Название | La Sorcière |
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Автор произведения | Jules Michelet |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080655 |
Quel dommage qu'elle ne puisse le saisir et le regarder! Une fois, à l'improviste, ayant touché les tisons, elle l'a cru voir qui se roulait, l'espiègle, dans les étincelles. Une autre fois, elle a failli le prendre dans une rose. Tout petit qu'il est, il travaille, balaye, approprie, il lui épargne mille soins.
Il a ses défauts cependant. Il est léger, audacieux, et, si on ne le tenait, il s'émanciperait peut-être. Il observe, écoute trop. Il redit parfois au matin tel petit mot qu'elle a dit tout bas, tout bas, au coucher, quand la lumière était éteinte.—Elle le sait fort indiscret, trop curieux. Elle est gênée de se sentir suivie partout, s'en plaint et y a plaisir. Parfois elle le renvoie, le menace, enfin se croit seule et se rassure tout à fait. Mais au moment elle se sent caressée d'un souffle léger ou comme d'une aile d'oiseau. Il était sous une feuille... Il rit... Sa gentille voix, sans moquerie, dit le plaisir qu'il a eu à surprendre sa pudique maîtresse. La voilà bien en colère.—Mais le drôle: «Non, chérie, mignonne, vous n'en êtes pas fâchée.»
Elle a honte, n'ose plus rien dire. Mais elle entrevoit alors qu'elle l'aime trop. Elle en a scrupule, et l'aime encore davantage. La nuit, elle a cru le sentir au lit qui s'était glissé. Elle a eu peur, a prié Dieu, s'est serrée à son mari. Que fera-t-elle? elle n'a pas la force de le dire à l'Église. Elle le dit au mari, qui d'abord en rit et doute. Elle avoue alors un peu plus,—que ce follet est espiègle, parfois trop audacieux...—«Qu'importe, il est si petit!»—Ainsi, lui-même la rassure.
Devons-nous être rassurés, nous autres qui voyons mieux? Elle est bien innocente encore. Elle aurait horreur d'imiter la grande dame de là-haut, qui a par-devant le mari, sa cour d'amants, et son page. Avouons-le pourtant, le lutin a déjà fait bien du chemin. Impossible d'avoir un page moins compromettant que celui qui se cache dans une rose. Et avec cela, il tient de l'amant. Plus envahissant que nul autre, si petit, il glisse partout.
Il glisse au cœur du mari même, lui fait sa cour, gagne ses bonnes grâces. Il lui soigne ses outils, lui travaille le jardin, et le soir, pour récompense, derrière l'enfant et le chat, se tapit dans la cheminée. On entend sa petite voix tout comme celle du grillon, mais on ne le voit pas beaucoup, à moins qu'une faible lueur n'éclaire une certaine fente où il aime à se tenir. Alors on voit, on croit voir, un minois subtil. On lui dit: «Oh! petit, nous t'avons vu!»
On leur dit bien à l'église qu'il faut se défier des Esprits, que tel qu'on croit innocent, qui glisse comme un air léger, pourrait au fond être un démon. Ils se gardent bien de le croire. Sa taille le fait croire innocent. Depuis qu'il y est, on prospère. Le mari autant que la femme y tient, et encore plus peut-être. Il voit que l'espiègle follet fait le bonheur de la maison.
IV
TENTATIONS
J'ai écarté de ce tableau les ombres terribles du temps qui l'eussent cruellement assombri. J'entends surtout l'incertitude où la famille rurale était de son sort, l'attente, la crainte habituelle de l'avanie fortuite qui pouvait d'un moment à l'autre tomber du château.
Le régime féodal avait justement les deux choses qui font un enfer: d'une part, la fixité extrême, l'homme était cloué à la terre et l'émigration impossible;—d'autre part, une incertitude très grande dans la condition.
Les historiens optimistes qui parlent tant de redevances fixes, de chartes, de franchises achetées, oublient le peu de garanties qu'on trouvait dans tout cela. On doit payer tant au seigneur, mais il peut prendre tout le reste. Cela s'appelle bonnement le droit de préhension. Travaille, travaille, bonhomme. Pendant que tu es aux champs, la bande redoutée de là-haut peut s'abattre sur ta maison, enlever ce qui lui plaît «pour le service du seigneur».
Aussi, voyez-le, cet homme; qu'il est sombre sur son sillon, et qu'il a la tête basse!... Et il est toujours ainsi, le front chargé, le cœur serré, comme celui qui attendrait quelque mauvaise nouvelle.
