Le lys noir. Jules de Gastyne

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Название Le lys noir
Автор произведения Jules de Gastyne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066087135



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Des glaçons qui se formaient aux bords faisaient entendre par moments un petit friselis léger de soie que l'on froisse….

      Longtemps, l'inconnu resta penché, les yeux sur le fleuve immobile et glacé.

      Un combat violent semblait se livrer en son âme, moins tranquille assurément que l'eau dans laquelle il méditait peut-être de se précipiter, et on aurait pu voir à plusieurs reprises des larmes tomber, pressées et rapides, sur les joues blêmes et se perdre dans les poils noirs de sa moustache fine, en même temps qu'on entendait s'échapper de sa bouche ces mots empreints d'une désespérance infinie et qui la déchiraient comme des sanglots:

      —Je l'aimais tant! Je l'aimais tant!…

      Puis, brusquement, sa physionomie changea.

      Une résolution soudaine, comme un coup de vent qui modifie l'aspect du ciel en emportant les nuages qui le couvrent, dissipa les brumes qui obscurcissaient son front et ses regards.

      Il parut renoncer aux idées de suicide qu'il avait—il était facile de s'en apercevoir—un moment caressées…. Il cessa de regarder la Seine et traversa le pont pour suivre les quais devant les ruines de la Cour des Comptes, et la Légion d'honneur.

      Où allait-il?

      Il semblait le savoir maintenant … et ne plus hésiter. Le silence et la solitude l'enveloppaient toujours. Son pas résonnait sur le macadam, durci par la gelée, et autour de lui les échos réveillés en répercutaient le bruit….

      On pouvait se rendre compte de l'aspect de sa physionomie, qui était régulière et belle … d'expression peut-être un peu hautaine.

      Le teint était d'une pâleur mate, les cheveux et les yeux très noirs…. Les pieds et les mains avaient une distinction aristocratique. Tout en cet homme dénotait la race.

      Le chagrin terrible qu'il venait d'éprouver, et dont on voyait encore les ondes passer sur sa chair et la faire frémir, comme la houle sur une mer mal apaisée, ce chagrin, assurément terrible, avait imprimé à sa physionomie un caractère encore plus sympathique et plus touchant. Il y a une beauté particulière sur un visage qui souffre. On dirait qu'un reflet de l'âme l'illumine.

      Du même pas régulier, résolu, l'inconnu arriva rue du Bac, s'engagea dans cette rue et la suivit jusqu'à la rue de Verneuil.

      Là, il s'arrêta devant la porte d'une maison d'assez riche apparence, mais vieille. Il appuya le doigt sur un bouton de cuivre. Une sonnerie de timbre se fit entendre, et presque aussitôt la porte cochère s'ouvrit avec un bruit sec. Il entra.

      Une obscurité complète régnait sous la voûte, mais il connaissait les êtres de la maison, car il se dirigea tout droit, sans tâtonnements, jusqu'à la loge de la concierge.

      Là, il frappa légèrement aux carreaux et dit son nom: M. de Brécourt, et il demanda:

      —M. Mareuil est-il chez lui?

      —Oui, monsieur.

      Il se dirigea vers l'escalier.

      Dans le vestibule, il enflamma une allumette-bougie et il monta jusqu'au deuxième étage où habitait M. Mareuil.

      Il sonna avec force.

      Pas un mouvement ne se produisit dans l'appartement.

      Mareuil dormait sans doute … et son domestique devait coucher au sixième.

      De Brécourt attendit quelques minutes.

      Et il recommença à sonner….

      Ce n'est qu'au troisième coup qu'un bruit de porte qu'on ouvre et de pantoufles traînées sur le parquet, se fit entendre derrière la porte.

      Et, presque aussitôt, une voix étonnée, encore tout engourdie de sommeil, demanda, maussade:

      —Qui est là?

      —Brécourt.

      —Brécourt?… à cette heure? s'exclama la voix…. Es-tu fou?…

       Qu'est-ce qui te prend?

      —J'ai besoin de te parler tout de suite.

      —Entre … mais que le diable t'emporte!

      Et la porte livra passage à un gros corps enveloppé d'une robe de chambre dans laquelle il grelottait, et surmonté d'une tête ahurie coiffée d'un foulard moins cramoisi que son teint.

      C'était M. Mareuil.

      Il s'effaça pour laisser passer son ami tout en grommelant:

      —En voilà une heure!… Je ne sais pas s'il y a encore du feu…. Tu dois être gelé…. Qu'est-ce qui t'arrive?

      Et il conduisit tout en parlant son ami vers sa chambre à coucher où il espérait que le feu ne serait pas encore éteint.

      De Brécourt ne parlait pas, n'expliquait rien … mais de temps en temps des soupirs profonds s'échappaient de sa poitrine.

      Et quand il fut arrivé dans la chambre, sous la lueur de la lampe que Mareuil avait allumée à la hâte, il apparut si livide, si bouleversé, avec une telle apparence de souffrance sur la face, que son ami s'écria, tout ému:

      —Est-ce que tu es malade?

      —Non.

      —Qu'as-tu alors?

      —Je suis mort.

      —Mort?

      —Mort au moral … mort au physique … anéanti … Je vais … je viens … je me meus…. J'ai l'air de vivre … mais je ne vis pas…. Mon coeur est mort … tout est mort!…

      Et il se laissa tomber, accablé, sur un canapé.

      Mareuil le considérait avec un ahurissement qu'il ne cherchait pas à dissimuler, un ahurissement où se mêlait aussi quelque pitié, car il était bon.

      —Il demanda:

      —Qu'est-ce qui t'arrive?

      —Tout est fini….

      —Quoi?

      —Mon mariage….

      —Rompu?… Avec mademoiselle de Frémilly?

      Incapable de formuler une parole, de Brécourt inclina la tête avec un tel air d'accablement qu'on voyait bien que tout ressort en effet était brisé en lui.

      Mareuil s'écria:

      —En voilà une nouvelle! Puis il dit:

      —Et vous vous aimiez?

      —Et nous nous aimons toujours … comme des fous … moi, du moins….

       Elle, je ne sais plus…. Ah! mon pauvre ami!

      Et Brécourt porta la main à son front, comme s'il avait craint qu'il n'éclatât.

      Mareuil ne parlait plus.

      Il le contemplait … plein maintenant d'une pitié sincère, et aussi un peu surpris qu'un amour brisé pût produire chez un homme comme Brécourt … un homme qu'il croyait fort, un peu blasé, une telle douleur.

      Brécourt reprit:

      —Je l'aimais tant!… Je l'aime tant encore!… Je l'aimerai tant toujours!… car il ne sortira pas de moi, cet amour. Il ne sortira pas de mon coeur, de mon sang, de ma chair … de tout moi!… Il est plus attaché à mon corps que l'âme elle-même…. C'était mon souffle, ma vie! Et maintenant qu'il n'est plus, je n'ai plus qu'à mourir. Mais comment mourir?… J'ai songé au suicide … avant de venir ici. Je me suis arrêté sur un pont à regarder l'eau, et si je ne me suis pas précipité … c'est qu'un reste d'espoir m'est entré au coeur … un reste d'espoir qui s'est évanoui depuis … que je n'ai plus et qui ne reviendra jamais…. Non, elle est perdue pour moi … perdue pour toujours…. J'ai entendu