Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse

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Название Les Rois Frères de Napoléon Ier
Автор произведения Albert Du Casse
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066082673



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suis, etc.

      Jusqu'alors aucun différend un peu sérieux ne s'était élevé entre les deux frères. Napoléon écrivait avec quelque rudesse à son aîné, mais toujours en lui montrant une grande affection. Ce fut quelque temps après la création de l'empire et les succès de la campagne de 1805, lorsque la politique fut en jeu, que survint la première mésintelligence sérieuse.

      Napoléon, une fois sur le trône, voulut mettre une couronne sur la tête de Joseph et songea à fonder le royaume de Lombardie. L'aîné des Bonaparte, peu ambitieux de sa nature, refusa obstinément, donnant pour prétexte que son frère n'ayant pas d'enfant de son mariage avec Joséphine, il ne voulait pas aliéner ses droits sur la couronne de son propre pays. En vain l'empereur essaya-t-il de le faire revenir sur cette résolution, Joseph s'obstina, et le royaume d'Italie ayant été fondé, le beau-fils de Napoléon, le prince Eugène de Beauharnais, en fut nommé vice-roi par l'empereur. Toutefois, ce n'était qu'une étape dans les vastes projets du conquérant. Immédiatement après la bataille d'Austerlitz et le traité de Presbourg, dès qu'il eut lancé de son camp impérial de Schœnbrunn (27 décembre 1805) le manifeste par lequel il déclarait à la face de l'Europe que les Bourbons de Naples avaient cessé de régner sur cette partie de l'Italie, Napoléon nomma Joseph son lieutenant-général dans le sud de la Péninsule, mit sous ses ordres l'armée française destinée à faire la conquête de ce royaume, bien décidé, une fois que son frère serait à Naples, à mettre la couronne des Deux-Siciles sur sa tête. Il laissa donc d'abord Joseph faire la conquête et entrer à Naples; puis, ce prince ayant demandé à avoir auprès de lui pour les attacher à son service deux personnes qui lui inspiraient une grande confiance, une véritable amitié, les conseillers d'État Miot de Mélito et Rœderer, l'empereur les lui envoya. Avant d'expédier le premier, il le fit venir dans son cabinet et lui dit:

      Vous allez partir pour rejoindre mon frère. Vous lui direz que je le ferai roi de Naples, qu'il restera Grand Électeur et que je ne changerai rien à ses rapports avec la France; mais dites-lui bien aussi qu'il ne faut ni hésitation ni incertitude. J'ai dans le secret de mon sein un autre tout nommé pour le remplacer, s'il refuse. Je l'appellerai Napoléon. Il sera mon fils. C'est la conduite de Joseph à Saint-Cloud, son refus d'accepter la couronne de Lombardie, qui m'a fait nommer Eugène mon fils. Je suis résolu à en faire un autre s'il m'y force encore. Tous les sentiments d'affection cèdent maintenant à la raison d'État. Je ne connais pour parents que ceux qui me servent. Ce n'est point au nom de Bonaparte qu'est attachée ma famille, c'est au nom de Napoléon. Je n'ai pas besoin d'une femme pour avoir un héritier. C'est avec ma plume que je fais des enfants[8]. Je ne puis aimer aujourd'hui que ceux que j'estime. Tous ces liens, tous ces rapports d'enfance, il faut que Joseph les oublie; qu'il se fasse estimer; qu'il acquière de la gloire; qu'il se fasse casser une jambe; qu'il ne redoute plus la fatigue; ce n'est qu'en la méprisant qu'on devient quelque chose. Voyez, moi, la campagne que je viens de faire, l'agitation, le mouvement m'ont engraissé. Je crois que si tous les rois de l'Europe se coalisaient contre moi, je gagnerais une panse ridicule.

      Je donne à mon frère une bonne occasion. Qu'il gouverne sagement et avec fermeté ses nouveaux États; qu'il se montre digne du trône que je lui donne. Mais, ce n'est rien d'être à Naples où vous le trouverez sans doute arrivé. Je ne crois pas qu'il y ait eu de résistance; il faut conquérir la Sicile. Qu'il pousse cette guerre avec vigueur; qu'il paraisse souvent à la tête de ses troupes; qu'il soit ferme, c'est le seul moyen de s'en faire aimer. Je lui laisserai 14 régiments d'infanterie, 5 brigades de cavalerie, à peu près 40,000 hommes. Qu'il m'entretienne cette partie de mon armée, c'est la seule contribution que je lui demande. Surtout, qu'il empêche X..... de voler. Je veux que ce qu'il fera payer aux peuples du royaume de Naples tourne au profit de mes troupes et ne vienne pas engraisser des fripons. Ce qui a été fait dans les États vénitiens est épouvantable. Ce n'est point une affaire terminée. Qu'il le renvoie donc à la première preuve qu'il aura de malversation.

