Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes. Louis Nigon De Berty

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Название Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes
Автор произведения Louis Nigon De Berty
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066325930



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contempler ses ruines. Que de fois il s’arrêta indigné à l’aspect du stupide Musulman tantôt indolemment couché sur les débris du Parthénon, tantôt foulant aux pieds les tombeaux des plus grands génies de l’antiquité ! Ainsi, quoique descendue au dernier degré de la servitude, la patrie de Sophocle et de Thucydide n’en conserva pas moins sa célébrité ; désormais le tems lui-même ne pourrait la lui ravir.

      Dans la noble régénération de la Grèce, les Athéniens se sont fait distinguer par leur héroïque persévérance, et, de leurs mains courageuses qu’un long esclavage n’avait pu énerver, ils ont eux - mêmes brisé leurs fers. Dignes de leurs ancêtres, ils se sont retirés, comme eux, dans l’île de Salamine, à l’approche d’autres barbares. En vain les Ottomans leur promirent la grâce de récolter en paix leurs moissons; «Si nous étions vos prisonniers,

      » répondirent-ils, nous ne voudrions

       » même pas nous abaisser à vous demander

       » la vie .»

       Table des matières

      DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE CHEZ LES LACÉDÉMONIENS.

      LE génie de Lycurgue comprit toute la puissance de l’éducation sur l’avenir d’un peuple. On le vit aussi transformer, avec une rapidité vraiment magique, les Lacédémoniens dépravés en guerriers de mœurs simples et sévères; et sa patrie, tant qu’elle demeura fidèle à ses lois, domina sur la Grèce.

      Le gouvernement, que créa Lycurgue, était un mélange de royauté, d’aristocratie et de démocratie.

      Deux rois se partageaient le trône; leur pouvoir était très borné, surtout pendant la paix; ce furent, en réalité, les deux premiers citoyens de Sparte, chargés de présider le sénat. En tems de guerre, ils avaient une autorité plus étendue et le commandement des armées; mais on leur adjoignait encore des commissaires ou inspecteurs qui leur servaient de conseil nécessaire. Ainsi divisée entre deux princes dont la couronne et la désunion semblaient également héréditaires, la puissance royale pouvait difficilement devenir absolue!

      L’aristocratie résidait dans le sénat; il délibérait sur les affaires publiques, et jugeait certaines causes graves. Les fonctions de sénateurs duraient toute la vie: mais il fallait soixante ans d’âge et une conduite irréprochable pour les mériter.

      On soumettait au peuple les délibérations du sénat dans des assemblées convoquées tous les mois; le peuple avait seulement le droit de les approuver ou de les rejeter. S’il venait à les modifier, une loi, rendue sous Polydore et Théopompe, autorisait les rois et le sénat à annuler ce qu’il aurait changé. Ainsi, dans le principe, l’élément démocratique n’était pas fort influent; il consistait principalement dans l’élection des sénateurs laissée au peuple. On devait craindre que les efforts réunis du sénat et des rois ne diminuassent encore la faible part de liberté politique réservée aux Lacédémoniens; mais le caractère de cette nation, avide d’indépendance comme tous les Grecs, s’opposa à cette usurpation. Elle réclama avec énergie des mandataires permanens, et Théopompe confia à cinq éphores la défense de ses droits.

      Chacun de ces magistrats, élu par le peuple, ne remplissait cette importante mission que pendant une année; ils présidaient les assemblées publiques, dirigeaient le choix des fonctionnaires, leur demandaient compte de leur gestion, et, lorsque les rois marchaient à la tête des armées, ils gouvernaient en leur absence. Appelés à statuer sur la plupart des affaires civiles et criminelles, ils pouvaient casser les sénateurs, les faire incarcérer et même les condamner à mort. Les rois étaient obligés de leur obéir à la troisième sommation, et se levaient, dès que les éphores paraissaient dans un lieu public, par déférence pour leur qualité de représentans du peuple. Sous leur protection, les assemblées générales acquirent une haute prépondérance dans le gouvernement.

