Название | Le livre de la Jungle |
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Автор произведения | Rudyard Kipling |
Жанр | Зарубежная классика |
Серия | |
Издательство | Зарубежная классика |
Год выпуска | 0 |
isbn |
– Nous avons encore besoin d’un autre, dit Akela. Baloo a parlé, et c’est lui qui enseigne nos petits. Qui parle avec Baloo?
Une ombre tomba au milieu du cercle. C’était Bagheera, la panthère noire. Sa robe est tout entière noire comme de l’encre, mais les marques de la panthère y affleurent, sous certains jours, comme font les reflets de la moire. Chacun connaissait Bagheera, et personne ne se souciait d’aller à l’encontre de ses desseins, car elle était aussi rusée que Tabaqui, aussi hardie que le buffle sauvage et aussi intrépide que l’éléphant blessé. Mais sa voix était plus suave que le miel sauvage, qui tombe goutte à goutte des arbres, et sa peau plus douce que le duvet.
– O Akela, et vous, Peuple Libre! ronronna-t-elle, je n’ai aucun droit dans votre assemblée. Mais la Loi de la Jungle dit que, s’il s’élève un doute, dans une affaire où il ne soit pas question de meurtre, à propos d’un nouveau petit, la vie de ce petit peut être rachetée moyennant un prix. Et la Loi ne dit pas qui a droit ou non de payer ce prix. Ai-je raison?
– Très bien! très bien! – firent les jeunes loups qui ont toujours faim. – Écoutons Bagheera. Le petit peut être racheté. C’est la Loi.
– Sachant que je n’ai aucun droit de parler ici, je demande votre permission.
– Parle donc, crièrent vingt voix.
– Tuer un petit nu est une honte. En outre, il pourra nous aider à chasser mieux quand il sera en âge. Baloo a parlé en sa faveur. Maintenant, à ce qu’a dit Baloo j’ajouterai l’offre d’un taureau, et bien gras, fraîchement tué, à un demi-mille d’ici à peine, si vous acceptez le petit d’homme, conformément à la Loi. Y a-t-il une difficulté?
Il s’éleva une clameur de voix disant par vingtaines:
– Qu’importe? Il mourra sous les pluies de l’hiver; il sera grillé par le soleil… Quel mal peut nous faire une grenouille nue?.. Qu’il coure avec le clan!.. Où est le taureau, Bagheera?.. Qu’on l’accepte.
Et alors revint l’aboiement profond d’Akela.
– Regardez bien… regardez bien, ô loups.
Mowgli continuait à s’intéresser aux cailloux; il ne daigna prêter aucune attention aux loups qui vinrent un à un l’examiner.
A la fin, ils descendirent tous la colline, à la recherche du taureau mort, et seuls restèrent Akela, Bagheera, Baloo et les loups de Mowgli.
Shere Khan rugissait encore dans la nuit, car il était fort en colère que Mowgli ne lui eût pas été livré.
– Oui, tu peux rugir, dit Bagheera dans ses moustaches: car le temps viendra où cette petite chose nue te fera rugir sur un autre ton, ou je ne sais rien de l’homme.
– Nous avons bien fait, dit Akela: les hommes et leurs petits sont gens très avisés. Le moment venu, il pourra être utile.
– C’est vrai, dit Bagheera; le moment venu, on pourra en avoir besoin: car personne ne peut espérer conduire le clan toujours!
Akela ne répondit rien. Il pensait au temps qui arrive pour chaque chef de clan, où sa force l’abandonne et où, plus affaibli de jour en jour, il est tué à la fin par les loups et remplacé par un nouveau chef, qui sera tué à son tour.
– Emmenez-le, dit-il à père Loup, et dressez-le comme il sied à un membre du Peuple Libre.
Et c’est ainsi que Mowgli entra dans le clan des loups de Seeonee, au prix d’un taureau et pour une bonne parole de Baloo.