      Quant à Rœderer, je n'ai pas voulu le refuser à mon frère. C'est un homme d'esprit qui pourra lui être utile. Il est déjà assez riche. Que mon frère ne laisse pas déshonorer son caractère.

      Vous avez entendu, je ne puis plus avoir de parents dans l'obscurité. Ceux qui ne s'élèveront pas avec moi ne seront plus de ma famille. J'en fais une famille de rois qui se rattacheront à mon système fédératif.

      Ce discours familier tenu par Napoléon à l'ami, à l'un des futurs ministres de Joseph, nous paraît résumer la pensée intime de l'empereur et la ligne de conduite qu'il était décidé, dès ce jour, à suivre avec ses frères. Nous allons voir du reste qu'il ne s'en écarta plus.

      Les recommandations relatives à X....., l'empereur les adressa à son frère à plusieurs reprises, notamment dans une lettre datée du 2 mars 1806. Dans cette dépêche, un passage supprimé dans les Mémoires du roi Joseph a été rétabli dans la Correspondance de l'empereur (page 146, 12e volume). Le voici: «Soyez inflexible pour les voleurs. X..... est haï de toute l'armée; vous devez bien vous convaincre aujourd'hui que cet homme n'a pas l'élévation nécessaire pour commander des Français.»

      L'empereur, dans une autre lettre à Joseph, exigea que ce dernier fit rendre les millions pris dans les États vénitiens. Cette lettre, en date du 12 mars, contient le passage suivant:

      «X..... et Solignac ont détourné six millions quatre cent mille francs, il faut qu'ils rendent jusqu'au dernier sou.» En la recevant, Joseph, très-lié avec X....., le fit venir et lui demanda de restituer de bonne grâce les millions qu'il avait détournés. X..... ne paraissait pas disposé à ce sacrifice. «Écoute, lui dit le roi de Naples, prends garde; tu connais mon frère, il te fera fusiller. Si donc tu ne veux pas rendre l'argent, embarque-le avec toi sur le navire américain en ce moment dans le port de Naples et file dans le Nouveau-Monde. Si tu veux rendre, je te promets de te faire donner par l'empereur une partie de ce que tu restitueras.» X..... consentit enfin. Quelque temps après eut lieu la prise de Gaëte. Reynier était fort embarrassé dans les Calabres. Joseph demanda à X..... de s'y porter avec 30 mille hommes. X..... commença par refuser si on ne lui laissait pas la faculté d'agir dans ce pays comme bon lui semblait. En vain Joseph lui promit de lui faire donner par l'empereur lui-même une grosse somme, il voulut rester libre de faire ce qui lui conviendrait.

      Cela n'empêchait pas Napoléon de rendre justice au mérite de X.....; aussi écrivait-il au prince Eugène, le 30 avril 1809, après la bataille de Sacile: «X..... a des talents militaires devant lesquels il faut se prosterner. Il faut oublier ses défauts, car tous les hommes en ont, etc.» Mais revenons à Joseph.

      Pendant presque tout le règne à Naples du frère aîné de l'empereur, les relations entre les deux souverains furent affectueuses, surtout pendant l'année 1806. De temps à autre, néanmoins, Napoléon lançait dans ses lettres quelques mots de blâme à Joseph. Ainsi, le 24 juin 1806, il lui écrit de Saint-Cloud la lettre ci-dessous, omise dans la Correspondance et aux Mémoires:

      J'ai reçu votre lettre du 15 juin. Je vous prie de bien croire que toutes les fois que je critique ce que vous faites, je n'en apprécie pas moins tout ce que vous avez fait[9].

      Je vois avec un grand plaisir la confiance que vous avez inspirée à toute la saine partie de la nation.

      Je ne sais s'il y a beaucoup de poudre à Ancône et à Civita-Vecchia, mais j'ai ordonné que, s'il y en avait, on vous en envoyât sur-le-champ.

      Le roi de Hollande est arrivé à La Haye, il a été reçu avec grand enthousiasme.

      Je vous ai déjà écrit pour l'expédition de Sicile qu'il fallait débarquer la première fois en force.

      Je vous prie de mettre l'heure de départ de vos lettres, afin que je voie si l'estafette fait son devoir, etc.

      La reine Julie n'avait pu encore rejoindre son mari avec ses enfants; le roi l'attendait avec impatience, et l'empereur désirait son départ. Joseph lui écrivit la lettre suivante:

      Ma chère Julie, j'ai reçu ta lettre du 11; je sais que ta santé n'est pas bonne, pourquoi t'obstines-tu