Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

Читать онлайн.
Название Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre
Автор произведения Edmond Lepelletier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086954



Скачать книгу

grandi et s'est développé, là où il a débuté dans la vie organique. Le terroir n'a pas, sur la plante humaine, l'influence reconnue pour les végétaux. On ne doit tenir compte de la terre natale que lorsque l'enfant a pu réellement la connaître, la comprendre, l'aimer, autrement qu'à distance, par répercussion, et sous une sorte de suggestion provenant des éducateurs, des lectures, ou simplement de l'imagination. Quand l'enfant, être primaire et quasi-inconscient, ne fait que passer sur la portion de territoire où sa mère a fortuitement accouché, c'est ailleurs que dans le lieu même où se produisit cet événement qu'il faut rechercher son origine. L'hérédité physique et morale, la condition des parents, les premiers contacts avec les êtres, la notion de la forme des choses, la compréhension de l'espace, la mesure de la distance, les initiales perceptions sensorielles, les primordiales comparaisons, les découvertes successives de l'univers progressivement élargi, les surprises, les enchantements, les effrois, puis le babil avec la nourrice, le voisinage des frères et sœurs, les jeux puérils, les refrains berceurs, les images regardées, l'alphabet colorié, les propos entendus, retenus, l'imitation des gestes, des attitudes observés, la fixation lente, mais indéracinable, des mots et de leur signification dans la mémoire, enfin le spectacle des phénomènes de la nature, mêlé à celui des événements quotidiens avec les joies et les douleurs qui les accompagnent, voilà les éléments constitutifs de la personnalité, du caractère, de l'intellect et des sentiments de l'enfant: tout cela est indépendant du lieu où s'est produite la nativité.

      Émile Zola, Parisien par la naissance, apparaît étranger au sol de Paris, à son climat, à ses influences éducatrices et familiales. Il est redevenu, par la suite, ce qu'on nomme un Parisien. Ce fut le résultat de son séjour prolongé dans la grande ville, de la seconde et personnelle éducation qu'il y trouva. Il eut, à Paris, sa naturalisation cérébrale, et son succès même en a consacré les titres. Il est impossible de considérer comme étranger à Paris celui qui a peut-être le mieux compris et le plus puissamment exprimé la poésie, la trivialité, la grandeur morale, la bassesse matérialiste, la fièvre spéculatrice, la folie révolutionnaire, l'abrutissement alcoolique et la radieuse suprématie artistique, qui sont les éléments de la complexe, monstrueuse et superbe cité. Quel Parisien parisiennant eût mieux que lui compris l'énorme Ville, et, pour la postérité, fixé le mouvement océanique de ses foules, rendu la majesté de ses édifices utilitaires, peint la splendeur de ses paysages aériens si variés, le soir, quand l'orage balaie les nuées livides, le matin, quand la chiourme du travail descend à la fatigue sous le tremblotement des becs de gaz encore allumés? Il a pu être qualifié comme l'auteur de Germinal, de la Terre ou de Lourdes, il est, avant tout, digne du nom de poète de Paris. Jamais la grande ville n'a eu plus grand artiste pour la peindre, plus minutieux historien pour la raconter, plus profond et plus sagace philosophe pour l'analyser.

      Zola n'a, cependant, jamais possédé ce qu'on appelle le parisianisme. Il n'avait ni l'esprit gouailleur et sceptique du Parisien d'en bas, ni les goûts d'élégance et les vaines préoccupations des classes hautes. Il ne fut jamais un «homme du monde», ni ne chercha à l'être. Il ne prétendit pas avoir de l'esprit, dans le sens de la blague et des mots drôles ou rosses. Il avait l'horreur du persiflage. Il se montra, à diverses reprises, polémiste violent, redoutable, et, à la fin de sa carrière, agitateur de foules et plus que tribun, sans qu'on puisse citer de lui ce qu'on appelle un «mot» ou une de ces plaisanteries qui blessent mortellement l'adversaire et font rire la galerie. Il fut tout à fait l'opposé d'un autre polémiste, également remueur de foules, Henri Rochefort, avec qui il n'eut de commun que l'horreur des cohues et l'impossibilité de prononcer deux phrases en public. Fuyant les réceptions, déclinant les invitations, s'abstenant des cérémonies, il se confina dans son intérieur, en compagnie de quelques intimes. Chargé de la critique dramatique, pendant deux années, au Bien Public, il se glissait, inaperçu, dans la chambrée familière des premières. Encore, bien souvent, négligeait-il d'assister à la représentation. Il me priait de parler, à sa place, de la pièce et des artistes, sous une des rubriques de la partie littéraire du Bien Public, dont j'étais alors chargé. Il consacrait son feuilleton à l'examen de quelques thèses dramatiques, ou à l'exposé de ses théories sur l'art théâtral. A Batignolles, comme à Médan, son existence fut celle d'un savant provincial.

