Le livre de la Jungle. Rudyard Kipling

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Название Le livre de la Jungle
Автор произведения Rudyard Kipling
Жанр Зарубежная классика
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Издательство Зарубежная классика
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le vieux loup farouche, qui n’avait jamais imploré de merci dans sa vie, jeta un regard suppliant à Mowgli, debout auprès de lui, tout nu, sa longue chevelure noire flottant sur ses épaules, dans la lumière de la branche flamboyante qui faisait danser et vaciller les ombres.

      – Bien! dit Mowgli, en promenant avec lenteur un regard circulaire. Je vois que vous êtes des chiens. Je vous quitte pour retourner à mes pareils… si vraiment ils sont mes pareils… La jungle m’est fermée, je dois oublier votre langue et votre compagnie; mais je serai plus miséricordieux que vous: parce que j’ai été votre frère en tout, sauf par le sang, je promets que lorsque je serai un homme parmi les hommes, je ne vous trahirai pas auprès d’eux comme vous m’avez trahi.

      Il donna un coup de pied dans le feu, et les étincelles volèrent.

      – Il n’y aura point de guerre entre aucun de nous dans le clan. Mais il y a une dette qu’il faut que je paye avant de m’en aller.

      Il marcha à grands pas vers l’endroit où Shere Khan était couché, clignant de l’œil stupidement aux flammes, et le prit, par la touffe de poils, sous le menton. Bagheera suivait en cas d’accident.

      – Debout, chien! cria Mowgli. Debout quand un homme parle, ou je mets le feu à ta robe!

      Les oreilles de Shere Khan s’aplatirent sur sa tête, et il ferma les yeux, car la branche flamboyante était tout près de lui.

      – Cet égorgeur de bétail a dit qu’il me tuerait en plein conseil, parce qu’il ne m’avait pas tué quand j’étais petit. Voici… et voilà… et voilà… comment nous, les hommes, nous battons les chiens. Remue seulement une moustache, Lungri, et je t’enfonce la Fleur Rouge dans la gorge!

      Il frappa Shere Khan de sa branche sur la tête, tandis que le tigre geignait et pleurnichait dans une agonie d’épouvante.

      – Peuh! chat de jungle roussi, va-t’en maintenant, mais souviens-toi de mes paroles: la première fois que je reviendrai au Conseil du Rocher, comme il sied que vienne un homme, ce sera avec la peau de Shere Khan sur ma tête. Quant au reste, Akela est libre de vivre comme il lui plaît. Vous ne le tuerez pas, parce que je ne le veux pas. J’ai idée, d’ailleurs, que vous n’allez pas rester ici plus longtemps, à laisser pendre vos langues comme si vous étiez quelqu’un, au lieu d’être des chiens que je chasse… ainsi… Allez!

      Le feu brûlait furieusement au bout de la branche, et Mowgli frappait de droite et de gauche autour du cercle, et les loups s’enfuyaient en hurlant sous les étincelles qui brûlaient leur fourrure. A la fin, il ne resta plus que le vieil Akela, Bagheera et peut-être dix loups qui avaient pris le parti de Mowgli. Alors, Mowgli commença de sentir quelque chose de douloureux au fond de lui-même, quelque chose qu’il ne se rappelait pas avoir jamais senti jusqu’à ce jour; il reprit haleine et sanglota, et les larmes coulèrent sur son visage.

      – Qu’est-ce que c’est?.. Qu’est-ce que c’est?.. dit-il. Je n’ai pas envie de quitter la jungle… et je ne sais pas ce que j’ai. Vais-je mourir, Bagheera?

      – Non, petit frère. Ce ne sont que des larmes, comme il arrive aux hommes, dit Bagheera. Maintenant je vois que tu es un homme, et non plus un petit d’homme. Oui, la jungle t’est bien fermée désormais… Laisse-les couler, Mowgli. Ce sont seulement des larmes.

      Alors Mowgli s’assit, et pleura comme si son cœur allait se briser; il n’avait jamais pleuré auparavant, de toute sa vie.

      – A présent, dit-il, je vais aller vers les hommes. Mais d’abord il faut que je dise adieu à ma mère.

