La loi de Dieu. Charles Deslys

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Название La loi de Dieu
Автор произведения Charles Deslys
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066331979



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Yvonne…

      –Jamais! jamais!

      –A merveille, mon ami… j’aime cette franchise… tu seras soldat.

      Je n’insistai pas, sachant bien que toute prière serait inutile, et je m’en revins assez tristement vers le vieux pilote.

      –C’est dur, me dit-il, mais raison de plus pour obéir. Un tuteur est le représentant d’un père, un père est le représentant de Dieu.

      –Comment! vous voulez que je cesse d’aimer votre fille?

      –Non. Je veux seulement que tu t’armes de patience et de résignation, je veux que tu nous prouves à tous que ton attachement est de ceux qui savent résister au temps, à la distance. Yvonne t’attendra, sois tranquille… et peut-être qu’un jour ton oncle se laissera fléchir par votre constance.

      –Mais si je persiste à lui refuser le s-erment qu’il exige… et j’y persisterai… il me laissera partir.

      –Eh bien! Lu partiras. tu serviras ton pays, tu feras ton chemin dans l’armée, à l’exemple de ton père.

      Ces mâles paroles, et surtout le regard d’Yvonne, me rendirent espoir et courage.

      Le jour du tirage arriva, j’amenai un mauvais numéro.

      –As-tu peur! me dit Corentin qui se trouvait là, mon frère Brieuc et moi nous avons manœuvré d’avance afin de pouvoir te haler de là.

      –Que veux-tu dire, Corentin?

      –Tirons une bordée jusqu’au sloop, et tu sauras la chose.

      La barque du pilote se trouvait en ce moment dans le port, nous ne tardâmes pas à y arriver.

      Là, Brieuc me montrant une tirelire dont il faisait gaîment sonner le contenu:

      –Voilà ce que c’est! expliqua-t-il, le père nous laisse maintenant une partie de la gagne, et parfois la sœur y joint en cachette quelques petites gratifications maternelles. Or donc, dès qu’il a été question de l’affaire, Corentin et moi, nous nous sommes dit: «Plus de tabac, plus de schnick, plus de dépenses d’aucune sorte. faut devenir économes, faut tout garder pour notre frère Kerkadec!»

      –Et voilà! conclut l’aîné des Penhoël, comprends-tu maintenant?

      –Mais vous n’avez pu amasser ainsi deux mille francs! me récriai-je.

      –Pour ce qui est de ça, non, reprit Brieuc; mais tu ne pars que dans quelques mois, et d’ici là notre épargne aura le temps de grossir encore… surtout si tu peux y mettre un peu du tien. Supposons qu’à nous trois nous parvenions à réunir cinq cents francs, peut-être six?

      –Eh bien! ce ne sera que le quart de la somme?

      –Oui, mais Corentin connaît un marchand d’hommes qui se contenterait de cet à-compte, et qui nous ferait crédit pour le reste.

      –Quinze cents francs! y songez-vous?

      –D’abord et d’une, tu vas commencer à gagner chez ton patron. D’autre part, nous continuerions de plus belle à nous sevrer de tout, et ça pendant deux ou trois ans… s’il le fallait même, pendant dix!

      –Quoi! toutes vos distractions, tous vos plaisirs, ..

      –Bah! bah! qu’est-ce que ça fait?… comptes-tu donc pour rien le bonheur de pouvoir conserver à ma sœur son mari, à nous tous un bon frère?

      Dignes garçons! braves garçons! Je leur sautai au cou, je les embrassai, en pleurant de joie. j’étais sauvé!

      –Motus! reprit Brieuc, faut rien en dire au père, ni même à Yvonne. La tirelire est cachée, là, dans le coffre à Corentin. Motus avec tout le monde!

      Deux mois plus tard. par une effroyable tempête, le sloop se perdait corps et biens sur la côte de Guernesey.

      Ce jour-là, le vieux pilote était resté à terre.

      Quant à Corentin, quant à Brieuc, l’Océan les avait engloutis.

      Ce fut un deuil général à Saint-Malo, tant les Penhoël étaient aimés de tous. Jamais je n’oublierai le passage du convoi funèbre à travers les rues, sa dernière halte au cimetière.

      Les cheveux du vieux Penhoël avaient entièrement blanchi, son visage était baigné de larmes. Mais il ne laissait échapper aucun cri, aucune plainte; mais il ne chancelait pas en chemin, et jusqu’au bout il continua d’avancer, majestueusement recueilli dans sa stoïque douleur.

      A sa droite marchait Benjamin, qui venait d’arriver du séminaire. Il avait alors dix-huit ans; il était pâle et doux comme un ange en pleurs.

      Quant à Yvonne, qui marchait à la gauche du vieillard, elle avait ce regard et cette physionomie que les peintres donnent à la Mater dolorosa; elle était divinement belle.

      Lorsque les deux jeunes pilotes eurent été descendus dans une même fosse, le vieillard s’agenouilla, toujours entre Yvonne et Benjamin.

      –Seigneur! dit-il, je vous avais offert tous mes enfants… vous m’avez repris ces deux-là, que votre volonté soit faite!

      –Amen! répondit derrière eux une voix qui les fit retourner tous les trois.

      C’était Gabriel.

      Il arrivait de Chine; il venait de débarquer juste à temps pour rendre les derniers devoirs à ses deux frères!»

       Table des matières

      Kerkadec, oppressé par l’émotion, fit une nouvelle halte dans son récit.

      La nuit était devenue complète; l’azur sombre du ciel s’illuminait d’une myriade d’étoiles, mais voilées, pâles et tristes.

      Un profond silence pesait sur le camp endormi: les feux ne jetaient plus que de mourantes lueurs; les tentes et les sentinelles semblaient autant de fantômes blancs et noirs.

      Dans l’immobilité même de cette atmosphère sans un souffle de vent, il y avait quelque chose d’étrangement mélancolique, en harmonie parfaite avec la douloureuse confidence de l’officier breton.

      Il continua:

      «Ce pauvre Gabriel avait déjà bien souffert!

      Il portait au front, aux mains, aux pieds, de sanglantes cicatrices.

      A l’exemple, en dérision du divin Maître dont il était allé répandre la doctrine et prêcher la Passion, on l’avait couronné d’épines, on l’avait crucifié.

      Oh! je me souviendrai toujours de l’attendrissement, de l’admiration d’Yvonne et de Benjamin lorsque, de retour à la maison, ils firent asseoir entre eux le bien-aimé missionnaire, ils examinerent, ils touchèrent, ils baisèrent pieusement ses glorieuses blessures.

      Que fût-ce lorsqu’il raconta son long voyage et ses douloureuses épreuves, lorsqu’il décrivit ce bizarre et mystérieux pays, lorsqu’il parla des périls qu’il avait affrontés, des souffrances qu’il avait subies, des conversions dont il avait eu la gloire!

      Benjamin surtout, Benjamin l’écoutait avec une ardente curiosité, avec un enthousiasme qui, de jour en jour, sembla grandir encore.

      Aussi, lorsque Gabriel parla de repartir:

      –Je t’accompagnerai! lui dit Benjamin d’une voix fermement résolue, je désire m’associer à ton apostolat… je t’en prie, frère… je le veux!

      Cette fièvre de dévouement, cette ardeur chrétienne, nous avait gagnés tous. Dans le