Les parisiennes de Paris. Théodore Faullain De Banville

Читать онлайн.
Название Les parisiennes de Paris
Автор произведения Théodore Faullain De Banville
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086350



Скачать книгу

tandis que Thérèse les gratte et les arrache sur les implacables rochers de la civilisation parisienne. Elle force les pierres à suer de l'or, monnoie le néant, escompte le brouillard, et vend le diable caché au fond des bourses vides.

      Elle trouve de l'argent! elle en trouve pour payer le propriétaire, pour ravoir les diamants et pour acheter du jambon de Bayonne. Par quel procédé? par quelle intrigue? par quels abominables maléfices? M. de Humboldt, qui sait tout, ne devinerait assurément pas cela; mais quand on a vu Thérèse partir en chasse avec l'oeil bouillant de courroux, Thérèse agitant, comme une menace et comme un défi, le cabas de paille qu'elle emporte toujours vide et qu'elle rapporte toujours plein, on peut juger qu'elle ne s'en va pas à des combats pour rire! A-t-elle un charme pour magnétiser les pièces d'or comme on a cru que les serpents magnétisaient les oiseaux, ou bien, comme l'aurait pensé Théodore Hoffmann, est-ce le diable lui-même qui les lui donne dans quelque bouge obscur, rue de la Limace?

      Quoi qu'il en soit, il y a trente ans, mille ans peut-être! que Thérèse trouve de l'argent, et elle n'a jamais eu d'argent. Elle ne veut pas en avoir, elle dédaigne l'argent, elle dédaigne la vie, et se hait elle-même; elle ne vit plus que par une passion sauvage, celle de l'Incarnation, par laquelle Vautrin se voyait revivre sous les traits charmants de Lucien de Rubempré. Elle devient la ressource, l'âme et la vie même des courtisanes désespérées; elle leur insuffle sa volonté et leur infuse son sang.

      A la voix de Thérèse, le boulanger, le boucher et l'épicier sont rentrés dans le devoir; des meubles de palissandre, des robes de soie et une vaisselle neuve ont paru par enchantement; mais la courtisane a un maître, comme si elle avait signé un pacte avec son sang.

      Elle n'a plus le droit de vouloir ni de penser, ni de rêver. Cruelles amours, et vous caprices divins, fermez vos ailes! il faut obéir à Thérèse. Cette Marco échevelée qui menait hier la gentry à coups de cravache, aujourd'hui, voyez-la au balcon des Italiens! Avant de répondre a un regard ardent, elle lève timidement les yeux vers Thérèse pour savoir si Thérèse lui permet d'être touchée et de sentir brûler ses veines. Un soir elle s'est échappée; la voilà à demi couchée sur un lit de repos; à côté d'elle, sur un guéridon, le vin du Rhin, versé dans les verres couleur d'émeraude, attire les rayons d'une lampe discrète. A ses pieds, un enfant, beau comme l'Amour, la supplie tout en larmes, et elle lui abandonne ses mains moites et tremblantes.

      Mais tout à coup minuit sonne; elle se lève comme poussée par un ressort; elle s'écrie avec consternation: «Il faut que je parte.»

      Après mille prières, après avoir épuisé tous les moyens de la retenir, le jeune homme lui dit enfin:—«Mais qui vous rappelle chez vous, est-ce votre mère?»

      —«Ah! répond la jeune fille, si ce n'était qu'une mère!» et elle ajoute avec la sombre douleur des damnés: «C'est Thérèse!»

      Comme si ce nom devait répondre à tout, et, en effet, il répond à tout.

      Il faut voir Thérèse rentrer en possession des maisons d'où l'avait exilée le Bonheur. Avec quelle arrogance elle tend des cordes aux murs du salon pour y faire sécher son linge, et comme elle sait dire en tragédienne: «Passez-vous donc de moi!» Regardez-la, menaçante, demi-ivre, avec ses petits yeux, sa bouche fendue à coups de sabre et ses épais cheveux gris! Vient-elle de la nuit du Walpurgis, ou travaillait-elle, en attendant Macbeth, au fameux pot-au-feu des sorcières?

      Jamais de comptes avec Thérèse. Elle fournit toujours, elle donne toujours, et elle met tout cela sur son livre. Quand on sera heureuse, quand on l'aura chassée avec toutes les plus folles ivresses de la joie, on lui payera la dette tous les mois par à-compte. Thérèse sait avec quel bonheur on la chassera, elle le dit tous les jours, elle s'en vante et elle s'en venge. Ah! quoi qu'en dise un poëte, le seul livre, ce n'est pas l'Iliade, c'est le livre de Thérèse!