      Et il se rendit à la caverne où elle habitait avec père Loup, et il pleura dans sa fourrure, tandis que les quatre petits hurlaient misérablement.

      – Vous ne m’oublierez pas? dit Mowgli.

      – Jamais, tant que nous pourrons suivre une piste! dirent les petits. Viens au pied de la colline quand tu seras un homme, et nous te parlerons; et nous viendrons dans les terres cultivées pour jouer avec toi la nuit.

      – Reviens bientôt! dit père Loup. O sage petite grenouille; reviens-nous bientôt, car nous sommes vieux, ta mère et moi.

      – Reviens bientôt, dit mère Louve, mon petit tout nu; car écoute, enfant de l’homme, je t’aimais plus que je n’ai jamais aimé mes petits.

      – Je reviendrai sûrement, dit Mowgli; et quand je reviendrai, ce sera pour étaler la peau de Shere Khan sur le Rocher du Conseil. Ne m’oubliez pas! Dites-leur, dans la jungle, de ne jamais m’oublier!

      L’aurore commençait à poindre quand Mowgli descendit la colline, tout seul, en route vers ces êtres mystérieux qu’on appelle les hommes.

      CHANSON DE CHASSE

      DU CLAN DE SEEONEE

      A la pointe de l’aube, un Sambhur meugla.

      Un, deux, puis encore!

      Un daim bondit, un daim bondit à travers

      Les taillis de la mare où boivent les cerfs.

      Moi seul, battant le bois, j’ai vu cela,

      Un, deux, puis encore!

      A la pointe de l’aube, un Sambhur meugla

      Un, deux, puis encore!

      A pas de veloux, à pas de veloux,

      Va porter la nouvelle au clan des loups,

      Cherchez, trouvez, et puis de la gorge tous,

      Un, deux, puis encore!

      A la pointe de l’aube, le Clan hurla.

      Un, deux, puis encore!

      Pied qui, sans laisser de marque, fuit,

      Œil qui sait percer la nuit – la nuit!

      Prête-lui ta voix! Ecoutez le bruit!

      Un, deux, puis encore!

      LA CHASSE DE KAA

      Ses taches sont l’orgueil du chat-pard, ses cornes du buffle sont l’honneur.

      Sois net, car à l’éclat de la robe on connaît la force du chasseur.

      Que le sambhur ait la corne aiguë, et le taureau les muscles puissants,

      Ne prends pas le soin de nous l’apprendre: on savait cela depuis dix ans.

      Ne moleste jamais les petits d’autrui, mais nomme-les Sœur et Frère.

      Sans doute ils sont faibles et balourds, mais peut-être que l’Ourse est leur mère.

      La jeunesse dit: «Qui donc me vaut!» en l’orgueil de son premier gibier;

      Mais la Jungle est grande et le jeune est petit. Il doit se taire et méditer.

Maximes de Baloo.

      Tout ce que nous allons dire ici arriva quelque temps avant que Mowgli eût été banni du clan des loups de Seeonee, ou se fût vengé sur Shere Khan, le tigre.

      C’était aux jours où Baloo lui enseignait la Loi de la Jungle. Le grand ours brun, vieux et grave, se réjouissait d’un élève à l’intelligence si prompte; car les jeunes loups ne veulent apprendre de la Loi de la Jungle que ce qui concerne leur clan et leur tribu, et décampent, dès qu’ils peuvent répéter le refrain de chasse: «Pieds qui ne font pas de bruit; yeux qui voient dans l’ombre; oreilles tendues au vent, du fond des cavernes, et dents blanches pour mordre: qui porte ces signes est de nos frères, sauf Tabaqui le Chacal et l’Hyène que nous haïssons.» Mais Mowgli, comme petit d’homme, en dut apprendre bien plus long.

      Quelquefois Bagheera, la panthère noire, venait, en flânant, au travers de la jungle, voir ce que devenait son favori, et restait à ronronner, la tête contre un arbre, pendant que Mowgli récitait à Baloo la leçon du jour. L’enfant savait grimper presque aussi bien qu’il savait nager, et nager presque aussi bien qu’il savait courir: aussi Baloo, le professeur de la Loi, lui apprenait-il