Название | Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel |
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Автор произведения | Marcel Proust |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373511 |
Mais ce matin-là même, en quittant la princesse de Luxembourg, Mme de Villeparisis me dit une chose qui me frappa davantage et qui n’était pas du domaine de l’amabilité.
– Est-ce que vous êtes le fils du directeur au Ministère? me demanda-t-elle. Ah! il paraît que votre père est un homme charmant. Il fait un bien beau voyage en ce moment.
Quelques jours auparavant nous avions appris par une lettre de Maman que mon père et son compagnon M. de Norpois avaient perdu leurs bagages.
– Ils sont retrouvés, ou plutôt ils n’ont jamais été perdus, voici ce qui était arrivé, nous dit Mme de Villeparisis, qui sans que nous sussions comment, avait l’air beaucoup plus renseigné que nous sur les détails du voyage. Je crois que votre père avancera son retour à la semaine prochaine car il renoncera probablement à aller à Algésiras. Mais il a envie de consacrer un jour de plus à Tolède car il est admirateur d’un élève de Titien dont je ne me rappelle pas le nom et qu’on ne voit bien que là.
Et je me demandais par quel hasard, dans la lunette indifférente à travers laquelle Mme de Villeparisis considérait d’assez loin l’agitation sommaire, minuscule et vague de la foule des gens qu’elle connaissait, se trouvait intercalé à l’endroit où elle considérait mon père, un morceau de verre prodigieusement grossissant qui lui faisait voir avec tant de relief et dans le plus grand détail tout ce qu’il avait d’agréable, les contingences qui le forçaient à revenir, ses ennuis de douane, son goût pour le Greco, et, changeant pour elle l’échelle de sa vision, lui montrait ce seul homme si grand au milieu des autres, tout petits, comme ce Jupiter à qui Gustave Moreau a donné, quand il l’a peint à côté d’une faible mortelle, une stature plus qu’humaine.
Ma grand’mère prit congé de Mme de Villeparisis pour que nous pussions rester à respirer l’air un instant de plus devant l’hôtel, en attendant qu’on nous fît signe à travers le vitrage que notre déjeuner était servi. On entendit un tumulte. C’était la jeune maîtresse du roi des sauvages, qui venait de prendre son bain et rentrait déjeuner.
– Vraiment c’est un fléau, c’est à quitter la France! s’écria rageusement le bâtonnier qui passait à ce moment.
Cependant la femme du notaire attachait des yeux écarquillés sur la fausse souveraine.
– Je ne peux pas vous dire comme Mme Blandais m’agace en regardant ces gens-là comme cela, dit le bâtonnier au président. Je voudrais pouvoir lui donner une gifle. C’est comme cela qu’on donne de l’importance à cette canaille qui naturellement ne demande qu’à ce que l’on s’occupe d’elle. Dites donc à son mari de l’avertir que c’est ridicule; moi je ne sors plus avec eux s’ils ont l’air de faire attention aux déguisés.
Quant à la venue de la princesse de Luxembourg, dont l’équipage, le jour où elle avait apporté des fruits, s’était arrêté devant l’hôtel, elle n’avait pas échappé au groupe de la femme du notaire, du bâtonnier et du premier président, déjà depuis quelque temps fort agitées de savoir si c’était une marquise authentique et non une aventurière que cette Madame de Villeparisis qu’on traitait avec tant d’égards, desquels toutes ces dames brûlaient d’apprendre qu’elle était indigne. Quand Mme de Villeparisis traversait le hall, la femme du premier président qui flairait partout des irrégulières, levait son nez sur son ouvrage et la regardait d’une façon qui faisait mourir de rire ses amies.
– Oh! moi, vous savez, disait-elle avec orgueil, je commence toujours par croire le mal. Je ne consens à admettre qu’une femme est vraiment mariée que quand on m’a sorti les extraits de naissance et les actes notariés. Du reste, n’ayez crainte, je vais procéder à ma petite enquête.
Et chaque jour toutes ces dames accouraient en riant.
– Nous venons aux nouvelles.
Mais le soir de la visite de la princesse de Luxembourg, la femme du Premier mit un doigt sur sa bouche.
– Il y a du nouveau.
– Oh! elle est extraordinaire, Mme Poncin! je n’ai jamais vu… mais dites, qu’y a-t-il?
– Hé bien, il y a qu’une femme aux cheveux jaunes, avec un pied de rouge sur la figure, une voiture qui sentait l’horizontale d’une lieue, et comme n’en ont que ces demoiselles, est venue tantôt pour voir la prétendue marquise.
– Ouil you uouil! patatras! Voyez-vous ça! mais c’est cette dame que nous avons vue, vous vous rappelez bâtonnier, nous avons bien trouvé qu’elle marquait très mal mais nous ne savions pas qu’elle était venue pour la marquise. Une femme avec un nègre, n’est-ce pas?
– C’est cela même.
– Ah! vous m’en direz tant. Vous ne savez pas son nom?
– Si, j’ai fait semblant de me tromper, j’ai pris la carte, elle a comme nom de guerre la princesse de Luxembourg! Avais-je raison de me méfier! C’est agréable d’avoir ici une promiscuité avec cette espèce de Baronne d’Ange.
Le bâtonnier cita Mathurin Régnier et Macette au premier Président.
Il ne faut, d’ailleurs, pas croire que ce malentendu fut momentané comme ceux qui se forment au deuxième acte d’un vaudeville pour se dissiper au dernier. Mme de Luxembourg, nièce du roi d’Angleterre et de l’empereur d’Autriche, et Mme de Villeparisis, parurent toujours, quand la première venait chercher la seconde pour se promener en voiture, deux drôlesses de l’espèce de celles dont on se gare difficilement dans les villes d’eaux. Les trois quarts des hommes du faubourg Saint-Germain passent aux yeux d’une bonne partie de la bourgeoisie pour des décavés crapuleux (qu’ils sont d’ailleurs quelquefois individuellement) et que, par conséquent, personne ne reçoit. La bourgeoisie est trop honnête en cela, car leurs tares ne les empêcheraient nullement d’être reçus avec la plus grande faveur là où elle ne le sera jamais. Et eux s’imaginent tellement que la bourgeoisie le sait qu’ils affectent une simplicité en ce qui les concerne, un dénigrement pour leurs amis particulièrement «à la côte», qui achève le malentendu. Si par hasard un homme du grand monde est en rapports avec la petite bourgeoisie parce qu’il se trouve, étant extrêmement riche, avoir la présidence des plus importantes sociétés financières, la bourgeoisie qui voit enfin un noble digne d’être grand bourgeois jurerait qu’il ne fraye pas avec le marquis joueur et ruiné qu’elle croit d’autant plus dénué de relations qu’il est plus aimable.