Название | Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel |
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Автор произведения | Marcel Proust |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373511 |
La mer a le charme des choses qui ne se taisent pas la nuit, qui sont pour notre vie inquiète une permission de dormir, une promesse que tout ne va pas s’anéantir, comme la veilleuse des petits enfants qui se sentent moins seuls quand elle brille. Elle n’est pas séparée du ciel comme la terre, est toujours en harmonie avec ses couleurs, s’émeut de ses nuances les plus délicates. Elle rayonne sous le soleil et chaque soir semble mourir avec lui. Et quand il a disparu, elle continue à le regretter, à conserver un peu de son lumineux souvenir, en face de la terre uniformément sombre. C’est le moment de ses reflets mélancoliques et si doux qu’on sent son coeur se fondre en les regardant. Quand la nuit est presque venue et que le ciel est sombre sur la terre noircie, elle luit encore faiblement, on ne sait par quel mystère, par quelle brillante relique du jour enfouie sous les flots.
Elle rafraîchit notre imagination parce qu’elle ne fait pas penser à la vie des hommes, mais elle réjouit notre âme, parce qu’elle est, comme elle, aspiration infinie et impuissante, élan sans cesse brisé de chutes, plainte éternelle et douce. Elle nous enchante ainsi comme la musique, qui ne porte pas comme le langage la trace des choses, qui ne nous dit rien des hommes, mais qui imite les mouvements de notre âme. Notre coeur en s’élançant avec leurs vagues, en retombant avec elles, oublie ainsi ses propres défaillances, et se console dans une harmonie intime entre sa tristesse et celle de la mer, qui confond sa destinée et celle des choses.
XXIX – Marine
Les paroles dont j’ai perdu le sens, peut-être faudrait-il me les faire redire d’abord par toutes ces choses qui ont depuis si longtemps un chemin conduisant en moi, depuis bien des années délaissé, mais qu’on peut reprendre et qui, j’en ai la foi, n’est pas à jamais fermé. Il faudrait revenir en Normandie, ne pas s’efforcer, aller simplement près de la mer. Ou plutôt je prendrais les chemins boisés d’où on l’aperçoit de temps en temps et où la brise mêle l’odeur du sel, des feuilles humides et du lait. Je ne demanderais rien à toutes ces choses natales. Elles sont généreuses à l’enfant qu’elles virent naître, d’elles-mêmes lui rapprendraient les choses oubliées. Tout et son parfum d’abord m’annoncerait la mer, mais je ne l’aurais pas encore vue. Je l’entendrais faiblement. Je suivrais un chemin d’aubépines, bien connu jadis, avec attendrissement, avec l’anxiété aussi, par une brusque déchirure de la haie, d’apercevoir tout à coup l’invisible et présente amie, la folle qui se plaint toujours, la vieille reine mélancolique, la mer. Tout à coup je la verrais; ce serait par un de ces jours de somnolence sous le soleil éclatant où elle réfléchit le ciel bleu comme elle, seulement plus pâle. Des voiles blanches comme des papillons seraient posées sur l’eau immobile, sans plus vouloir bouger, comme pâmées de chaleur. Ou bien la mer serait au contraire agitée, jaune sous le soleil comme un grand champ de boue, avec des soulèvements, qui de si loin paraîtraient fixés, couronnés d’une neige éblouissante.
XXX – Voiles au port
Dans le port étroit et long comme une chaussée d’eau entre ses quais peu élevés où brillent les lumières du soir, les passants s’arrêtaient pour regarder, comme de nobles étrangers arrivés de la veille et prêts à repartir, les navires qui y étaient assemblés. Indifférents à la curiosité qu’ils excitaient chez une foule dont ils paraissaient dédaigner la bassesse ou seulement ne pas parler la langue, ils gardaient dans l’auberge humide où ils s’étaient arrêtés une nuit, leur élan silencieux et immobile. La solidité de l’étrave ne parlait pas moins des longs voyages qui leur restaient à faire que ses avaries des fatigues qu’ils avaient déjà supportées sur ces routes glissantes, antiques comme le monde et nouvelles comme le passage qui les creuse et auquel elles ne survivent pas. Frêles et résistants, ils étaient tournés avec une fierté triste vers l’Océan qu’ils dominent et où ils sont comme perdus. La complication merveilleuse et savante des cordages se reflétait dans l’eau comme une intelligence précise et prévoyante plonge dans la destinée incertaine qui tôt ou tard la brisera. Si récemment retirés de la vie terrible et belle dans laquelle ils allaient se retremper demain, leurs voiles étaient molles encore du vent qui les avait gonflées, leur beaupré s’inclinait obliquement sur l’eau comme hier encore leur démarche, et, de la proue à la poupe, la courbure de leur coque semblait garder la grâce mystérieuse et flexible de leur sillage.
