Les parisiennes de Paris. Théodore Faullain De Banville

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Название Les parisiennes de Paris
Автор произведения Théodore Faullain De Banville
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086350



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congé du directeur, et je vais passer quelques semaines chez une parente.

      »C'est là que je suis en ce moment; chez quelle parente? dois-je te la peindre? Dans un nid doré de Villeneuve-Saint-Georges, qui a coûté deux millions à embellir! Et, comme je te le disais, c'est pour venir chez cette parente que j'ai rompu le seul amour pour lequel j'aurais pu vivre; j'ai affronté le mépris du seul homme qui fût digne de moi. Hélas! Jacqueline, il aimait ton Émérance comme sa soeur—et comme son enfant; il m'apprenait à penser, il me redonnait la force de lever les yeux au ciel. Pour sa figure, pour son esprit, je ne t'en parlerai pas; il m'avait apporté toute son âme, je pouvais à mon gré la fouler sous mes pieds dédaigneux ou la réchauffer sous mes lèvres. Comment je l'ai quitté, lui, lui à qui je m'étais vraiment donnée, c'est une histoire qui te ferait lever le coeur. Ma mère a joué, avec mon consentement, l'éternelle et honteuse comédie que tu connais, et… elle ne m'a plus quittée dans les coulisses! Je suis partie sans qu'il ait pu me dire un mot, et moi, que lui aurais-je répondu? O ciel! quel mensonge aurais-je osé ajouter à tous mes mensonges? Ami déjà tant pleuré et que je n'ai pas même le droit de pleurer! Maintenant, je pense, avec mille remords, qu'il peut ne pas se consoler, et j'ai une idée plus douloureuse encore: je songe qu'il peut se consoler et m'oublier, comme ce serait justice!

      »Imagine ce que nous sommes l'une et l'autre, ma mère et moi, et ce que j'éprouve quand elle me dit comme à un enfant: «Tenez-vous droite!» A présent je dois être un monstre à tes yeux, mais ne fallait-il pas que tu me visses telle que je suis pour m'aimer un peu encore, malgré tout, afin qu'il me reste au monde une affection que je n'aie pas volée?

      »Quant à ma mère, mon rôle d'ingénue à la ville lui imposait l'obligation de me parler toujours sévèrement, comme à une petite fille élevée à la mode anglaise, et elle a pris le sien assez au sérieux pour me tracasser encore les portes fermées, et comme si elle croyait réellement ce que tout le monde croit. Ce que je subis de tourments est inénarrable, et moi, dont le passé cache déjà tant de regrets, je suis surveillée et gouvernée comme si j'avais quatre ans!

      »Pourtant cette position n'est pas sans remède, ma mère me le prêche tous les jours, et c'est heureux, car, pour vivre plus longtemps de la sorte, je ne le pourrais pas. Il y a une chose que l'on pardonne à une ingénue dont la réputation est faite, comme la mienne l'est, c'est de changer d'état par un coup de foudre, et assez brillamment pour éblouir tout Paris d'un luxe princier. Alors on reste ingénue, et on passe grande artiste, n'est-ce pas mon seul recours à moi qui ai si peu de talent, et qui le sais si bien! Avec ma famille et mes dettes, et pour ne rien perdre de mon auréole artistique, c'est quelque chose comme un demi-million qu'il nous faut; or, je sais un homme qui peut et qui veut me le donner. Mais cet homme….. ô Jacqueline! quel dénoûment pour une figure que tous les poètes lyriques ont chantée! quelle chute pour une jeune fille que Delacroix et Ary Scheffer ont idéalisée en Ophélie et en Juliette! Cet homme, c'est….. ô ma jeunesse! mes rêves de printemps dorés! O serrements de mains! O premières angoisses de ma beauté que rien n'avait profanée! O nos baisers de jeunes filles et nos confidences à mi-voix sous les tilleuls! Cet homme, c'est…. eh bien! oui….. un droguiste! Un droguiste de la rue des Lombards, à casquette rouge! Qu'est-ce que tu me conseilles? Réponds vite avec ton âme passionnée et avec ton suprême bon sens à celle qui est,

      »A toi pour la vie,

      »ÉMÉRANCE.»

      IV

       Table des matières

      LA MAÎTRESSE QUI N'A PAS D'AGE

      —HENRIETTE DE LYSLE—

      En relisant Balzac, et en voyant avec quelle insistance ce grand historien a fait de Paris et de la Province deux mondes absolument divers, aussi différents et aussi éloignés l'un de l'autre que Jupiter et la Lune, les provinciaux se frottent aujourd'hui les mains et secouent la tête en souriant.

