Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust

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Название Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel
Автор произведения Marcel Proust
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066373511



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à leurs enfants; il m’apparaissait confusément maintenant que dans tout acte voluptueux et coupable il y a autant de férocité de la part du corps qui jouit, et qu’en nous autant de bonnes intentions, autant d’anges purs sont martyrisés et pleurent.

      Bientôt mes oncles auraient fini leur partie de cartes et allaient revenir. Nous allions les devancer, je ne faillirais plus, c’était la dernière fois… Alors, au-dessus de la cheminée, je me vis dans la glace. Toute cette vague angoisse de mon âme n’était pas peinte sur ma figure, mais toute elle respirait, des yeux brillants aux joues enflammées et à la bouche offerte, une joie sensuelle, stupide et brutale. Je pensais alors à l’horreur de quiconque m’ayant vue tout à l’heure embrasser ma mère avec une mélancolique tendresse, me verrait ainsi transfigurée en bête. Mais aussitôt se dressa dans la glace, contre ma figure, la bouche de Jacques, avide sous ses moustaches.

      Troublée jusqu’au plus profond de moi-même, je rapprochai ma tête de la sienne, quand en face de moi je vis, oui je le dis comme cela était, écoutez-moi puisque je peux vous le dire, sur le balcon, devant la fenêtre, je vis ma mère qui me regardait hébétée. Je ne sais si elle a crié, je n’ai rien entendu mais elle est tombée en arrière et est restée la tête prise entre les deux barreaux du balcon…

      Ce n’est pas la dernière fois que je vous le raconte; je vous l’ai dit, je me suis presque manquée, je m’étais pourtant bien visée, mais j’ai mal tiré. Pourtant on n’a pas pu extraire la Dalle et les accidents au coeur ont commencé. Seulement je peux rester encore huit jours comme cela et je ne pourrai cesser jusque-là de raisonner sur les commencements et de voir la fin. J’aimerais mieux que ma mère m’ait vue commettre d’autres crimes encore et celui-là même, mais qu’elle n’ait pas vu cette expression joyeuse qu’avait ma figure dans la glace. Non, elle n’a pu la voir… c’est une coïncidence… elle a été frappée d’apoplexie une minute avant de me voir… Elle ne l’a pas vue… cela ne se peut pas! Dieu qui savait tout ne l’aurait pas voulu.

      FIN de La Confession d’une Jeune Fille

      Un Dîner En Ville

      «Mais, Fundanius, qui partageait avec vous le bonheur de ce repas? Je suis en peine ne le savoir.»

HORACE

      I

      Honoré était en retard; il dit bonjour aux maîtres de la maison, aux invités qu’il connaissait fut présenté aux autres et on passa à table. Au bout de quelques instants, son voisin, un tout jeune homme, lui demanda de lui nommer et de lui raconter les invités. Honoré ne l’avait encore jamais rencontré dans le monde. Il était très beau.

      La maîtresse de la maison jetait à chaque instant sur lui des regards brûlants qui signifiaient assez pourquoi elle l’avait invité et qu’il ferait bientôt partie de sa société. Honoré sentit en lui une puissance future, mais sans envie, par bienveillance polie, se mit en devoir de lui répondre. Il regarda autour de lui. En face deux voisins ne se parlaient pas: on les avait, par maladroite bonne intention, invités ensemble et placés l’un près de l’autre parce qu’ils s’occupaient tous les deux de littérature. Mais à cette première raison de se haïr ils en ajoutaient une plus particulière. Le plus âgé, parent – doublement hypnotisé – de M. Paul Desjardins et de M. de Vogüé, affectait un silence méprisant à l’endroit du plus jeune, disciple favori de M. Maurice Barrès, qui le considérait à son tour avec ironie. La malveillance de chacun d’eux exagérait d’ailleurs bien contre son gré l’importance de l’autre, comme si l’on eût affronté le chef des scélérats au roi des imbéciles. Plus loin, une superbe Espagnole mangeait rageusement.

      Elle avait sans hésiter et en personne sérieuse sacrifié ce soir-là un rendez-vous à la probabilité d’avancer, en allant dîner dans une maison élégante, sa carrière mondaine. Et certes, elle avait beaucoup de chances d’avoir bien calculé. Le snobisme de Mme Fremer était pour ses amies et celui de ses amies était pour elle comme une assurance mutuelle contre l’embourgeoisement. Mais le hasard avait voulu que Mme Fremer écoulât précisément ce soir-là un stock de gens qu’elle n’avait pu inviter à ses dîners, à qui, pour des raisons différentes, elle tenait à faire des politesses, et qu’elle avait réunis presque pêle-mêle. Le tout était bien surmonté d’une duchesse, mais que l’Espagnole connaissait déjà et dont elle n’avait plus rien à tirer.