      On put le croire indifférent à tout ce qui n'était pas la littérature, ou plutôt sa littérature. Il se concentrait dans la gestation permanente de l'épopée moderne qu'il avait conçue. En dehors des livres, des journaux, des documents, qu'il jugeait utiles à l'élaboration de son «histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire», il ne lisait guère, et ne s'informait qu'en passant des événements et des ouvrages du jour. Il éliminait de sa fréquentation cérébrale tout ce qui lui paraissait étranger à ses personnages. Il recevait quelques amis, presque toujours les mêmes, mais avec eux l'entretien se concentrait, revenait à l'unique objectif de sa pensée. Il fut comme un alchimiste du treizième siècle, penché sur son alambic, absorbé dans la préparation du Grand-œuvre. Étranger à toutes manigances politiques, il était vaguement étiqueté républicain. On lui supposait des tendances réactionnaires, d'après l'Assommoir, qui avait paru calomnieux à l'égard des travailleurs. Il témoignait ouvertement d'une indifférence apathique et dédaigneuse pour tout ce qui se passait dans le monde gouvernemental, électoral, et même littéraire. D'allures paisibles, grave, méditatif, myope, braquant son pince-nez, avec attention, sur les hommes et sur les choses, visiblement absorbé par sa besogne en train, ne fréquentant aucun politicien, ayant l'effroi des réunions publiques, fuyant les bavardages se rapportant aux événements quotidiens, il semblait ne jamais devoir participer ni même s'intéresser à une agitation populaire. Il manifestait bien, dans plusieurs de ses livres, des instincts combatifs, des tendances humanitaires, et des critiques vives des fatalités et des conditions sociales dans lesquelles il se mouvait avec ses personnages, mais, jusqu'en ses dernières années, il ne fût venu à l'idée de personne d'imaginer un Émile Zola, imprévu, se dressant, comme un Pierre l'Ermite, et prêchant, avec une hardiesse inattendue et une énergie insoupçonnée, une croisade laïque et révolutionnaire, au nom de ce qu'il proclamait, et de ce qu'il croyait être la Vérité en marche et la Justice debout. Ce fut comme l'explosion d'un volcan, jusque-là inaperçu. Le cratère se fendit, au milieu d'un grondement orageux, avec des gerbes éblouissantes et fuligineuses, tour à tour jaillissant. Puis des scories noires retombèrent avec de la cendre pleuvant sur tout un pays. Ainsi, la lave de J'Accuse! coula sur la place publique.

      Au milieu de l'effarement des uns, de l'acclamation des autres, des huées et des ovations, le littérateur si doux, si effacé, si timide, sortait de son cabinet laborieux et calme, bondissait au centre d'une mêlée et lançait à la multitude soulevée, à des adversaires exaspérés, un de ces appels irrésistibles, tocsins de révolutions qui ébranlent les sociétés sur leurs bases, et laissent, pour de longues années, dans les airs une vibration déchirante, dans les poitrines une palpitation comparable à la houle des mers.

      Ce n'était pas l'enfant né à Paris, par hasard, qui se produisait ainsi, avec cette passion d'apôtre, avec cette fièvre de tribun, avec cette témérité d'insurgé: c'était le Méridional, le Ligurien, préparé à la lutte et façonné au danger, le compatriote de Mirabeau, de Barbaroux et des preneurs d'assaut des Tuileries, qui surgissait, se faisait place, entraînait la foule et ouvrait une ère de révolution. Le Midi se révélait tout entier dans l'un de ses fils les mieux doués. Le Midi silencieux.

      Physiquement, Zola avait tout du Méridional. Paul Alexis l'a exactement dépeint comme un de ces soldats romains qui purent conquérir le monde. Laurent Tailhade a dit de lui, dans une conférence, à Tours: «C'est un Latin à tête courte du littoral méditerranéen, le Ligure de Strabon, équilibré, solide et fier.» Il n'avait rien du Méridional bavard et turbulent, personnage de vaudeville. Nous nous représentons le plus souvent les Méridionaux, dans le passé, comme de galants troubadours et de gais tambourinaires. Ils nous semblent occupés, dans l'histoire, à tenir des cours d'amour, dans la vie contemporaine, à trépigner, quand se déroule le ruban des farandoles, à gesticuler dans les cafés, à hurler dans les meetings, et, entre temps, préoccupés de placer de l'huile ou du vin. Ce type existe, mais il en est un autre. Le Midi de l'Escorial et de Philippe