      «Bien, disent-ils, pour l'époque ancienne que décrivait le poëte de La Comédie humaine, pour ces rapides années de la Restauration, envolées aussi loin de nous déjà que ces âges où la reine Berthe filait, et où, comme dans la Gabrielle de M. Emile Augier, la suprême vertu d'une femme du monde était de raccommoder les chaussettes! Mais nous, aujourd'hui! regardez nos champs et nos villes. Nous connaissons comme vous le linge à bon marché, le vin à bon marché et les objets d'art en zinc! Comme le premier Parisien venu, nous savons nous faire de faux mobiliers artistiques avec de faux meubles de Boule et de fausses marqueteries, et marier le faux damas antique avec le noyer et le chêne sculptés par des charpentiers! Nos femmes elles-mêmes ne font plus étinceler et ondoyer autour d'elles ces charivaris d'étoffes brillantes qui les faisaient ressembler à des potées de fleurs écloses sous les brosses d'Hippolyte Ballue ou de Narcisse Diaz. Bien plus, nous avons renoncé à la bijouterie du Palais-Royal et aux cannes à pommes de turquoises! Nous faisons des mots d'après Le Piano de Berthe et La Vie de Bohême, et, depuis les chemins de fer, on voit, sur les enseignes de nos marchands, des lettres qui n'ont pas été, comme autrefois, peintes par des charcutiers. De sorte que Paris est devenu province et que la Province est devenue Paris, et cela pour toujours, et décidément, et si bien qu'en nous voyant passer tous vêtus de noir, provinciaux et Parisiens, on ne sait plus si c'est la Maison-d'Or qui est à Carpentras, ou si c'est la Cannebière qui est le boulevard des Italiens!»

      Les provinciaux se trompent, et la province sera la province et Paris sera Paris, tant qu'entier le monde durera!

      Regardez bien, ici et là-bas, dans cette Chine non découverte encore et dans cette Athènes luxuriante, ville de Périclès et d'Alcibiade, il semble au premier abord que ces hommes-là et ces hommes-ci se livrent à une occupation rigoureusement identique. Depuis l'heure où l'Aurore aux ongles roses fait glisser sur leurs tringles d'or les portières de l'Orient, jusqu'à cette heure enchantée où la Concepcion Ruiz lance son dernier entrechat et son dernier sourire, tous ces mortels ont l'esprit tendu vers le même point. Ils tentent de gagner, d'acquérir, de trouver, de mendier, de déterrer, de décrocher, de gratter, d'empoigner, d'entasser, d'empiler l'or, l'argent, le cuivre monnoyé, les billets de banque, les bons au porteur, les coupons d'action, les promesses d'action, les coupons de rente, les créances, les titres, les valeurs, les champs de blé, les arpents de forêts, les vergers, les jardins, les coteaux de vignes, les droits d'auteur et le laurier d'or, le prix de la copie et le salaire du travail manuel, tout ce qui se vend, tout ce qui se place, tout ce qui s'escompte, tout ce qui se négocie et ce qui se monnoie, depuis les millions de l'Usure jusqu'aux quatre sous de la Poésie lyrique, depuis les baisers de la Torpille, qui valent mille écus la pièce, jusqu'aux paillettes d'Arlequin, qui se vendent vingt-cinq sous le mille au passage de l'Ancre!

      Tous s'appliquent à devenir riches. Et puis? Et puis, rien. Seulement, voici justement le point important et la différence capitale, cette Chimère aux ailes chatoyantes, si désespérément poursuivie dans une chasse enragée; la divine et céleste Opulence que deviendra-t-elle entre les mains de celui qui parviendra à accrocher un mors de diamant dans sa bouche sanglante? Aura-t-elle là-bas ou ici la même destinée? Voilà où l'erreur serait grossière!

      En province, la richesse est le but; à Paris, elle est le moyen. En dehors des fortifications, on s'enrichit pour pouvoir dire: «Mes forêts, mon château, mes vignes!» A Paris, ce qu'on veut pouvoir dire, c'est… mais ceci demande une autre explication.

      O spectateur de ce beau drame shakspearien aux cent actes appelé la Vie Parisienne, Paris vous trompe et se trompe lui-même! Vous le croyez occupé de chanter, de penser, de travailler, de rebâtir ses palais, de tendre des fils électriques dont l'autre bout ira s'attacher sur les bords du Mississipi, à quelque pont de palmiers et de lianes? Paris ne songe pas à tout cela. Il n'a qu'une pensée, il n'a qu'un rêve, il n'a qu'une idée fixe.

      Paris, écoutez, je n'en rabattrai rien! Paris tout entier vit dans une folie ardente, inguérissable, féconde, sublime, nourrice