Название | La Sorcière |
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Автор произведения | Jules Michelet |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066080655 |
Horreur! En vertu de quel droit ce vassus (c'est-à-dire vaillant) est-il désormais retenu?—On soutiendra que vassus peut aussi vouloir dire esclave.
De même le mot servus, qui se dit pour serviteur (souvent très haut serviteur, un comte ou prince d'Empire), signifiera pour le faible un serf, un misérable dont la vie vaut un denier.
Par cet exécrable filet, ils sont pris. Là-bas cependant, il y a dans sa terre un homme qui soutient que sa terre est libre, un aleu, un fief du soleil. Il s'asseoit sur une borne, il enfonce son chapeau, regarde passer le seigneur, regarde passer l'Empereur[13]. «Va ton chemin, passe, Empereur... Tu es ferme sur ton cheval, et moi sur ma borne encore plus. Tu passes, et je ne passe pas... Car je suis la Liberté.»
Mais je n'ai pas le courage de dire ce que devient cet homme. L'air s'épaissit autour de lui, et il respire de moins en moins. Il semble qu'il soit enchanté. Il ne peut plus se mouvoir. Il est comme paralysé. Ses bêtes aussi maigrissent, comme si un sort était jeté. Ses serviteurs meurent de faim. Sa terre ne produit plus rien. Des esprits la rasent la nuit.
Il persiste cependant: «Povre homme en sa maison roy est.»
Mais on ne le laisse pas là. Il est cité, et il doit répondre en cour impériale. Il va, spectre du vieux monde, que personne ne connaît plus. «Qu'est-ce que c'est? disent les jeunes. Quoi! il n'est seigneur, ni serf! Mais alors il n'est donc rien?
«Qui suis-je?... Je suis celui qui bâtit la première tour, celui qui vous défendit, celui qui, laissant la tour, alla bravement au pont attendre les païens Northmans... Bien plus, je barrai la rivière, je cultivai l'alluvion, j'ai créé la terre elle-même, comme Dieu qui la tira des eaux... Cette terre, qui m'en chassera?
«Non, mon ami, dit le voisin, on ne te chassera pas. Tu la cultiveras, cette terre... mais autrement que tu ne crois... Rappelle-toi, mon bonhomme, qu'étourdiment, jeune encore (il y a cinquante ans de cela), tu épousas Jacqueline, petite serve de mon père... Rappelle-toi la maxime: «Qui monte ma poule est mon coq.»—Tu es de mon poulailler. Déceins-toi, jette l'épée... Dès ce jour, tu es mon serf.»
Ici, rien n'est d'invention. Cette épouvantable histoire revient sans cesse au Moyen-âge. Oh! de quel glaive il fut percé! J'ai abrégé, j'ai supprimé, car chaque fois qu'on s'y reporte, le même acier, la même pointe aiguë traverse le cœur.
Il en fut un, qui, sous un outrage si grand, entra dans une telle fureur, qu'il ne trouva pas un seul mot. Ce fut comme Roland trahi. Tout son sang lui remonta, lui arriva à la gorge... Ses yeux flamboyaient, sa bouche muette, effroyablement éloquente, fit pâlir toute l'assemblée... Ils reculèrent... Il était mort. Ses veines avaient éclaté... Ses artères lançaient le sang rouge jusqu'au front de ses assassins[14].
L'incertitude de la condition, la pente horriblement glissante par laquelle l'homme libre devient vassal,—le vassal serviteur,—et le serviteur serf, c'est la terreur du Moyen-âge et le fond de son désespoir. Nul moyen d'échapper. Car qui fait un pas est perdu. Il est aubain, épave, gibier sauvage, serf ou tué. La terre visqueuse retient le pied, enracine le passant. L'air contagieux le tue, c'est-à-dire le fait de mainmorte, un mort, un néant, une bête, une âme de cinq sous, dont cinq sous expieront le meurtre.
Voilà les deux grands traits généraux, extérieurs, de la misère du Moyen-âge, qui firent qu'il se donna au Diable. Voyons maintenant l'intérieur, le fond des mœurs, et sondons le dedans.
III
LE PETIT DÉMON DU FOYER
Les premiers siècles de Moyen-âge où se créèrent les légendes ont le caractère d'un rêve. Chez les populations rurales, toutes soumises à l'Église, d'un doux esprit (ces légendes en témoignent), on supposerait volontiers une grande innocence. C'est, ce semble, le temps du bon Dieu. Cependant les Pénitentiaires, où l'on indique les péchés les plus ordinaires, mentionnent des souillures étranges, rares sous le règne de Satan.