La Fin De La Jalousie
I
«Donnenous les biens, soit que nous les demandions, soit que nous ne les demandions pas, et éloigne de nous les maux quand même nous te les demanderions.» – «Cette prière me paraît belle et sûre. Si tu y trouves quelque phase à reprendre, ne le cache pas.»
«Mon petit arbre, mon petit âne, ma mère, mon frère, mon pays, mon petit Dieu, mon petit étranger, mon petit lotus, mon petit coquillage, mon chéri, ma petite plante, va-t’en, laisse-moi m’habiller et je te retrouverai rue de la Baume à huit heures. Je t’en prie, n’arrive pas après huit heures et quart, parce que j’ai très faim.»
Elle voulut fermer la porte de sa chambre sur Honoré, mais il lui dit encore: «Cou!» et elle tendit aussitôt son cou avec une docilité, un empressement exagérés qui le firent éclater de rire:
«Quand même tu ne voudrais pas, lui dit-il, il y a entre ton cou et ma bouche, entre tes oreilles et mes moustaches, entre tes mains et mes mains des petites amitiés particulières. Je suis sûr qu’elles ne finiraient pas si nous ne nous aimions plus, pas plus que, depuis que je suis brouillé avec ma cousine Paule, je ne peux empêcher mon valet de pied d’aller tous les soirs causer avec sa femme de chambre. C’est d’elle-même et sans mon assentiment que ma bouche va vers ton cou»
Ils étaient maintenant à un pas l’un de l’autre. Tout à coup leurs regards s’aperçurent et chacun essaya de fixer dans les yeux de l’autre la pensée qu’ils s’aimaient; elle resta une seconde ainsi, debout, puis tomba sur une chaise en étouffant, comme si elle avait couru. Et ils se dirent presque en même temps avec une exaltation sérieuse, en prononçant fortement avec les lèvres, comme pour embrasser:
«Mon amour!»
Elle répéta d’un ton maussade et triste, en secouant la tête:
«Oui, mon amour.»
Elle savait qu’il ne pouvait pas résister à ce petit mouvement de tête, il se jeta sur elle en l’embrassant et lui dit lentement: «Méchante!» et si tendrement, que ses yeux à elle se mouillèrent.
Sept heures et demie sonnèrent. Il partit.
En rentrant chez lui, Honoré se répétait à lui-même:
«Ma mère, mon frère, mon pays, – il s’arrêta, – oui, mon pays!… mon petit coquillage, mon petit arbre», et il ne put s’empêcher de rire en prononçant ces mots qu’ils s’étaient si vite faits à leur usage, ces petits mots qui peuvent sembler vides et qu’ils emplissaient d’un sens infini. Se confiant sans y penser au génie inventif et fécond de leur amour, ils s’étaient vu peu à peu doter par lui d’une langue à eux, comme pour un peuple, d’armes, de jeux et de lois.
Tout en s’habillant pour aller dîner, sa pensée était suspendue sans effort au moment où il allait la revoir comme un gymnaste touche déjà le trapèze encore éloigné vers lequel il vole, ou comme une phrase musicale semble atteindre l’accord qui la résoudra et la rapproche de lui, de toute la distance qui l’en sépare, par la force même du désir qui la promet et l’appelle. C’est ainsi qu’Honoré traversait rapidement la vie depuis un an, se hâtant dès le matin vers l’heure de l’après-midi où il la verrait. Et ses journées en réalité n’étaient pas composées de douze ou quatorze heures différentes, mais de quatre ou cinq demi-heures, de leur attente et de leur souvenir.
Honoré était arrivé depuis quelques minutes chez la princesse d’Alériouvre, quand Mme Seaune entra. Elle dit bonjour à la maîtresse de la maison et aux