      Les éphores s’attribuèrent successivement l’inspection des mœurs et de la jeunesse, la surveillance de tous les autres magistrats, l’exécution des lois; mais, non contens de s’être enrichis des dépouilles de la royauté, ils se permirent d’étendre leur juridiction jusque sur les princes, et même quelquefois de les faire arrêter. L’intérêt du peuple avait été le spécieux prétexte dont les éphores s’étaient servis pour s’emparer d’une autorité aussi arbitraire. Ils en abusèrent ensuite pour l’opprimer lui-même, et les défenseurs du peuple devinrent ses tyrans. Sparte, qui n’était, depuis leur création, qu’une république parée des formes monarchiques, se changea en une odieuse oligarchie. Le gouvernement mixte, établi par Lycurgue, fut détruit de fait; l’expérience prouva que la concentration des pouvoirs est aussi favorable au despotisme que leur division est utile à la liberté.

      Les institutions de ce législateur, lors même qu’elles furent scrupuleusement observées, ont-elles assuré aux Lacédémoniens la jouissance de la liberté individuelle? Qui oserait soutenir l’affirmative?

      Lycurgue sacrifia tout an désir de faire de ses compatriotes un peuple de héros; la guerre, toujours la guerre, voilà l’idée qui devait absorber leur esprit, qui fut le but de leurs exercices, de leurs jeux, de leurs plaisirs mêmes, en un mot, de toute leur existence, Sparte devint une caserne. Mais ses fiers habitans, si durs envers les vaincus, ne pouvaient se vêtir, se nourrir, s’occuper, se divertir, ni même se marier à leur volonté. La loi réglait jusqu’à leurs relations les plus secrètes; il n’était pas loisible à un Spartiate de visiter librement sa nouvelle épouse ; ses enfans mêmes ne lui appartenaient pas exclusivement; leur complexion délicate, en naissant, annonçait-elle qu’ils seraient incapables de soutenir les fatigues de la guerre, on les précipitait inhumainement dans un gouffre, près du mont Taïgete. Agésilas, mort après quatre-vingts ans de victoires, montra pourtant qu’on pouvait être à la fois boiteux et grand capitaine.

      Les Lacédémoniens ne connaissaient pas les charmes de la vie privée; les repas, les travaux, les conversations, tout était commun entr’eux, tout se passait dans des lieux publics; leurs actions, à chaque instant du jour, étaient déterminées d’avance par la loi; ils ne pouvaient donc en disposer à leur gré, et avaient ainsi perdu la propriété de leurs personnes.

      Sans doute rien ne paraîtrait plus assujettissant, plus intolérable à un Français de nos jours que cet oubli permanent de son individualité, que cette continuelle abnégation de soi-même. Le Spartiate se soumettait sans peine à une véritable discipline de régiment , parce qu’il savait que la loi l’imposait également à tous; il y était d’ailleurs accoutumé dès l’enfance, Les priviléges attachés à la qualité de citoyen l’en dédommageaient, et l’amour de la patrie, que cette vie tout extérieure avait pour objet de fortifier, ennoblissait du moins son dévouement.

      Le partage des terres, si habilement exécuté par Lycurgue, attesta tout ce que ce beau sentiment était capable d’inspirer aux Lacédémoniens; leurs biens respectifs diminuèrent; mais la simplicité et la frugalité se naturalisèrent à Lacédémone. Le mépris de l’argent leur laissa long-tems ignorer les dangers du luxe; ils n’eurent à redouter ni l’acharnement des poursuites judiciaires, ni la rigueur de la contrainte par corps; ce n’est que du moment où l’or des Perses pénétra parmi eux que les dettes se multiplièrent; les rois, en montant sur le trône, avaient droit de les abolir.

      En matière criminelle, la liberté individuelle n’était nullement garantie; il serait difficile de retracer ici un tableau complet de la procédure; Lycurgue s’en est très peu occupé ; comme s’il espérait que ses institutions, sagement fondées sur les moeurs, auraient la puissance de prévenir tous les délits.

      Dès qu’un crime grave était commis, les éphores pouvaient faire saisir et renfermer l’accusé dans une prison: suivant la nature des faits, ils le jugeaient eux-mêmes, ou le traduisaient, soit