Le domino rose. Alexis Bouvier

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Название Le domino rose
Автор произведения Alexis Bouvier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066330385



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      Caroline monta rapidement les quatre étages qui ascendaient au logis maternel. Sa mère, en la voyant entrer, pâle, le regard fiévreux, et le front moite de sueur, lui dit, surprise et inquiète:

      –Oh! mon Dieu, qu’y a-t-il?

      –Rien, mère, ma patronne m’a donné congé pour la journée, en me voyant malade.

      –Malade!… tu es malade, mon enfant?

      –Ce n’est rien… ma migraine; deux ou trois heures de repos et je n’y penserai plus.

      Rassurée, la vieille femme embrassa son enfant, puis poussant un large fauteuil dans l’encoignure de la fenêtre, ayant placé un oreiller sur le dossier, elle obligea sa fille à se reposer. Caroline s’étendit dans le vieux fauteuil et, la tête en arrière, les yeux mi-clos, elle pensa.

      Sa mère l’ayant regardée quelques minutes, se retira sur la pointe du pied en disant:

      –Elle dort, je vais sans bruit faire le ménage. Et elle sortit fermant doucement la porte de la chambre:

      Caroline pensait:

      –Quand il saura qu’elle est morte, que fera-t-il?

       PAUVRE HOMME

       Table des matières

      La jeune Caroline étant partie de la Morgue, suivie par deux agents, le commissaire avait immédiatement envoyé aux adresses données par la jeune ouvrière, et moins d’une heure après, un homme d’environ cinquante ans, élégamment vêtu, se présentait au greffe de la Morgue.

      Il déclara au commissaire se nommer Verdier; on était venu chez lui, rue Gaillon, l’informer qu’une jeune femme vêtue d’un domino rose avait été trouvée morte le matin de ce jour. Sa femme, Hélène Verdier, était partie la nuit même de chez lui dans un costume semblable et n’était pas rentrée.

      Le gardien, suivi du commissaire, conduisit l’homme près du cadavre.

      Lorsqu’il vit le corps immobile et roide sur la dalle, le malheureux jeta un cri, tomba à genoux, et, saisissant les mains glacées de la victime, les dévorant de baisers, il dit, dans un sanglot déchirant:

      –Ah! la malheureuse, c’était vrai!... Hélène. pauvre enfant! Hélène… pardonne-moi… Oh! mon Dieu!… mon Dieu!…

      Et liocquetant de sanglots, pleurant, abîmé dans une douleur profonde, il allait tomber. Les employés le relevèrent, et le menèrent titubant au bureau du greffe.

      Le commissaire le fit asseoir, puis ayant attendu quelques instants et le voyant plus calme, il lui demanda:

      –Vous avez reconnu la pauvre femme… c’est elle que vous cherchiez?…

      –Oui, monsieur, oui! la pauvre enfant… C’est ma femme. Hélène… Oh! mon Dieu, la retrouver ici… nue… répondit le malheureux suffoquant…

      –C’est votre femme… et vous viviez ensemble?

      –Oui, monsieur… Mais, je-vous en prie avant toute chose... Messieurs, enlevez-la de dessus cette dalle. Qu’on lui mette un vêtement. Retirez-la. vite et qu’on la reconduise chez moi…

      –Il faut d’abord, monsieur, dit le commissaire, que nous constations la cause de la mort.

      –La cause de sa mort! Hélas! monsieur, la cause de sa mort, c’est moi.

      –Que voulez-vous dire?

      –C’est moi, moi fou d’amour et jaloux, la tourmentant à toute heure, sans raison, sans motif je le vois maintenant… C’est moi qui suis la cause qu’elle s’est tuée.

      –Tuée! dites-vous…

      ––Elle m’en menaçait sans cesse… Mais allez donc croire qu’une femme de vingt-huit ans, belle et riche, va se tuer…

      –Et vous croyez que la pauvre femme!