Rêve-t-il un mauvais coup? Non, mais deux pensées l'obsèdent, deux pointes le percent tour à tour. L'une: «En quel état ce soir trouveras-tu ta maison?»—L'autre: «Oh! si la motte levée me faisait voir un trésor? si le bon démon me donnait pour nous racheter?»
On assure qu'à cet appel (comme le génie étrusque qui jaillit un jour sous le soc en figure d'enfant), un nain, un gnome, sortait souvent tout petit de la terre, se dressait sur le sillon, lui disait: «Que me veux-tu?»—Mais le pauvre homme interdit ne voulait plus rien. Il pâlissait, il se signait, et alors tout disparaissait.
Le regrettait-il ensuite? Ne disait-il pas en lui-même: «Sot que tu es, tu seras donc à jamais malheureux!» Je le crois volontiers. Mais je crois aussi qu'une barrière d'horreur insurmontable arrêtait l'homme. Je ne pense nullement, comme voudraient le faire croire les moines qui nous ont conté les affaires de sorcellerie, que le Pacte avec Satan fût un léger coup de tête, d'un amoureux, d'un avare. A consulter le bon sens, la nature, on sent, au contraire, qu'on n'en venait là qu'à l'extrémité, en désespoir de toute chose, sous la pression terrible des outrages et des misères.
«Mais, dit-on, ces grandes misères durent être fort adoucies vers les temps de saint Louis, qui défend les guerres privées entre les seigneurs.» Je crois justement le contraire. Dans les quatre-vingts, ou cent ans qui s'écoulent entre cette défense et les guerre des Anglais (1240-1340), les seigneurs, n'ayant plus l'amusement habituel d'incendier, piller la terre du seigneur voisin, furent terribles à leurs vassaux. Cette paix leur fut une guerre.
Les seigneurs ecclésiastiques, seigneurs moines, etc., font frémir dans le Journal d'Eudes Rigault (publié récemment). C'est le rebutant tableau d'un débordement effréné, barbare. Les seigneurs moines s'abattaient surtout sur les couvents de femmes. L'austère Rigault, confesseur du saint roi, archevêque de Rouen, fait une enquête lui-même sur l'état de la Normandie. Chaque soir il arrive dans un monastère. Partout, il trouve ces moines vivant la grande vie féodale, armés, ivres, duellistes, chasseurs furieux à travers toute culture; les religieuses avec eux dans un mélange indistinct, partout enceintes de leurs œuvres.
Voilà l'Église. Que devaient être les seigneurs laïques? Quel était l'intérieur de ces noirs donjons que d'en bas on regardait avec tant d'effroi? Deux contes, qui sont sans nul doute des histoires, la Barbe-Bleue et Grisélidis, nous en disent quelque chose. Qu'était-il pour ses vassaux, ses serfs, l'amateur de torture qui traitait ainsi sa famille? Nous le savons par le seul à qui l'on ait fait un procès, et si tard, au quinzième siècle: Gilles de Retz, l'enleveur d'enfants.
Le Front-de-Bœuf de Walter Scott, les seigneurs de mélodrames et de romans, sont de pauvres gens devant ces terribles réalités. Le Templier d'Ivanhoë est aussi une création faible et très artificielle. L'auteur n'a osé aborder la réalité immonde du célibat du Temple, et de celui qui régnait dans l'intérieur du château. On y recevait peu de femmes; c'étaient des bouches inutiles. Les romans de chevalerie donnent très exactement le contraire de la vérité. On a remarqué que la littérature exprime souvent tout à fait l'envers des mœurs (exemple, le fade théâtre d'églogues à la Florian dans les années de la Terreur).
Les logements de ces châteaux, dans ceux qu'on peut voir encore, en disent plus que tous les livres. Hommes d'armes, pages, valets, entassés la nuit sous de basses voûtes, le jour retenus aux créneaux, aux terrasses étroites, dans le plus désolant ennui, ne respiraient, ne vivaient que dans leurs échappées d'en bas; échappées non plus de guerres sur les terres voisines, mais de chasse, et de chasse à l'homme, je veux dire d'avanies sans nombre, d'outrages aux familles serves. Le seigneur savait bien lui-même qu'une telle masse d'hommes sans femmes ne pouvait être paisible qu'en les lâchant par moments.
La choquante idée d'un enfer où Dieu emploie des âmes scélérates, les plus coupables de toutes, à torturer les moins coupables qu'il leur livre pour jouet, ce beau dogme du Moyen-âge se réalisait à la lettre. L'homme