Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse

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Название Les Rois Frères de Napoléon Ier
Автор произведения Albert Du Casse
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066082673



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elles, fais des contes à Zénaïde, à Lolotte et à Oscar[10] et pense que c'est tout ce que tu peux faire de mieux pour elles, pour toi et pour moi, puisque tu rattrapes par là ta santé.

      Tout va bien ici, la ville est tranquille, je m'occupe beaucoup des affaires et je vois avec plaisir que ce n'est pas sans succès; je ferai l'expédition de Sicile dès que j'en aurai les moyens, mais tu ne dois avoir aucune inquiétude pour moi. Cela fait, s'il entrait dans les arrangements de l'empereur de marier Zénaïde ou Charlotte avec Napoléon[11] au lieu d'un étranger, je m'estimerai heureux si, par l'adoption de notre neveu, l'empereur réunissait sur lui seul toutes ses affections, sans que mon honneur en fût blessé; je demanderai d'être, moi, l'organe de sa volonté au Sénat; par ce moyen je reviendrai vivre avec toi à Mortefontaine, et je m'arracherai, avec plaisir, à cette vie que je ne mène que pour obéir à l'empereur, soit qu'il me voulût à la tête d'une armée, soit que s'y mettant lui-même, il me laissât le soin d'être l'organe de sa volonté à Paris comme il l'a déjà fait une fois. Je crois que l'intérêt de toute la famille, de l'empereur surtout, qui reste seul exposé aux complots ennemis, toutes ces affections de mon cœur se trouveraient réunies dans ce projet.

      Il est plus que probable que nous n'aurons pas de garçons; d'après cela, qu'y a-t-il de plus glorieux pour moi que de centraliser avec l'empereur toutes nos affections sur le même enfant qui devient aussi le mien? Je crois que tu pourrais en dire deux mots à l'empereur, s'il t'en offre l'occasion.

      Je le répète, il ne doit pas rester seul à Paris, la Providence m'a fait exprès pour lui servir de sauvegarde, aimant le repos, pouvant supporter l'activité, méprisant les grandeurs et pouvant porter leur fardeau avec succès; quelles que soient les brouilleries qui ont existé entre l'empereur et moi, il est vrai de dire, ma chère amie, que c'est encore l'homme du monde que j'aime le mieux. Je ne sais pas si un climat, des rivages en tout semblables à ceux que j'ai habités avec lui m'ont rendu toute ma première âme pour l'ami de mon enfance, mais il est vrai de dire que je me surprends pleurant mes affections de 20 ans comme celles de quelques mois; si tu ne peux pas venir tout de suite, envoie-moi Zénaïde; je donnerais tous les empires du monde pour une caresse de ma grande Zénaïde et une caresse de ma petite Lolotte; quant à toi, tu sais bien que je t'aime comme leur mère et comme j'aime ma femme; si je puis réunir une famille dispersée et vivre dans le sein de la mienne, je serai content et je m'adonne à remplir toutes les missions que l'empereur me donnera, comme général, gouverneur, pourvu qu'elles soient temporaires, et que je conserve l'espoir de mourir dans un pays où j'ai toujours voulu vivre.

      Je ne sais pas pourquoi je n'écris pas ceci à l'empereur, mais ce sera la même chose si tu lui donnes cette lettre à lire, et je ne vois pas pourquoi je ne lui donnerais pas mon âme à voir tout comme à toi-même.

       Le 28 juillet 1806, Napoléon, dans une autre lettre, reproche au roi Joseph sa trop grande douceur et termine par cette phrase: «Ce serait vous affliger inutilement que de vous dire tout ce que je pense.» Et un post-scriptum: «Au milieu de tout cela, portez-vous bien, c'est le principal.»

      Le 9 août, Napoléon dit à son frère, au milieu d'une longue lettre: «Votre correspondance est régulière mais insignifiante.» Le 12 novembre 1806, ayant appris que Joseph montrait quelquefois ses lettres à ses amis, il termine celle qu'il lui écrit ce jour-là de la manière suivante: «Peut-être ai-je tort de vous dire cela, mais si vous montrez mes lettres pour des choses indifférentes, j'espère que celle-ci sera oubliée par vous, immédiatement après que vous l'aurez lue.»

