Название | Histoire abrégée de la liberté individuelle chez les principaux peuples anciens et modernes |
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Автор произведения | Louis Nigon De Berty |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066325930 |
Dès qu’on dénonçait un délit, l’inculpé était appelé devant le magistrat sans qu’aucune contrainte pût précéder ce premier avertissement. Un licteur osait-il l’arrêter? il paralysait son bras en prononçant ces trois mots: Je suis citoyen! Si le prévenu refuse de comparaître, dit la loi des douze Tables, qu’on prenne des témoins et qu’on l’arrête: eum capito. S’il veut fuir, portez la main sur sa personne: manum in eum injicito; s’il offre caution, laissez-le aller libre: eum dimittito; mais si l’on ose traduire un citoyen en jugement contre la disposition des lois, qu’il ne marche pas, et qu’il ne soit pas entraîné par violence: neque sequatur, neque ducatur; si cependant on veut l’y contraindre, il lui est permis de repousser la force par la force: vim vi repellere licet.
Honneur à la loi des douze Tables! c’est elle qui la première a textuellement consacré le principe de la liberté individuelle.
Lorsque l’accusé comparaissait, l’accusation intentée, soit par un citoyen, soit par un magistrat, était publique et répétée trois fois à un jour d’intervalle; puis on entendait les témoins , on produisait les pièces à conviction. Un acte, nommé rogatio, contenant l’exposé des faits et la nature de la peine, demeurait affiché pendant dix-huit jours sur la place publique. Au jour fixé pour le jugement, l’accusé se présentait devant le peuple dans l’état le plus propre à exciter sa pitié ; on lisait d’abord l’acte d’accusation fortifié de toutes les preuves de l’instruction faite précédemment; ensuite l’accusateur, ou son avocat, développait la plainte, et le défenseur de l’accusé épuisait en sa faveur toutes les ressources de l’éloquence. Après un court résumé des charges et des moyens de la défense fait par le préteur, l’assemblée délibérait. Chaque juge exprimait son opinion en jetant dans une urne un bulletin marqué, soit d’un A pour absoudre, soit d’un C pour condamner, soit des lettres N L pour annoncer que l’affaire n’était pas suffisamment éclaircie; le plus âgé des officiers préposés au dépouillement du scrutin, nommés custodes, en publiait le résultat. Le préteur, se levant alors, prononçait à haute voix la sentence en ces termes: «Le peuple romain
» assemblé selon les formes prescrites par les
» lois et avec le consentement des Dieux, condamne
» l’accusé N à telle peine.» Puis se tournant vers ses licteurs: «Allez, leur disait-il,
» que le coupable soit conduit en
» prison, et qu’il subisse ce que la loi a ordonné.»
L’accusé, qui n’obtempérait pas à la première sommation du magistrat, ou qui même avait offert caution, pouvait prendre la fuite; mais alors on le condamnait à l’exil . La loi lui permettait même, quel que fût son crime, de s’exiler volontairement avant d’être jugé. Aux yeux des Romains, le bannissement de la patrie était un châtiment aussi redoutable que la mort même.
Egards pour l’accusé, respect pour la défense, publicité des débats, délais nécessaires pour parvenir à la découverte de la vérité, surveillance des gardes placés près de l’accusateur pour l’empêcher de corrompre les juges et les témoins, tache infamante résultant d’une plainte injuste, tout ce que peut, en un mot, désirer l’innocence calomniée, se trouvait réuni dans cette procédure criminelle.
La procédure civile fut loin de se montrer aussi favorable à la liberté individuelle; les droits les plus chers à l’homme étaient sacrifiés à l’intérêt du créancier. Suivant la loi des douze Tables, le débiteur était plus durement traité que le criminel; le sort de ce dernier était confié du moins à ses juges, tandis que le premier se voyait livré seul à l’impitoyable cupidité de son adversaire .
