Название | Le lys noir |
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Автор произведения | Jules de Gastyne |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066087135 |
Il murmura pour dire quelque chose:
—Elle ne t'aime plus?
Il eut un geste d'ignorance.
—Je ne sais pas….
—Mais vous étiez fiancés?…
—Je devais l'épouser dans un mois.
—Dans un mois?
—Oui, tout était décidé, conclu, arrangé, à la Madeleine, devant Paris tout entier, qui eût été jaloux de mon bonheur, qui l'eût envié; qui n'eût pas été jaloux, qui n'eût pas envié l'homme qui avait le bonheur suprême, le bonheur surhumain, surnaturel, d'être l'époux de Laurence? Tu la connais, toi, tu sais comme elle est belle! Tu sais que jamais peut-être mortelle aussi radieuse, aussi parfaite, aussi rayonnante, faite de tant de lumière et de rêve, n'a foulé encore le sol boueux de cette terre flétrie. Tu l'as admirée souvent.
—Oui, fit Mareuil, elle est très belle.
—Très belle! Et aussi bonne que belle, l'âme aussi lumineuse que son corps de soleil. C'est-à-dire que je ne vis vraiment, que je ne comprends la vie que depuis que je l'aime, et depuis que je m'en croyais aimé!
—Il y a longtemps que vous vous connaissez?
—Deux ans bientôt.
—Deux ans!
—Je l'avais aperçue un soir, dans un salon…. C'était la première fois, ai-je su depuis, qu'elle venait dans le monde. Jusque-là, le couvent avait abrité toutes ses perfections. Elle était venue avec sa grand'mère. Je ne connaissais ni sa grand'mère ni elle. Je ne pus donc pas lui parler. Mais je ne cessai pas, toute la soirée, de rôder autour d'elle. Je ne pouvais pas détacher d'elle mes yeux extasiés. J'appris qui elle était, qu'elle se nommait Laurence de Frémilly, la dernière descendante d'une grande race. Elle avait dans les yeux, sur les traits, la distinction, la grâce des femmes de sa famille dont quelques-unes avaient fait envie à des rois. Et, dès ce soir-là, je me dis qu'il serait bien heureux celui qui, un jour, attirerait sur lui ses regards … qui serait choisi par elle. Je n'osais pas penser à ce que serait le bonheur d'en être aimé. Mais jamais, au grand jamais, l'idée ne me vint que je pouvais être cet homme. Je me sentais si loin d'elle … si loin de cette pureté, de cette grandeur, par l'indignité de ma vie! Tu sais quelle vie j'ai menée, livrée à toutes les dissipations, à toutes les débauches, la vie des jeunes gens riches d'aujourd'hui, joueurs, amis du plaisir.
—Comme moi, dit Mareuil.
—Comme nous tous. Tu n'es ni meilleur ni plus mauvais qu'aucun de nous…. Et je ne songeais pas, tu le penses bien, au mariage … au mariage avec personne … moins encore avec elle, qui, je le supposais bien, ne voudrait jamais de moi, n'était pas faite pour moi…. Et je songeais à ne plus la revoir, à l'oublier…. L'oublier! Etait-ce possible?… Quand je fus rentré chez moi, éloigné d'elle, elle était plus présente à mon esprit … plus entrée en moi, pour ainsi dire, que lorsque je l'avais sous mes yeux. Je ne pouvais pas détacher d'elle ma pensée … chasser de devant mes yeux l'éblouissante vision qui y était restée … et sur laquelle seule, maintenant, ils s'ouvraient. Tout mon être était possédé par elle, déjà … et ne devait plus se reprendre…. As-tu aimé, Mareuil?
—Jamais comme ça, dit le jeune homme, qui sourit.
—Alors, poursuivit Brécourt, tu ne peux pas me comprendre…. Tu ne me comprendras jamais….
—Je n'essaie pas, dit tranquillement Mareuil.
Il avait remué le feu, rallumé les bûches.
Il prit dans une boîte un cigare, car l'histoire, il le voyait, menaçait d'être longue.
Et il en offrit un à son ami.
Celui-ci refusa, inconscient, sans se rendre compte, tout entier à la passion qui le possédait et l'exaltait.
—Non, poursuivit-il, tu ne me comprendras pas, tu ne me comprendras jamais. Enfin, à partir de cette soirée, et sans savoir si je reverrais jamais celle qui était l'objet d'un tel amour, j'aimai … Mareuil, j'aimai comme un insensé, comme un fou…. C'est à cette époque, et sans même que j'eusse au coeur aucun espoir, que vous avez remarqué dans mon existence ce changement qui vous a tant surpris.
—Que tu as lâché la grande Marmor?
—Et toutes mes habitudes … les soupers … le jeu … les théâtres.
—Nos réunions au Grand-Seize?
—Tout.
—Enfin, que tu es devenu l'ermite que tu es?
—Que je me suis efforcé d'être….
—Pendant longtemps, on s'est demandé quelle mouche te piquait. On a fait courir même le bruit que tu étais ruiné…. Et plus tard on a compris, quand on a connu ta passion….
—Et qu'a-t-on dit?
—Encore un homme à la mer!… Et tout de suite on a pensé que cela finirait par un mariage. Du reste, on ne s'étonnait pas trop, car Laurence est vraiment une femme qui n'est pas à dédaigner…. Et tu dis que c'est fini?
—Fini sans espoir, fit Brécourt avec un geste plein d'un tel accablement, que de nouveau son ami eut pitié de lui….
—Mais pourquoi?
—Je vais te raconter ce qui s'est passé, mais je ne te l'expliquerai pas, car moi-même je n'y comprends rien et je m'y perds. J'ai été tellement assommé par ce coup, si imprévu pour moi et si cruel surtout, que je n'ai pas la perception nette des choses et que mes idées restent encore toutes confuses. C'est pour cela que je suis venu ici, que j'ai voulu confier mon malheur à quelqu'un…. Je n'aurais pas été assez fort pour le porter tout seul. Et peut-être que ton amitié pour moi te suggérera quelque chose … une idée à laquelle je pourrais accrocher un lambeau d'espérance. Je suis si malheureux!… Et peut-être pourras-tu me rendre le service que je vais réclamer de ton obligeance.
—Je suis tout disposé, cher ami, à t'être utile, dit Mareuil, qui était toujours prêt à rendre service à ses amis.
C'était un garçon gros, un peu égoïste, sur lequel les passions et le sentiment n'avaient pas grande prise, mais qui n'était pas insensible aux chagrins des autres et savait y compatir à l'occasion.
—Tu connais Laurence? dit Brécourt…. Tu connais surtout sa grand'mère.
—Je les vois rarement … mais nos familles ont été liées.
—Tu pourrais peut-être tenter près d'elle une démarche.
—Tout ce que tu voudras.
—Et avoir de madame de Frémilly l'explication qu'elle m'a refusée.
—Parle … je t'écoute, dit le gros Mareuil.
II
Jacques de Brécourt parut se recueillir un instant, puis il reprit son récit:
—Il est inutile que je te rappelle avec quelle difficulté j'étais parvenu à vaincre les préventions de madame de Frémilly, qui avait été mise par mes amis au courant de ma vie passée. Madame de Frémilly est une femme charmante, des plus distinguées, une véritable grande dame.
—La dernière douairière du Faubourg, dit Mareuil en lâchant une bouffée de fumée.
—Elle a pour sa petite-fille, poursuivit Brécourt, une véritable adoration, un culte même, et elle ne voulait s'en séparer que lorsqu'elle serait sûre que le mari qu'elle lui choisirait la rendrait heureuse.
—Comme