La Sorcière. Jules Michelet

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Название La Sorcière
Автор произведения Jules Michelet
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066080655



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son époux.

      Avant toute chose elle dit: «Que je vous ai donc attendu! Comment laissez-vous la fidèle épouse si longtemps veuve et languissante?... Eh bien, pourtant, je ne peux pas vous donner place ce soir, si vous ne m'octroyez un don.—Demandez, demandez, ô belle! dit le chevalier en riant. Mais faites vite... Car j'ai hâte de vous embrasser, ma Dame... Que je vous trouve embellie!»

      Elle lui parla à l'oreille, et l'on ne sait ce qu'elle dit. Avant de monter au château, le bon seigneur mit pied à terre devant l'église du village, entra. Sous le porche, en tête des notables, il voit une dame qu'il ne reconnaît pas, mais salue profondément. D'une fierté incomparable, elle portait bien plus haut que toutes les têtes des hommes le sublime hennin de l'époque, le triomphant bonnet du Diable. On l'appelait souvent ainsi, à cause de la double corne dont il était décoré. La vraie dame rougit éclipsée, et passa toute petite. Puis, indignée, à demi voix: La voilà pourtant, votre serve! C'est fini. Tout est renversé. Les ânes insultent les chevaux.»

      A la sortie, le hardi page, le favori, de sa ceinture tire un poignard affilé, et lestement, d'un seul tour, coupe la belle robe verte aux reins[27]. Elle faillit s'évanouir... La foule était interdite. Mais on comprit quand on vit toute la maison du seigneur qui se mit à lui faire la chasse... Rapides et impitoyables sifflaient, tombaient les coups de fouet... Elle fuit, mais pas bien fort; elle est déjà un peu pesante. A peine elle a fait vingt pas, qu'elle heurte. Sa meilleure amie lui a mis sur le chemin une pierre pour la faire chopper... On rit. Elle hurle, à quatre pattes... Mais les pages impitoyables la relèvent à coups de fouet. Les nobles et jolis lévriers aident et mordent au plus sensible. Elle arrive enfin, éperdue, dans ce terrible cortège, à la porte de sa maison.—Fermée!—Là, des pieds et des mains, elle frappe, elle crie: «Mon ami, oh! vite! vite! ouvrez-moi!» Elle était étalée là, comme la misérable chouette qu'on cloue aux portes d'une ferme... Et les coups, en plein, lui pleuvaient...—Au dedans, tout était sourd. Le mari y était-il? ou bien, riche et effrayé, avait-il peur de la foule, du pillage de la maison?

      Elle eut là tant de misères, de coups, de soufflets sonores, qu'elle s'affaissa, défaillit. Sur la froide pierre du seuil, elle se trouva assise, à nu, demi-morte, ne couvrant guère sa chair sanglante que des flots de ses longs cheveux. Quelqu'un du château dit: «Assez... On n'exige pas qu'elle meure.»

      On la laisse. Elle se cache. Mais elle voit en esprit le grand gala du château. Le seigneur, un peu étourdi, disait pourtant: «J'y ai regret.» Le chapelain dit doucement: «Si cette femme est endiablée, comme on le dit, monseigneur, vous devez à vos bons vassaux, vous devez à tout le pays de la livrer à Sainte-Église. Il est effrayant de voir, depuis ces affaires du Temple et du Pape, quels progrès fait le démon. Contre lui, rien que le feu...»—Sur cela un Dominicain: «Votre Révérence a parlé excellemment bien. La diablerie, c'est l'hérésie au premier chef. Comme l'hérétique, l'endiablé doit être brûlé. Pourtant plusieurs de nos bons Pères ne se fient plus au feu même. Ils veulent sagement qu'avant tout l'âme soit longuement purgée, éprouvée, domptée par les jeûnes; qu'elle ne brûle pas dans son orgueil, qu'elle ne triomphe pas au bûcher. Si, madame, votre piété est si grande, si charitable, que vous-même vous preniez la peine de travailler sur celle-ci, la mettant pour quelques années in-pace dans une bonne fosse dont vous seule auriez la clé; vous pourriez, par la constance du châtiment, faire du bien à son âme, honte au Diable, et la livrer, humble et douce, aux mains de l'Église.»

       LE PACTE

       Table des matières

      Il ne manquait que la victime. On savait que le présent le plus doux qu'on pût lui faire, c'était de la lui amener. Elle eût tendrement reconnu l'empressement de celui qui lui eût fait ce don d'amour, livré ce triste corps sanglant.

