lueurs de la fenêtre, la jeune fille put voir la silhouette d’un homme qui se mettait sur la défensive. Un sourire vint sur ses lèvres, et elle répondit:

      –C’est moi… C’est Caro!…

      –Ah! que j’ai eu peur, fit la voix de l’homme, avec un soupir.

      –Et pourquoi?

      –Je m’étais jeté sur mon lit tout habillé. tu m’as éveillé en sursaut, je ne savais où j’étais… Quelle heure est-il donc?

      –Dix heures bientôt…

      Et, tout en allumant une bougie, celui que Caroline avait appelé Henri lui demanda:

      –Comment se fait-il que tu viennes si tard?…

      –Je voulais te voir ce soir… et te parler…

      –Me parler?

      –Oui, te parler sérieusement.

      La bougie était allumée, et M. Henri, un beau garçon d’une trentaine d’années, prit les mains de la jeune fille, l’attira vers lui, l’enlaça pour l’embrasser et la fit asseoir près de la lumière pour l’observer, pendant qu’il s’asseyait lui-même en face d’elle en disant:

      –Sérieusement me parler, ma Caro, et qu’as-tu donc?…

      Caroline Vallier releva la tête, et, regardant fixement Henri, elle dit d’un ton grave:

      –C’est une réponse catégorique que je viens te demander.

      Le jeune homme la regarda, fronçant les sourcils avec inquiétude; la tête de la jeune fille était en pleine lumière, et il chercha à lire sa pensée dans son regard. C’était audacieux de croire lire la pensée d’une femme dans ses yeux!… Mais, c’était une chose agréable à tenter en raison du tableau qu’elle offrait, car Caroline, la petite ouvrière, était admirablement belle, qu’on en juge:

      Elle avait environ dix-huit ans, grande et robuste, mais fine de contours, souple et presque élégante d’attaches. Le corsage opulent se liait bien à ses épaules superbes, la gorge forte seyait à sa taille un peu longue, mais admirablement faite, le cou gracieux portait bien la tête, la santé courait sous la peau blanche et diaphane, une peau fraîche, velontée, claire de teint, le front haut, plein de pensées, les yeux vert bouteille paraissant noirs, fondus qu’ils étaient dans l’ombre de ses cils bruns, le nez fin aux narines roses, était droit, pur de profil, la bouche admirablement dessinée et magnifiquement garnie d’une double rangée de perles nacrées, était pleine de sourires… et de raillerie, les oreilles étaient mignonnes et roses, et l’ovale du visage s’encadrait dans une opulente chevelure rousse foncée dont l’éclat et le brillant faisaient encore valoir le teint de la chair. Le maquillage, les poudres, les fards, les pâtes et les mastics n’avaient jamais sali cette saine beauté.

      Caroline Vallier était belle enfin, admirablement belle: aussi le regard d’abord inquisiteur du jeune homme devint-il