      –Une fois déjà, je lui ai arraché des mains un flacon qu’elle menaçait de boire…

      –Il faut, avant que le corps vous soit rendu, que je dresse procès-verbal… Voulez-vous me dire vos nom et prénoms et m’expliquer les faits?

      –Oui, monsieur…

      Le commissaire, voyant l’idée d’un crime s’évanouir et la mort de la malheureuse femme s’expliquer de la façon la plus banale du monde: un suicide–se hâtait d’en finir…

      Il dit aux employés de s’occuper du transport du corps, et le mari de la victime ayant rempli les formalités d’usage et déclarant être prêt à acquitter tous les droits, on s’occupa aussitôt de la lugubre cérémonie…

      Resté seul avec le commissaire, le mari commença ainsi:

      –Monsieur, je me nomme Antoine Verdier, je suis rentier, j’ai presque cinquante ans… et j’ai épousé il y a huit ans Hélène qui a vingt-deux ans de moins que moi… de cette différence d’âge est née notre incompatibilité d’humeur, de là les scènes, les tourments, les tracas qui ont amené ce malheur… Mon Dieu!

      Vous savez, monsieur, ce qu’est la jalousie? Belle, jeune, légère, inspirant à tous le sentiment ardent que j’éprouvais, et me sentant moi, vieux pour elle, sérieux, sévère même, et par cela importun chaque fois que je parlais de la flamme qui me dévorait, et des tourments que j’endurais… A mon âge, amoureux et jaloux, jugez l’absurde mari–las de plaisir et lui refusant ceux que sa jeunesse, que son tempérament ardent réclamaient… Sa légèreté ou plutôt sa gaieté, son caractère original troublait à chaque instant ma confiance… Je doutais enfin de sa fidélité!…

      –Aviez-vous eu au moins un motif?…

      –Non, non!… C’est ma ridicule nature, mon doute en moi-même… qui m’ont fait l’accuser… pour en arriver là… Je suis un misérable…

      Verdier pleura, pendant que le commissaire effaçait les notes qu’il avait prises.

      –Deux fois déjà, à la suite de ces scènes de jalousie, elle avait quitté la maison et était allée demeurer à l’hôtel, me menaçant d’une séparation. Plus amoureux, je courus la chercher et la ramenai heureux pour quelques jours. Puis, quelques jours après, la pauvre enfant était rentrée trop tard, ou avait acheté un bijou… ou n’avait pas assisté au déjeuner… est-ce que je sais? Mes doutes me revenaient, les scènes recommençaient. A la suite de ces scènes elle disait souvent: «Vous serez la cause d’un malheur, je ne puis vivre ainsi, je me tuerai.» Mais toutes les femmes en disent autant; c’est une menace qu’on ne tient jamais. Je le croyais, hélas!…

      –Mais, demanda le commissaire, une scène semblable avait-elle eu lieu entre vous ces jours derniers?

      –Oui, monsieur… plus grave et cette fois, c’est mon excuse, plus motivée que les autres… Hélène aimait le monde, je J’ai en horreur; elle aurait voulu aller au bal, ce à quoi je n’ai jamais voulu consentir… Voir un homme lui prendre la main, lui sourire, enlacer sa taille, lui parler bas… un autre la tenant dans ses bras et boire son haleine… ah! je serais mort ou les aurais tués tous les deux!...

      Deux ou trois fois elle avait voulu vaincre ma répugnance pour aller dans les bals originaux que des artistes de nos amis offraient. Là, sous le masque, on ne pouvait la reconnaître, disait-elle; puis elle ne danserait qu’avec moi, elle ne me quitterait pas le bras… Je refusai… Hier, à l’heure où elle me croyait endormi, j’entrai chez elle, étonné de voir encore de la lumière à cette heure: il était plus de minuit… Elle était costumée en domino rose et prête à sortir… Vous jugez, monsieur, de la