      Mais la proie sentit le chasseur. Quelques minutes plus tard, elle aurait été enlevée, à jamais scellée sous la pierre. Elle se couvrit d'un haillon qui se trouvait dans l'étable, prit des ailes, en quelque sorte, et, avant minuit, se trouva à quelques lieues, loin des routes, sur une lande abandonnée qui n'était que chardons et ronces. C'était à la lisière d'un bois où, par une lune douteuse, elle put ramasser quelques glands, qu'elle engloutit, comme une bête. Des siècles avaient passé depuis la veille; elle était métamorphosée. La belle, la reine de village, n'était plus; son âme, changée, changeait ses attitudes mêmes. Elle était comme un sanglier sur ces glands, ou comme un singe, accroupie. Elle roulait des pensées nullement humaines, quand elle entend ou croit entendre un miaulement de chouette, puis un aigre éclat de rire. Elle a peur, mais c'est peut-être le gai moqueur qui contrefait toutes les voix; ce sont ses tours ordinaires.

      L'éclat de rire recommence. D'où vient-il? Elle ne voit rien. On dirait qu'il sort d'un vieux chêne.

      Mais elle entend distinctement: «Ah! te voilà donc enfin... Tu n'es pas venue de bonne grâce. Et tu ne serais pas venue si tu n'avais trouvé le fond de ta nécessité dernière... Il t'a fallu, l'orgueilleuse, faire la course sous le fouet, crier et demander grâce, moquée, perdue, sans asile, rejetée de ton mari. Où serais-tu si, le soir, je n'avais eu la charité de te faire voir l'in-pace qu'on te préparait dans la tour?... C'est tard, bien tard, que tu me viens, et quand on t'a nommée la vieille... Jeune, tu ne m'as pas bien traité, moi, ton petit lutin d'alors, si empressé à te servir... A ton tour (si je veux de toi) de me servir et de baiser mes pieds.

      «Tu fus mienne dès ta naissance par ta malice contenue, par ton charme diabolique. J'étais ton amant, ton mari. Le tien t'a fermé sa porte. Moi, je ne ferme pas la mienne. Je te reçois dans mes domaines, mes libres prairies, mes forêts... Qu'y gagné-je? Est-ce que dès longtemps je ne t'ai pas à mon heure? Ne t'ai-je pas envahie, possédée, emplie de ma flamme? J'ai changé, remplacé ton sang. Il n'est veine de ton corps où je ne circule pas. Tu ne peux pas savoir toi-même à quel point tu es mon épouse. Mais nos noces n'ont pas eu encore toutes les formalités. J'ai des mœurs, je me fais scrupule... Soyons un pour l'éternité.

      «—Messire, dans l'état où je suis, que dirais-je? Oh! je l'ai senti, trop bien senti, que dès longtemps vous êtes toute ma destinée. Vous m'avez malicieusement caressée, comblée, enrichie, afin de me précipiter... Hier, quand le lévrier noir mordit ma pauvre nudité, sa dent brûlait... J'ai dit: «C'est lui.» Le soir, quand cette Hérodiade salit, effraya la table, quelqu'un était entremetteur pour qu'on promît mon sang... C'est vous.

      «—Oui, mais c'est moi qui t'ai sauvée et qui t'ai fait venir ici. J'ai fait tout, tu l'as deviné. Je t'ai perdue, et pourquoi? C'est que je te veux sans partage. Franchement, ton mari m'ennuyait. Tu chicanais, tu marchandais. Tout autres sont mes procédés. Tout ou rien. Voilà pourquoi je t'ai un peu travaillée, disciplinée, mise à point, mûrie pour moi... Car telle est ma délicatesse. Je ne prends pas, comme on croit, tant d'âmes sottes qui se donneraient. Je veux des âmes élues, à un certain état friand de fureur et de désespoir... Tiens, je ne peux te le cacher, telle que tu es aujourd'hui, tu me plais; tu t'embellis fort; tu es une âme désirable... Oh! qu'il y a longtemps que je t'aime!... Mais aujourd'hui j'ai faim de toi...

      «Je ferai grandement les choses. Je ne suis pas de ces maris qui comptent avec leur fiancée. Si tu ne voulais qu'être riche, cela serait à l'instant même. Si tu ne voulais qu'être reine, remplacer Jeanne de Navarre, quoiqu'on y tienne, on le ferait, et le roi n'y perdrait guère en orgueil, en méchanceté. Il est plus grand d'être ma femme. Mais enfin, dis ce que tu veux.

      «—Messire, rien que de faire du mal.

      «—Charmante, charmante réponse!... Oh! que j'ai raison de t'aimer!... En effet, cela contient tout, toute la loi et tous les prophètes... Puisque tu as si bien choisi, il te sera, par-dessus, donné de surplus tout le reste. Tu auras tous mes secrets. Tu verras au fond de la terre. Le monde viendra à toi, et mettra l'or à tes pieds... Plus, voici le vrai diamant, mon épousée, que je te donne, la vengeance... Je te sais, friponne, je sais ton plus caché désir... Oh!