C'était l'effet de deux choses, de la parfaite ignorance, et de l'habitation commune qui mêlait les proches parents. Il semble qu'ils avaient à peine connaissance de notre morale. La leur, malgré les défenses, semblait celle des patriarches, de la haute Antiquité, qui regarde comme libertinage le mariage avec l'étrangère, et ne permet que la parente. Les familles alliées n'en faisaient qu'une. N'osant encore disperser leurs demeures dans les déserts qui les entouraient, ne cultivant que la banlieue d'un palais mérovingien ou d'un monastère, ils se réfugiaient chaque soir avec leurs bestiaux sous le toit d'une vaste villa. De là des inconvénients analogues à ceux de l'ergastulum antique, où l'on entassait les esclaves. Plusieurs de ces communautés subsistèrent au Moyen-âge et au delà. Le seigneur s'occupait peu de ce qui en résultait. Il regardait comme une seule famille cette tribu, cette masse de gens «levants et couchants ensemble»,—«mangeant à un pain et à un pot».
Dans une telle indistinction, la femme était bien peu gardée. Sa place n'était guère haute. Si la Vierge, la femme idéale, s'éleva de siècle en siècle, la femme réelle comptait bien peu dans ces masses rustiques, ce mélange d'hommes et de troupeaux. Misérable fatalité d'un état qui ne changea que par la séparation des habitations, lorsqu'on prit assez de courage pour vivre à part, en hameau, ou pour cultiver au loin des terres fertiles et créer des huttes dans les clairières des forêts. Le foyer isolé fit la vraie famille. Le nid fit l'oiseau. Dès lors, ce n'étaient plus des choses, mais des âmes... La femme était née.
Moment fort attendrissant. La voilà chez elle. Elle peut donc être pure et sainte, enfin, la pauvre créature. Elle peut couver une pensée, et, seule, en filant, rêver, pendant qu'il est à la forêt. Cette misérable cabane, humide, mal close, où siffle le vent d'hiver, en revanche, est silencieuse. Elle a certains coins obscurs où la femme va loger ses rêves.
Maintenant, elle possède. Elle a quelque chose à elle.—La quenouille, le lit, le coffre, c'est tout, dit la vieille chanson[15].—La table s'y ajoutera, le banc, ou deux escabeaux... Pauvre maison bien dénuée! mais elle est meublée d'une âme. Le feu l'égaye; le buis bénit protège le lit, et l'on y ajoute parfois un joli bouquet de verveine. La dame de ce palais file, assise sur sa porte, en surveillant quelques brebis. On n'est pas encore assez riche pour avoir une vache, mais cela viendra à la longue, si Dieu bénit la maison. La forêt, un peu de pâture, des abeilles sur la lande, voilà la vie. On cultive peu de blé encore, n'ayant nulle sécurité pour une récolte éloignée. Cette vie, très indigente, est moins dure pourtant pour la femme; elle n'est pas brisée, enlaidie, comme elle le sera aux temps de la grande agriculture. Elle a plus de loisir aussi. Ne la jugez pas du tout par la littérature grossière des Noëls et des fabliaux, le sot rire et la licence des contes graveleux qu'on fera plus tard.—Elle est seule. Point de voisine. La mauvaise et malsaine vie des noires petites villes fermées, l'espionnage mutuel, le commérage misérable, dangereux, n'a pas commencé. Point de vieille qui vienne le soir, quand l'étroite rue devient sombre, tenter la jeune, lui dire qu'on se meurt d'amour pour elle. Celle-ci n'a d'ami que ses songes, ne cause qu'avec ses bêtes ou l'arbre de la forêt.
Ils lui parlent; nous savons de quoi. Ils réveillent en elle les choses que lui disait sa mère, sa grand'mère, choses antiques, qui, pendant des siècles, ont passé de femme en femme. C'est l'innocent souvenir des vieux esprits de la contrée, touchante religion de famille, qui, dans l'habitation commune et son bruyant pêle-mêle, eut peu de force sans doute, mais qui revient et qui hante la cabane solitaire.
Monde singulier, délicat, des fées, des lutins, fait pour une âme de femme. Dès que la grande création de la Légende des saints s'arrête et tarit, cette légende plus ancienne et bien autrement poétique vient partager avec eux, règne secrètement,