      Aussi échangeait-elle des regards irrités avec son mari dont on entendait toujours, dans les soirées, la voix gutturale dire successivement, en laissant entre chaque demande un intervalle de cinq minutes bien remplies par d’autres besognes: «Voudriez-vous me présenter au duc? – Monsieur le duc, voudriez-vous me présenter à la duchesse? – Madame la duchesse, puis-je vous présenter ma femme?» Exaspéré de perdre son temps, il s’était pourtant résigné à entamer la conversation avec son voisin, l’associé du maître de la maison. Depuis plus d’un an Fremer suppliait sa femme de l’inviter. Elle avait enfin cédé et l’avait dissimulé entre le mari de l’Espagnole et un humaniste. L’humaniste, qui lisait trop, mangeait trop. Il avait des citations et des renvois et ces deux incommodités répugnaient également à sa voisine, une noble roturière, Mine Lenoir.

      Elle avait vite amené la conversation sur les victoires du prince de Buivres au Dahomey et disait d’une voix attendrie: «Cher enfant, comme cela me réjouit qu’il honore la famille!» En effet, elle était cousine des Buivres, qui, tous plus jeunes qu’elle, la traitaient avec la déférence que lui valaient son âge, son attachement à la famille royale, sa grande fortune et la constante stérilité de ses trois mariages. Elle avait reporté sur tous les Buivres ce qu’elle pouvait éprouver de sentiments de famille. Elle ressentait une honte personnelle des vilenies de celui qui avait un conseil judiciaire, et, autour de son front bien-pensant, sur ses bandeaux orléanistes, portait naturellement les lauriers de celui qui était général. Intruse dans cette famille jusque-là si fermée, elle en était devenue le chef et comme la douairière. Elle se sentait réellement exilée dans la société moderne, parlait toujours avec attendrissement des «vieux gentilshommes d’autrefois». Son snobisme n’était qu’imagination et était d’ailleurs toute son imagination. Les noms riches de passé et de gloire ayant sur son esprit sensible un pouvoir singulier, elle trouvait des jouissances aussi désintéressées à dîner avec des princes qu’à lire des mémoires de l’Ancien Régime. Portant toujours les mêmes raisins, sa coiffure était invariable comme ses principes. Ses yeux pétillaient de bêtise. Sa figure souriante était noble, sa mimique excessive et insignifiante. Elle avait, par confiance en Dieu, une même agitation optimiste la veille d’une garden-party ou d’une révolution, avec des gestes rapides qui semblaient conjurer le radicalisme ou le mauvais temps.

      Son voisin l’humaniste lui parlait avec une élégance fatigante et avec une terrible facilité à formuler; il faisait des citations d’Horace pour excuser aux yeux des autres et poétiser aux siens sa gourmandise et son ivrognerie. D’invisibles roses antiques et pourtant fraîches ceignaient son front étroit. Mais d’une politesse égale et qui lui était facile, parce qu’elle y voyait l’exercice de sa puissance et le respect, rare aujourd’hui, des vieilles traditions, Mme Lenoir parlait toutes les cinq minutes à l’associé de M. Freiner. Celui-ci d’ailleurs n’avait pas à se plaindre.

      De l’autre bout de la table, Maie Freiner lui adressait les plus charmantes flatteries. Elle voulait que ce dîner comptât pour plusieurs années, et, décidée à ne pas évoquer d’ici longtemps le trouble-fête, elle l’enterrait sous les fleurs. Quant à M. Freiner, travaillant le jour à sa banque, et, le soir, traîné par sa femme dans le monde ou retenu chez lui quand on recevait, toujours prêt à tout dévorer, toujours muselé, il avait fini par garder dans les circonstances les plus indifférentes une expression mêlée d’irritation sourde, de résignation boudeuse, d’exaspération contenue et d’abrutissement. profond. Pourtant, ce soir, elle faisait place sur la figure du financier à une satisfaction cordiale toutes les fois que ses regards rencontraient ceux de son associé. Bien qu’il ne pût le souffrir dans l’habitude de la vie, il se sentait pour lui des tendresses fugitives, mais sincères, non parce qu’il