Si une personne citée devant le magistrat ne comparaissait pas, celui qui l’ajournait pouvait la retenir en chartre privée dans son domicile, et l’empêcher d’aller où bon lui semblait. Cherchait-elle à s’évader ou à retarder la décision? le demandeur avait le droit de mettre la main sur elle, et de la conduire de force devant le magistrat. Dès qu’une condamnation était prononcée, la quatrième loi des douze Tables autorisait le créancier à emmener chez lui le débiteur qui ne présentait aucune caution, à le charger de fers dont le poids ne pouvait s’élever à plus de quinze livres, à le réduire en esclavage après soixante jours de captivité, à le vendre, à en user enfin comme de sa propriété. S’il y avait plusieurs créanciers, ils pouvaient, suivant quelques interprètes, mettre en pièces leur débiteur, et se partager les lambeaux de son cadavre. Les commentateurs ont frémi à la pensée des conséquences de cette dernière interprétation; la plupart ont cru que le texte avait été altéré .
Rien de plus sévère, en matière pénale, que la loi des douze Tables; la peine capitale, qu’on y voyait prodiguée, était infligée même au vol de nuit; les condamnés périssaient au milieu d’horribles supplices. Après le renversement de la tyrannie passagère des décemvirs, presque toutes les lois pénales, qu’ils avaient portées, se trouvèrent suspendues par la loi Porcia ; elle ne les abrogea pas expressément; mais en défendant de faire mourir un citoyen romain, elle ne leur laissa plus d’application.
Des Romains sous les empereurs.
Durant les dernières années de la république, le luxe et la corruption dépouillèrent les Romains de leur première énergie; Marius et Sylla, Pompée et César s’achetèrent des partisans au poids de l’or, et déchirèrent le sein de leur patrie par leurs funestes rivalités. A peine sortis de l’anarchie des guerres civiles, les Romains tombèrent sous le despotisme de l’empire; ils subirent ainsi en peu de tems ces deux fléaux qui châtient d’ordinaire les excès des peuples.
Le gouvernement des empereurs ne fut, dans le principe, qu’une perfide hypocrisie; on conserva les formes de la république, les couleurs de la justice, le respect extérieur des lois; à l’aide de ces trompeuses apparences, la politique rusée d’Auguste enracina dans le pays de la liberté le plus despotique des gouvernemens. Les empereurs réunirent à la couronne les fonctions de tribuns, et s’emparèrent de tout le pouvoir du peuple. Tibère lui enleva l’élection des magistrats, sa dernière garantie, sous le prétexte qu’il était trop nombreux. Elle fut transmise au sénat; cette compagnie si célèbre retint ses honneurs, mais perdit son influence et sa position indépendante; le souverain concentra toute l’autorité dans ses mains; du fond de son palais, il commanda au monde entier, leva des tributs, promulgua les lois, choisit seul les fonctionnaires, acquitta ou condamna les accusés; en un mot, la seule loi de l’empire romain fut la volonté de son empereur. «Tout m’est permis, et contre tous,» disait Caligula . Vainement après la mort de ce tyran, le sénat voulut ressaisir ses anciennes prérogatives; les soldats l’emportèrent, et les prétoriens, devenus maîtres de la destinée des souverains, disposèrent à leur gré de la couronne. On vit alors ce que l’expérience des siècles a confirmé, c’est que, partout où le sabre domine, le despotisme s’organise. Pour les hommes de guerre, la loi, c’est la force; le gouvernement, c’est l’arbitraire; les moyens de répression, ce sont la prison et l’échafaud.
Les Romains, si avides de liberté pour eux, si impérieux envers les peuples vaincus, ressentirent à leur tour, sous les Césars, tous les maux de la servitude politique; ces citoyens superbes, qui se plaçaient dans leur orgueil au-dessus de toutes les nations, bornèrent alors leur ambition à demander d’une voix suppliante... du pain et des spectacles . Leur déplorable condition s’aggrava encore sous ce fantôme d’empire d’occident qui n’était qu’une sanglante anarchie. Dès lors, plus de force dans le pouvoir, plus d’ordre public, et par suite plus de sureté personnelle. L’empire tomba pièce à pièce jusqu’au jour où les Barbares voulurent bien se le partager.
Comme s’il était dans la destinée des Romains d’éprouver successivement les avantages et les inconvéniens de leurs institutions, celles, qui naguère devaient les protéger, servirent à les persécuter. Ainsi le droit d’accusation, dont chaque citoyen avait été investi