      L'idée favorite de Napoléon était d'imposer à l'Europe un système fédératif de rois pris dans sa famille. Il avait placé successivement Joseph sur le trône de Naples, Louis sur le trône de Hollande, Jérôme sur celui de Westphalie. Roi d'Italie, il avait fait son beau-fils, Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un seul de ses frères, Lucien, persistait à se montrer rebelle à l'attrait du pouvoir suprême, préférant au sceptre une vie de famille douce et paisible. Depuis 1803, il vivait à Rome dans une sorte d'exil, marié à une femme qui lui convenait, mais que Napoléon ne voulait pas reconnaître pour sa belle-sœur. Un mot sur l'existence de Lucien jusqu'à son entrevue avec l'empereur à Mantoue, en 1807.

      Lucien était né à Ajaccio le 21 mars 1775. Obligé de se réfugier en France par suite de la proscription que Paoli avait fait prononcer contre la famille Bonaparte, Lucien, dont la mère était complètement ruinée, sollicita et obtint un emploi dans l'administration des subsistances de l'armée des Alpes-Maritimes, et, peu de temps après, la place de garde-magasin des subsistances militaires de Saint-Maximin, dans le département du Var. Reçu membre et bientôt élu président de la Société populaire de cette ville, Lucien épousa Mlle Christine Boyer, qui appartenait à une famille peu aisée mais très honorable du pays. Nommé à la fin de 1795 commissaire des guerres, il fut envoyé deux ans et demi après, par le département de Liamone, au Conseil des Cinq-Cents en qualité de député de la Corse.

      Lucien n'avait alors que vingt-trois ans: l'âge légal exigé par la Constitution était vingt-cinq ans; mais la commission chargée de la vérification des pouvoirs, soit par sympathie pour le nouveau membre, soit par considération pour le général Bonaparte qui venait de conquérir l'Italie, passa sur l'illégalité de sa nomination.

      Lucien était né orateur: quelques jours lui suffirent pour faire apprécier la puissance de sa parole. Il combattit avec force et succès le Directoire, et ne cessa de signaler à la France les conséquences inévitables des violations journalières faites à la Constitution. Ce fut lui qui fit accorder des secours aux veuves et aux enfants des soldats morts sur le champ de bataille, qui fit repousser l'impôt que le gouvernement voulait établir sur le sel et sur les denrées de première nécessité, et qui décida le Conseil, le 22 septembre 1798, à renouveler son serment de fidélité à la Constitution de l'an III. Convaincu qu'il sauvait la République en arrachant le pouvoir aux hommes du Directoire, Lucien, qui venait d'être porté à la présidence des Cinq-Cents, seconda de toutes ses forces le projet de son frère Napoléon. Ce fut lui qui décida, par l'énergie de son caractère et la puissance de sa parole, le succès des journées du 18 et du 19 brumaire. Nommé membre du Tribunat, institué par la constitution consulaire, et peu de temps après ministre de l'intérieur en remplacement de Laplace, Lucien déploya dans cette nouvelle position toutes les ressources de son esprit, et marqua son ministère par plusieurs actes importants. Ce fut sous son administration que les préfectures furent définitivement organisées et que les arts et les sciences, négligés par le gouvernement directorial, attirèrent de nouveau l'attention et la sollicitude du pouvoir. Envoyé en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire de la République, il décida Charles IV à s'allier étroitement à la France, força le Portugal à signer, le 29 novembre 1801, le traité de Badajoz, conclut avec les deux pays plusieurs conventions très avantageuses à la France, et prit enfin une part importante à la création du royaume d'Étrurie et à la cession faite à la France des duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla.

      Rentré en France au commencement de 1802, Lucien fut chargé par son frère de présenter le Concordat à la sanction du Tribunat; il prononça, à cette occasion, un discours remarquable, dont la sagesse et la modération furent louées par tout le monde. Le 18 mai suivant, il fit adopter le projet d'institution de la Légion d'honneur; son discours, plein de vues supérieures, obtint les applaudissements de toute l'assemblée. Lucien fut nommé grand officier et membre du grand conseil d'administration de l'ordre et enfin membre du Sénat. Peu de temps après, l'Institut national, réorganisé sous ses auspices par décret du 3 février 1803, l'élisait membre de la classe des langues et de la littérature.

      Lucien aimait réellement la République; il y voyait le salut de la France et le seul gouvernement compatible avec les circonstances. Ses vues différaient de celles du premier consul, et plus d'une fois cette différence avait provoqué de violentes discussions entre les deux frères. Également tenaces, également convaincus de la supériorité de leurs idées, Napoléon et Lucien défendirent leurs opinions politiques avec la même force; et, comme on devait le prévoir, n'ayant pu se convaincre mutuellement, ils se brouillèrent. Une affaire de famille acheva de séparer les deux frères. Lucien avait perdu sa femme, à peine âgée de