Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse

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Название Les Rois Frères de Napoléon Ier
Автор произведения Albert Du Casse
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066082673



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notre destinée; j'aurais bien désiré ne jamais me séparer de toi ni de mes enfants, pourquoi lorsque vous m'avez rejoint, il y a trois ans, ne suis-je pas resté avec vous? Ce fut alors ma faute. Pourquoi lorsque je t'écrivais il y a un an, de Cordoue, de me rejoindre avec mes enfants, ne le fites-vous pas? Ce fut le seul moment heureux de mon existence depuis que je vous ai quittées à Naples et ce moment m'inspira le désir de vous faire partager mon sort; tu n'as pas pu partir de Paris et sans doute ce fut alors un contretemps fâcheux pour toi et pour moi. Depuis, j'ai couru de désagréments en désagréments, mon existence a été telle que je ne regrette pas ton absence ni celle de mes enfants, je n'ai plus vu d'avenir pour nous dans ce pays. Les funestes décrets du 8 février 1810[29] ont anéanti tous les progrès que j'avais eu le bonheur de faire dans l'esprit d'un peuple brave et fier et m'ont remis dans la même situation où je me suis trouvé en arrivant à Madrid, il y a trois ans. J'ai depuis reconnu ce qui m'arriverait le lendemain et je me suis vu sans déplaisir, privé des seuls objets de mes plus tendres affections, car mon sort en eût été plus cruel. Je n'ai ici rien de bon, de fixe à leur offrir, mais ils embelliraient le reste de ma vie. Quelque part qu'elle se termine, elle sera digne de moi. Je désire donc que la politique cesse de se jouer de moi et tout me sera bon si je puis finir ma carrière avec toi et mes enfants dans une position naturelle, quelle qu'elle soit, étant ce que je paraîtrai être et sortant de la position fausse et humiliante dans laquelle je persévère encore, malgré tout ce que je t'ai écrit, attendant tous les jours un meilleur ordre de choses pour moi; il me paraît impossible que la vérité et la raison ne percent à la fin.

      Joseph à Julie.

      Madrid, 6 février 1811.

      Ma chère amie, j'ai reçu tes lettres jusqu'au 20 janvier, ainsi que celles dont était porteur Gaspard qui est arrivé hier, je t'ai adressé une lettre pour Bernadotte, dont tu devrais déjà m'avoir accusé la réception. Je crains qu'elle n'ait été égarée, les bruits les plus étranges courent ici depuis hier, nous touchons à un dénouement quelconque, les choses sont tellement empirées par les nouvelles de France qu'il faut avancer ou reculer. Des partis qu'on m'offre, le plus honorable sera toujours celui que je prendrai, tu ne dois pas en douter, et dès qu'il sera prouvé que je ne puis plus rester ici, j'en partirai. Je t'écrirai plus en détail dès que j'aurai lu tout ce qui arrive de France et des provinces, car il est assez bizarre que je n'aie pas pu trouver encore ce temps-là, depuis hier; j'ai été occupé tout le jour, depuis huit heures du matin, à des petits détails pour que tous les services ne tombent pas à la fois, et les besoins du jour ne m'ont pas laissé d'autre temps; tu dois penser si je désire que tout cela finisse.

      Dans une autre lettre à sa femme, en date du 19 mars 1811, le roi, après l'exposé fidèle de sa situation, dit:

      Dans cet état de choses, réduit à l'état d'abjection d'un criminel ou du dernier des hommes, je mériterais mon sort, si je le prolongeais volontairement.

      Et plus loin:

      Sans doute je ne prendrai pas le parti de venir à Paris, si je pouvais faire autrement, mais ni toi, ni ceux qui me conseillent ne connaissent ma position ici, et nécessairement elle finirait par un événement tragique si elle ne finit pas par mon départ volontaire.

      Joseph à Julie.

      Madrid, 24 mars 1811.

      Ma chère amie, je reçois tes lettres des 4, 6 et 8 mars; je t'ai écrit en détail il y a trois jours, je suis toujours dans le même état, il y a douze jours que je ne reçois pas, ma santé ne le permettant pas; cependant, j'espère que la tranquillité me rétablira, mais j'en ai besoin, je compte me mettre en route dans quelques jours et dès que mes forces seront assez rétablies pour cela.

      Je t'embrasse avec mes enfants et j'espère te revoir bientôt à Mortefontaine pour ne plus vous quitter.

