Название | La Grande Marnière |
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Автор произведения | Georges Ohnet |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066084967 |
Cependant, malgré l'amer désenchantement que lui causaient tant d'échecs successifs, au fond de l'esprit de la jeune fille une dernière espérance fleurissait encore. Elle avait en son père une foi superstitieuse. Elle pensait: Il finira par trouver, comme il le dit si souvent; et ce jour-là, comme dans un prodigieux conte de fées, les blocs crayeux de la colline se changeront en or.
La cloche qui annonçait le déjeuner sonnant dans le lointain tira Antoinette de ses rêves. Elle donna un coup de cravache à sa monture, partit au galop, et vivement arriva à la grille. Elle secoua sa tête pensive, prit un air riant, traversa la cour immense, entre les pavés de laquelle l'herbe poussait haute, sauta toute seule à terre, ouvrit la porte d'une écurie, et, débridant sa bête, la laissa aller vers la stalle garnie de paille fraîche Puis, retroussant sa longue jupe sur son bras, elle se dirigea, suivie de son chien, vers la salle à manger.
Dans la vaste pièce dallée de marbre rouge et blanc, au plafond décoré de caissons dans lesquels étaient peintes les armes de la famille, aux murs garnis de dressoirs sculptés, dont les tablettes portaient les pièces massives d'une antique argenterie, derniers vestiges du luxe disparu, autour d'une table trop large, quatre personnes assises déjeunaient, servies par un vieux domestique.
À la gauche de M. de Clairefont une place restait vide, celle de la retardataire; à sa droite, Mlle de Saint-Maurice, avec sa taille de grenadier, sa figure écarlate de vieille fille couperosée; en face, le jeune comte Robert, et un personnage long et blême, très chauve, sans un poil de barbe, abritant derrière des lunettes à branches d'or ses yeux au regard indécis.
—Ah! voilà ma fille, dit avec satisfaction le marquis... Ma chère, je commençais à être inquiet... J'ai fait sonner trois fois la grosse cloche pour t'avertir... Tu étais donc partie bien loin?
—J'étais allée jusqu'à La Saucelle, mon père, répondit Antoinette en embrassant le vieillard... Les enfants du fermier sont malades et je voulais avoir de leurs nouvelles... Bonjour, ma bonne tante...
—Bonjour, fraîcheur... Viens que je te respire... Tu sens la rosée et les fleurs...
—C'est de vous, tante, qu'il faut dire cela: vous êtes radieuse, ce matin.
—Bon! bon! flatteuse, répliqua d'une voix forte Mlle de Saint-Maurice... Je suis radieuse à la façon d'un coucher de soleil!
Et elle épanouit dans un large sourire son visage embrasé.
Antoinette fit le tour de la table, donna en passant une petite tape amicale sur la joue de son frère et, tendant la main au troisième convive qui s'était levé cérémonieusement:
—Enchantée de vous voir, monsieur Malézeau, dit-elle... Je vous prie de m'excuser, je ne savais pas que j'aurais le plaisir de vous trouver ici en rentrant... L'étude est toujours à sa place? Mme Malézeau se porte bien?
—Choses et gens, Mademoiselle... tout à votre service, Mademoiselle, croyez-le bien... répondit le notaire qui, par un tic invétéré, ponctuait chacun des fragments de ses phrases d'un «Monsieur», «Madame» ou «Mademoiselle», du plus bizarre effet.
—Allons! tout est pour le mieux! conclut la jeune fille. Et, s'asseyant gaiement auprès de son père:
—N'allez rien chercher pour moi, Bernard, dit-elle au vieux serviteur, je prendrai le déjeuner où il en est... Je meurs de faim ce matin...
Elle se mit à manger avec une charmante vivacité de mouvements, un entrain juvénile et robuste qui faisaient plaisir à voir. Son frère la regarda un instant, puis, affectant un air solennel:
—Mademoiselle ma sœur, deux mots maintenant. Tu nous dis que tu reviens de La Saucelle, c'est fort bien. Je t'ai, en effet, vue passer sur le plateau... Mais ce que tu ne nous dis pas, c'est que tu n'étais pas seule...
À ces mots Antoinette devint fort rouge, et leva brusquement la tête...
—Allons, Robert, que signifie cette plaisanterie? s'écria la tante Isabelle. Prétends-tu nous faire accroire que ta sœur se promène sur les routes avec des gens que tu ne connais pas?
—Ma foi, il dit vrai, cependant, interrompit Mlle de Clairefont. Je me suis promenée ce matin pendant plus d'une demi-heure avec un inconnu.
—Quelque mendiant qui t'a suivie jusqu'au château?
—Non pas! C'est tout le contraire d'un mendiant...
—Tu m'intrigues... Est-ce donc un millionnaire? demanda le marquis en souriant.
—Si j'en crois ce qu'on raconte, il pourrait bien l'être, en effet, un jour...
—Eh! là. Vous verrez tout à l'heure que ce sera quelque brigand, qui aura demandé à Antoinette la bourse ou la vie.
—Tante, vous brûlez presque. Car, à cela près qu'il ne m'a demandé ni la bourse ni la vie... c'était le fils de M. Carvajan en personne.
Il y eut un silence. Jamais, depuis vingt ans, le nom de Carvajan n'avait été prononcé sous ce toit, sans qu'il fût l'avant-coureur de quelque malheur.
Le marquis baissa son front devenu sombre, et, à voix basse:
—J'avais oublié que Carvajan eût un fils...
Il jeta sur Robert et sur Antoinette un regard troublé, comme s'il eût craint que la haine du père, transmise au descendant comme un héritage, ne vint peser sur ses enfants aussi lourde qu'elle avait pesé sur lui. Et, avec une sourde inquiétude:
—Mais comment cette rencontre s'est-elle faite? Ce jeune homme t'a-t-il parlé?
—Oui! mon père, pour me demander son chemin, et très respectueusement.
—Je l'en félicite! murmura Robert, dont les yeux lancèrent un éclair. Car s'il en avait été autrement...
—J'ignorais qui il était, et je ne songeais guère à m'en informer... Un passant m'avait demandé sa route, qui était la mienne, et je l'avais invité à me suivre... Nous avons cheminé tous deux en silence, et c'est seulement au moment de nous séparer, et en me remerciant, qu'il m'a dit son nom...
—Comment est-il? interrogea la tante de Saint-Maurice. Est-ce un homme comme il faut, ou un «pétras»... A-t-il la mâchoire de loup de monsieur son père?
—Il a l'apparence d'un garçon bien élevé, et, quant à sa figure, elle n'est pas déplaisante à voir... Mais, tante, ajouta ironiquement Antoinette, si vous êtes curieuse d'avoir des détails sur l'héritier de la maison Carvajan, M. Malézeau pourra sans doute vous en donner de complets...
—Moi, Mademoiselle? balbutia le notaire, en portant les mains à sa maigre poitrine avec un geste de protestation...
—Le maire de La Neuville n'est-il pas votre client comme moi? dit malicieusement M. de Clairefont.
—Oh! c'est bien différent, Monsieur le marquis, s'écria Malézeau, dont les yeux papillotèrent derrière ses lunettes d'or; avec M. Carvajan j'ai des relations d'affaires, Monsieur le marquis, mais avec vous, Monsieur le marquis, et votre aimable famille, Monsieur le marquis, oh! les liens du plus respectueux dévouement...
—Enfin, Malézeau, vous dînez chez le maire? interrompit vivement Robert avec un sourire narquois.
—Rarement, Monsieur le comte, le plus rarement possible! dit le notaire, qui parut être au supplice... Vous savez ce que sont les villes de province, Monsieur