      On sait qu'à la suite de ses folles amours avec un aventurier espagnol, la plus grande cantatrice de l'Europe, cette Luigia qu'on paye quatre mille francs par soirée, avait vu sa fortune presque détruite. Avant de partir pour l'Amérique, pendant les deux derniers mois qu'elle passa à Londres et à Paris, il lui fallut prendre la bonne des grandes occasions, l'immortelle Thérèse.

      Entourée d'amis fidèles qui l'avaient accompagnée jusqu'au navire sur lequel elle s'embarquait pour la conquête de la Toison-d'Or, la bonne et joyeuse artiste riait très-gaiement de ses mésaventures. Mais à une pensée soudaine, un nuage passa sur ses yeux, et elle fit l'adorable petite moue que nous aimons tant.

      —«Ah! murmura-t-elle en mettant le pied sur le navire, il y a une seule chose qui m'ennuie, c'est le million que je dois à Thérèse!»

      Deux jours après le départ de Luigia, un de ceux qui étaient venus lui serrer une dernière fois la main, rencontrait à Paris, sur le boulevard du Temple, la grisette Mousseline, cette violette du printemps.

      —«Mon pauvre ami! s'écria la naïve fillette, j'ai été bien malheureuse, allez; vous savez que j'avais vendu mes meubles pour Loredan, qui joue à Batignolles. J'ai tant travaillé que je me suis tirée d'affaire. Mais, dit-elle en baissant ses jolis yeux de pervenche, le malheur, c'est que je dois trois cents francs à Thérèse, sur son livre! Il me faudra au moins deux ans pour me racquitter

      Deux êtres sont liés l'un à l'autre par la fatalité bizarre de leur existence, le jeune F…, qui a accepté à Paris la succession de don Juan, et Thérèse. Depuis dix ans, sans se donner rendez-vous, ils vivent sous le même toit, chez des femmes diverses! Chaque fois qu'ils se rencontrent dans une maison nouvelle, leur regard dit comme au bagne: «Quand sera-ce fini!»

      Thérèse a sur les hommes et les choses des appréciations à réveiller un mort. Vous nommez devant elle un de ces personnages dont la haute position et le génie incontesté tiennent l'Europe en éveil.

      —«Si je le connais? dit-elle: je le tutoie! Je l'ai vu chez Pélagie, du temps qu'elle le cachait de ses créanciers dans une petite chambre, au septième!»

       Table des matières

      —ÉMÉRANCE—

      «A mademoiselle Jacqueline Bouron, artiste dramatique en représentation à Bourges.

      »Mon cher trésor,

      »Il paraît que tu as un succès à tout casser, là-bas! et, s'il en était autrement, la ville de Jacques Coeur serait un peu bien difficile, surtout pour une ville qui est morte. Depuis que l'omnibus du chemin de fer brouette à l'hôtel du Boeuf-Enragé des célébrités parisiennes, ils n'ont pas vu souvent, j'imagine, une servante de Molière qui se porte comme celle-là, en vraie fille de Toinon et de Dorine! Si ces trépassés ne s'étaient pas réveillés un peu en voyant tes yeux d'enfer et tes noirs sourcils et tes lèvres que rougissent toutes les ardeurs de la santé et de l'amour, s'ils n'étaient pas restés extasiés devant ce chignon de cheveux noirs, assez lourd pour courber une tête moins fière que la tienne; enfin, comme dit ma tante, si leur sang n'avait pas fait trois tours lorsqu'ils ont entendu ta voix hardie et superbe, c'est qu'ils auraient été glacés et refroidis à jamais, et il n'y avait plus d'espérance. Mais quoi! la nature a eu soin de te poser sur la joue une mouche assassine que t'envient toutes les femmes réelles; partout où il y aura un homme, prince ou charbonnier, tu triompheras et vaincras par ce signe!

      »Donc, c'est convenu, à Bourges comme partout, tu es enviée, fêtée, applaudie, et, ce qui vaut mieux, aimée, et, ce qui vaut mieux, heureuse! Rapporte-nous des tombereaux de fleurs et surtout beaucoup d'argent, et même, si tu veux, des souvenirs. Mais, ô Jacqueline fortunée entre toutes les comédiennes, est-ce que tu as le temps d'avoir des souvenirs, toi déesse et reine de l'heure présente, toujours occupée à presser dans le cristal de ta coupe quelque grappe fraîchement cueillie!

      »D'ailleurs,