      L'empereur n'ignorait ni la position fausse ni les plaintes fort justes de Joseph, ni son désir d'abandonner la couronne d'Espagne. Sa belle-sœur, la reine Julie, son ambassadeur de famille, le comte de La Forest, le tenaient au courant de tout, mais il n'entrait pas encore dans les vues politiques de Napoléon de laisser la Péninsule sans roi. Il aimait mieux que ce roi fût Joseph que tout autre. La guerre devenait imminente avec le Nord, il lui paraissait utile d'avoir son frère dans le Sud, car il connaissait son caractère loyal, affectueux et son dévouement personnel pour lui. Il fit donc écrire par le cardinal Fesch à Joseph. Ce dernier répondit à son oncle, le 24 mars 1811, une lettre insérée au 7me volume des Mémoires de Joseph et dont on a retranché cette phrase:

      Je ne veux pas que vous ignoriez que ma santé est telle que je l'ai craint toute ma vie. Je suis arrivé à ce point que vous connaissez, après un rhume et une inflammation de poitrine.

      En effet la santé de Joseph s'était altérée, au point que le même jour, 24 mars, il prévenait Napoléon que la maladie le forçait à quitter l'Espagne. Cette lettre à l'empereur se terminait ainsi:

      Je saurai, comme vous le voudrez, vous aimer tout bas et ne pas vous importuner des sentiments que vous partagez ou repoussez peut-être.

      Le même jour encore, Joseph écrivait à la reine cette seconde lettre:

      Madrid, 24 mars 1811.

      Ma chère amie, l'aide de camp du duc de Dalmatie, qui te remettra cette lettre, te donnera de mes nouvelles. Je l'ai vu un moment. Je vais mieux, et j'espère être sous peu en état de partir. Je suis inquiet de trois dépêches importantes dont tu ne m'as pas accusé la réception. La première, du 14 février, portée par M. le chef d'escadron Clouet, la 2me du 19 mars et la 4me du 24.

      Le général Blaniac[30] ne voudrait pas que sa femme vînt le rejoindre, connaissant la situation des affaires, je crois aussi que ce n'est pas le moment.

      Malgré tout son désir d'arriver en France le plus rapidement possible, le roi dut différer son départ de quelques jours. Il se mit en route le 23 avril 1811, après avoir écrit à la reine la lettre ci-dessous:

      Madrid, le 16 avril 1811.

      Ma chère amie, je t'envoie le double de la lettre que je t'envoie, par l'estafette. Renvoies-moi le courrier qui te porte cette lettre et qui me trouvera en route. Pour mes incertitudes sur l'effet qu'aura produit la nouvelle de mon départ quel qu'il soit, personne ne peut l'impossible et je suis résigné à tout; mais il est de fait que je ne puis rester dans le palais de Madrid sans domestiques, sans gardes, sans troupes et sans tribunaux; or, tout cela n'existe pas sans argent. Si c'est l'usage de complimenter l'empereur et l'impératrice sur la naissance du roi de Rome, remets ma lettre au prince de Massérano, je l'autorise aussi à présenter la Toison d'or au roi de Rome, après s'être assuré que cette offre serait agréée. C'était l'usage autrefois.

      Je suis disposé à faire tout ce qu'il est possible pour M. Michel.

      L'empereur apprenant que Joseph, décidé à quitter l'Espagne, allait se mettre en route pour Paris, et voulant sauver les apparences, se hâta de lui envoyer un officier, le général de France, pour le prévenir qu'il était désigné comme devant être le parrain du roi de Rome.

      Dans la lettre du 21 avril qu'il écrit à ce sujet à la reine, et dans laquelle il annonce son départ, on a retranché, aux Mémoires, le passage suivant:

      Je ne puis pas te cacher que ma santé n'est plus la même depuis deux mois. Je ne suis plus le même homme. Au milieu de tant d'inquiétudes qui m'assiègent en quittant le pays, je viens d'éprouver un chagrin bien vif par l'état presque désespéré dans lequel se trouve le fils de Rœderer, par une blessure mortelle qu'il a reçue hier soir, dans une affaire particulière. Je trouvais quelque plaisir à mener ce jeune homme à son père. Le destin en décide autrement.

      Joseph à Julie.

      Santa Maria de la Nieva, 25 avril 1811.

      Ma chère amie, je reçois tes lettres des 3, 4, 6 et 8 avril. Je t'ai écrit par toutes les estafettes, et par quelques-unes de très longues lettres; celle du 19 mars[31] t'annonçait ma détermination de me mettre en route pour la France; j'étais