Maintenant, il faut vous donner la peine de sauter dix ou onze années entières, et d’imaginer seulement l’étonnante existence que Mowgli mena parmi les loups, parce que, s’il fallait l’écrire, cela remplirait je ne sais combien de livres. – Il grandit avec les louveteaux, quoique, naturellement, ils fussent devenus loups quand lui-même comptait à peine pour un enfant; et père Loup lui enseigna sa besogne, et le sens de toutes choses dans la jungle, jusqu’à ce que chaque frémissement de l’herbe, chaque souffle de l’air chaud dans la nuit, chaque intonation des hiboux au-dessus de sa tête, chaque bruit d’écorce égratignée par la chauve-souris au repos, un instant, dans l’arbre, chaque saut du plus petit poisson dans la mare, prissent juste autant d’importance pour lui que pour un homme d’affaires son travail de bureau. Lorsqu’il n’apprenait pas, il s’asseyait au soleil et dormait, puis il mangeait, se réendormait; lorsqu’il se sentait sale ou qu’il avait trop chaud, il se baignait dans les mares de la forêt, et, lorsqu’il manquait de miel (Baloo lui avait dit que le miel et les noix étaient tout aussi agréables à manger que la viande crue), il grimpait aux arbres pour en chercher, et Bagheera lui avait montré comment s’y prendre. Elle s’étendait sur une branche et appelait: «Viens ici, petit frère!» et Mowgli commença par grimper comme fait le paresseux, mais par la suite il osa se lancer à travers les branches presque aussi hardiment que le singe gris.
Il prit sa place au Rocher du Conseil, lorsque le clan s’y réunissait, et, là, il découvrit qu’en regardant fixement un loup quelconque il pouvait le forcer à baisser les yeux: ainsi faisait-il pour s’amuser. A d’autres moments, il arrachait les longues épines du poil de ses amis, car les loups souffrent terriblement des épines et de tous les aiguillons qui se logent dans leur fourrure. Il descendait, la nuit, le versant de la montagne, vers les terres cultivées, et regardait avec une grande curiosité les villageois dans leurs huttes; mais il se méfiait des hommes parce que Bagheera lui avait montré une boîte carrée, avec une trappe, si habilement dissimulée dans la jungle qu’il marcha presque dessus, et elle lui avait dit que c’était un piège. Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était de s’enfoncer avec Bagheera au chaud cœur noir de la forêt, pour dormir tout le long de la lourde journée, et voir, quand venait la nuit, comment Bagheera s’y prenait pour tuer: elle tuait de droite, de gauche, au caprice de sa faim, et ainsi faisait Mowgli – à une exception près. Aussitôt qu’il eut l’âge de comprendre, Bagheera lui dit qu’il ne devait jamais toucher au bétail parce qu’il avait été racheté, dans le Conseil du clan, au prix de la vie d’un taureau.
– La jungle t’appartient, dit Bagheera, et tu peux y tuer tout ce que tu es assez fort pour tuer; mais en souvenir du taureau qui t’a racheté, tu ne dois jamais tuer ni manger de bétail jeune ou vieux. C’est la Loi de la Jungle.
Mowgli s’y conforma fidèlement.
Il grandit ainsi et devint fort comme le devient naturellement un garçon qui ne va pas à l’école et n’a à s’occuper de rien dans la vie que de choses à manger.
Mère Louve lui dit, une fois ou deux, que Shere Khan n’était pas un être auquel on dût se fier, et qu’un jour il lui faudrait tuer Shere Khan; et sans doute un jeune loup se fût rappelé cet avis à chaque heure de sa vie, mais Mowgli l’oublia parce qu’il n’était qu’un petit garçon – et pourtant il se serait donné à lui-même le nom de loup s’il avait su parler aucune langue humaine.
Shere Khan se trouvait toujours sur son chemin dans la jungle. A mesure que le chef Akela prenait de l’âge et s’affaiblissait, le tigre boiteux s’était lié de grande amitié avec les loups plus jeunes de la tribu, qui le suivaient pour avoir ses restes, chose que jamais Akela n’aurait permise s’il avait osé aller jusqu’au bout de son autorité légitime. En outre, Shere Khan les flattait: il s’étonnait que de si beaux jeunes chasseurs fussent satisfaits de se laisser conduire par un loup moribond et par un petit d’homme.
– On me raconte, disait Shere Khan, que vous autres, au Conseil, vous n’osez pas le regarder entre les yeux!
Et les jeunes loups grognaient et hérissaient leur dos.
Bagheera, qui avait les yeux et les oreilles partout, apprit quelque chose de cela, et, une fois ou deux, elle expliqua nettement à Mowgli que Shere Khan le tuerait un beau jour. Et Mowgli riait, et répondait:
– J’ai pour moi le clan,