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      —Mais vous ne le voyez plus?

      —Plus rarement qu'autrefois … mais il vient encore.

      —Chez vous?

      —Oui, madame.

      Madame de Frémilly s'était levée.

      Elle était devenue fort blême.

      L'indignation plissait sa chair, mettait en ses yeux de rouges flammes.

      Elle s'écria:

      —C'est impossible!

      —Je n'ai pas d'intérêt à vous mentir, madame, dit doucement l'inconnue…. Je souffre assez…. Et, si vous doutez de ma parole….

      Elle sortit de son sein une photographie et la tendit à la baronne.

      Celle-ci y jeta les yeux, devint plus livide encore et demanda:

      —Qu'est-ce que c'est que ça?

      —Lui, M. de Brécourt.

      —Oui, je le vois, je le reconnais.

      —Et moi….

      —Oui, je vous reconnais aussi.

      —Et notre enfant….

      —Vous avez un enfant?

      —Oui, madame, un garçon.

      —Le malheureux! gémit la douairière.

      —Et vous voyez, madame, expliqua l'inconnue, qu'il n'y a pas longtemps que la photographie a été faite; la date est au bas.

      —Oui, dit la baronne, songeuse, quelques mois à peine. Oh! le misérable, comme il nous a trompées! comme il ment!

      Puis, avec violence, s'adressant à l'inconnue:

      —Rentrez chez vous, madame. Je vous renverrai ce soir votre amant, le père de votre fils!

      Et, du doigt, elle indiqua la porte à la visiteuse qui sortit, ne demandant pas autre chose, car elle avait réussi et avait peine à cacher la joie qui brillait sur ses traits.

      Elle voulut reprendre la photographie.

      —Voulez-vous me la laisser, madame? demanda la baronne.

      —Certainement, madame…. Pourtant, je n'en ai pas d'autre.

      —Vous pourrez en faire refaire, maintenant, puisque rien ne le retiendra plus ici et qu'il va vous revenir.

      —Qui sait? murmura la femme.

      Et elle sortit en poussant un profond soupir … pendant que madame de

       Frémilly se laissait tomber, accablée, sur un canapé.

      Qu'allait-elle faire?

      Oh! pas d'hésitation possible!… Rompre! Chasser cet homme! Le chasser comme un laquais, dont il avait les sentiments, dont il avait la bassesse et la fausseté!

      Mais Laurence, Laurence qui l'aimait!… Quelle douleur!

      La pauvre grand'mère sentit des larmes amères, des larmes brûlantes monter à ses yeux, gonfler ses paupières, ruisseler sur ses joues.

      Mais c'était le devoir.

      Elle devait défendre avant tout l'avenir, le bonheur de sa petite-fille.

      Elle ne lui révélerait rien, de peur de lui faire trop de peine, mais elle la séparerait à jamais de ce misérable qui songeait déjà peut-être, avant qu'elle fût sa femme, à la trahir et qui la trahirait sûrement le lendemain de son mariage.

      Ah! le passé! le passé!

      Et la douairière plongea sa tête dans ses mains, s'abîmant dans le plus sombre désespoir.

      Elle avait tant prié! Elle avait pris tant de précautions pour que sa petite-fille fût heureuse! Et voilà que les larmes déjà allaient commencer pour elle; les déceptions, les trahisons, tous les chagrins qui sont le lot ordinaire des femmes, dont madame de Frémilly avait tant souffert pour elle-même et dont elle aurait tant voulu préserver celle qu'elle aimait!

      Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly, car madame de Frémilly se nommait Laurence, comme sa petite-fille, dont elle avait été la marraine. Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly avait été une des victimes de l'amour, une des victimes, trop nombreuses, hélas, de la duplicité et de l'infidélité des hommes.

      Dernière descendante de la famille illustre des l'Oléron-Courlange, jeune, belle, riche, elle s'était éprise, à seize ans, du baron André-Constant de Frémilly—il s'appelait Constant!—un des beaux de la cour de Louis-Philippe, blasé, ruiné, mais un des rois de l'élégance et qui avait, à cheval, la plus fière tenue qu'eût jamais eue un gentilhomme à éperon et à cravache…. Elle l'adora, l'épousa malgré l'opposition de tous les siens, et fut délaissée, trahie pour une drôlesse dont son mari était l'amant avant son mariage, huit jours après son union, célébrée en grande pompe, où le roi s'était fait représenter et à laquelle toute la cour avait assisté…. Elle passa dans les larmes, dans les affres d'une torturante jalousie les plus belles années de sa jeunesse et, si elle n'avait pas eu son fils, le baron Henri de Frémilly, auquel elle consacra désormais son existence, peut-être eût-elle succombé au chagrin et aux rages silencieuses qui la minaient.

      Jamais elle ne devait oublier ces cruelles années passées près de cet homme qu'elle aimait, malgré tout, qui n'avait pas l'air de savoir même qu'elle existât et qui allait porter à d'autres des attentions et une ardeur qu'elle aurait été si heureuse de voir réserver pour elle.

      Le baron fut tué en duel—pour une autre!—et quand on le rapporta chez elle, la poitrine trouée, prêt à rendre le dernier soupir, c'est le nom d'une autre, d'une rivale, qu'elle recueilli, sur ses lèvres!

      Elle vécut dès lors dans la solitude, toute à son fils, et refusa obstinément, avec une sorte d'horreur, tous les prétendants qui se présentèrent.

      Elle avait aimé une fois. Elle avait été déçue. Elle ne voulait pas recommencer une aussi cruelle expérience. Elle aurait voulu conserver son fils dans ses idées, lui inspirer aussi la terreur du mariage, mais il s'éprit tout jeune d'une jeune fille qu'il ne pouvait qu'épouser et il supplia sa mère de lui accorder son consentement.

      Elle ne résista pas à ses prières…. Et de cette union, qui fut heureuse, mais courte, naquit Laurence. Puis le baron mourut, suivi de près dans la tombe par sa jeune femme, et de nouveau madame de Frémilly resta seule avec Laurence à élever.

      Dès qu'elle vit celle-ci en âge de se marier, dès qu'elle s'aperçut qu'on l'avait remarquée, et que bientôt peut-être on allait chercher à la lui enlever, l'épouvante entra dans son âme…. Et quand Jacques de Brécourt se fut déclaré et qu'elle eut appris quelle vie orageuse il avait menée jusque-là, les plus vives appréhensions l'envahirent.

      —C'est tout à fait le baron de Frémilly, pensa-t-elle…. Le sort de

       Laurence va être semblable au mien.

      Et elle s'efforça de préserver sa petite-fille des poursuites de M. de Brécourt. Mais c'est en vain qu'on essaye de lutter contre l'amour…. On n'y échappe pas plus, quand il doit s'abattre sur quelqu'un, qu'on n'échappe au destin et à la foudre … et bientôt la baronne fut obligée de s'avouer que Laurence aimait.

      Elle surveilla alors plus attentivement Jacques de Brécourt, se rassura un peu en voyant combien sa passion était profonde et sincère, quels changements elle avait apportés dans son existence jusque-là vouée au désordre, et elle avait fini, en présence du chagrin qu'elle voyait envahir sa petite-fille, et la ronger lentement, par ouvrir à Jacques de Brécourt les portes de son hôtel.

      Peu à peu, la douairière avait été gagnée par la bonne grâce, par la loyauté de l'amoureux et elle commençait à lui rendre toute sa confiance quand s'était