Название | La loi de Dieu |
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Автор произведения | Charles Deslys |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066331979 |
Rien de touchant, je le répète, comme cette famille où chacun avait son rôle marqué d’avance, et l’acceptait avec une simplicité vraiment héroïque.
Il y avait déjà longtemps que la mère Penhoël était morte, et que sa fille. bien qu’enfant encore. la remplaçait comme maîtresse de maison. Il en résulta pour elle une sorte de gravité précoce et quasiment maternelle. Au lendemain de sa première communion, Yvonne avait déjà l’air d’une femme.
Je crois la voir encore, avec son costume breton, presque toujours de couleur sombre, et sa grande coiffe malouine, aussi blanche que la neige. Soit qu’elle se rendit à l’église avec une allure chastement réservée, soit que d’un pas actif et leste elle allât aux provisions, chacun la regardait passer avec un étonnement admiratif, avec un respectueux sourire. Dans la maison, elle savait entretenir un ordre admirable, et tous ses frères lui obéissaient aveuglément, voire même le père, auquel parfois, le dimanche, elle ne craignait pas de faire un doigt de morale à l’endroit de la sobriété; c’était elle qui tenait la bourse.
Garde-toi de croire nonobstant que cette austérité de mœurs engendrât la tristesse. Loin de là, c’était un des logis les plus souriants de la ville, et lorsque les vacances nous réunissaient tous, il y régnait un patriarcal enjouement, une franche allégresse; Gabriel et Benjamin eux-mêmes oubliaient leur soutane noire, et quand parfois, tous ensemble, nous allions faire une promenade aux environs, c’était à qui s’ébattrait le plus joyeusement dans la campagne. Yvonne ne songeait plus à nous retenir ces jours-là; elle se laissait aller à l’influence expansive du grand air et du grand soleil, à la rieuse agilité de ses quinze ans!
Car elle avait déjà quinze ans, notre chère sœur Yvonne; c’était une belle et grande fille, à a taille gracieuse et svelte, aux traits réguliers comme ceux d’une madone, aux yeux noirs et rêveurs, à l’angélique sourire.
Que te dirai-je de plus, ami? Je l’aimais. Dans notre entourage, chacun nous croyait destinés l’un à l’autre.
Je terminai enfin mes études; mon tuteur, sans aucun avertissement préalable, me fit entrer chez un armateur en qualité de commis.
–Comporte-toi bien, me dit-il. Grâce à mon héritage, tu lui succéderas un jour.
J’avais craint qu’on ne m’éloignât de Saint-Malo. Je m’empressai d’aller communiquer cette bonne nouvelle à mes amis.
–Bravo! s’écrièrent d’une même voix les quatre frères, nous ne nous quitterons plus maintenant!
Quant au vieux pilote, il me serra cordialement les mains, il m’appela son fils.
–Je suis bien contente, me dit Yvonne avec une larme de joie dans les yeux.
Oh! tout semblait me sourire ce soir-là; je me croyais assuré d’un avenir heureux.
Comme on se trompe, pourtant. comme on se trompe!»
III
Après une courte pause, le capitaine Kerkadec reprit ainsi:
«Une dernière année s’écoula sans que rien altérât la douce intimité dans laquelle nous vivions, les Penhoël et moi.
Puis, une suite de malheurs se déchaîna contre cette famille, que déjà je considérais comme la mienne.
D’abord, ce fut le départ de Gabriel. Il venait de prononcer ses vœux, il voulut partir comme missionnaire.
–Pourquoi ne pas rester auprès de nous? lui disait son père. On te promet un vicariat dans les environs; c’est une noble et sainte mission que celle d’un curé de village.
–Sans doute, répondait le jeune prêtre, et j’espère que mon frère Benjamin restera dans cette voie; elle n’est pas moins agréable à Dieu. Moi, je me sens attifé là-bas par une irrésistible vocation, j’ai soif de conquérir des âmes.
–Mais si tu n’allais pas revenir, mon pauvre enfant! mais si ceux quo tu veux convertir to martyrisaient.
–Non, père, non. vous prierez pour moi… ne m’empêchez pas de partir. C’est Dieu qui m’appelle!
Le vieillard enfin se résigna; Gabriel partit pour la Chine.
Nous l’avions tous accompagné jusqu’au lieu de l’embarquement; je pus voir alors quelle est la puissance, quelle est l’ardeur de cet instinct religieux, de cette fièvre de dévouement qui existe dans certaines races, et qui pourrait s’appeler la prédestination apostolique.
En regardant s’éloigner le vaisseau qui emportait le jeune missionnaire, ses trois frères l’enviaient, sa sœur ne put se défendre de dire:
–Oh! c’est beau de se dévouer ainsi… pour l’amour de Dieu!
Cette exaltation finit par gagner le vieux Penhoël.
–Mon Dieu! dit-il en levant ses regards vers le ciel, oh! mon Dieu, je viens de vous donner l’un de mes enfants… si ce n’est pas encore assez, parlez. j’en ai d’autres!
Une heure plus tard, cependant, de retour au logis, l’émotion paternelle reprit le dessus. Le vieillard se laissa tomber dans son grand fauteuil rustique, et pleura,
Puis, comme ses fils et sa fille s’étaient groupés autour de lui pour le consoler, il les réunit dans un même embrassement, et murmura:
–Nous ne sommes plus maintenant que cinq!
–Vous m’oubliez! m’écriai-je, vous m’oubliez, père… Je suis déjà votre fils par le cœur… Voulez-vous que je le devienne en réalité par mon mariage avec Yvonne?
Les trois Penhoël s’étaient redressés; ils me regardaient en souriant.
Yvonne, surprise et confuse, se cachait à demi le visage dans un pli flottant du manteau de son père,
Le pilote s’avança lentement vers moi, posa ses deux larges mains sur mes épaules, me regarda dans les yeux, et me dit:
–Tu n’as pas encore vingt ans, Kerkadec. mais tu es digne d’elle, et je t’estime de tout mon cœur!
A ce dernier mot, me prenant la tête, il m’attira vers lui pour m’embrasser au front. C’était m’adopter comme son enfant, comme le mari de sa fille. Un vigoureux hurrah des trois frères acclama joyeusement ces accordailles.
Quant à moi, délicieusement ému, j’eus à peine la force de balbutier:
–Père Penhoël… père Penhoël… mais vous m’autorisez donc à demander le consentement de mon oncle?
–Quand tu voudras, mon garçon… le mien est donné!
Je courus trouver mon tuteur. Bien que s’occupant fort peu de moi, néanmoins il comptait s’arroger un contrôle absolu sur mon avenir.
–Ce mariage-là ne me va pas du tout, interrompit-il dès les premiers mots.
–J’en suis désolé, répondis-je, mais permettez-moi de vous rappeler, mon cher oncle; que je me nomme Kerkadec, et que je suis breton. c’est tout dire.
–A ton aise, mon cher neveu! mais je ne suis ni moins breton que toi, ni moins Kerkadec. Tu attendras donc jusqu’à vingt-cinq ans, s’il te plaît. D’ici là, nous avons la conscription.
–Ne comptez-vous donc plus m’acheter un remplaçant?
–Avec quoi?
–Je sais bien que mon père ne m’a rien laissé, mais j’espérais, je