Название | Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel |
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Автор произведения | Marcel Proust |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066373511 |
A cette heure-là on apercevait les trois hommes en smoking attendant la femme en retard laquelle bientôt, en une robe presque chaque fois nouvelle et des écharpes choisies selon un goût particulier à son amant, après avoir, de son étage, sonné le lift, sortait de l’ascenseur comme d’une boîte de joujoux. Et tous les quatre qui trouvaient que le phénomène international du Palace, implanté à Balbec, y avait fait fleurir le luxe plus que la bonne cuisine, s’engouffraient dans une voiture, allaient dîner à une demi-lieue de là dans un petit restaurant réputé où ils avaient avec le cuisinier d’interminables conférences sur la composition du menu et la confection des plats. Pendant ce trajet la route bordée de pommiers qui part de Balbec n’était pour eux que la distance qu’il fallait franchir – peu distincte dans la nuit noire de celle qui séparait leurs domiciles parisiens du Café Anglais ou de la Tour d’Argent – avant d’arriver au petit restaurant élégant où, tandis que les amis du jeune homme riche l’enviaient d’avoir une maîtresse si bien habillée, les écharpes de celle-ci tendaient devant la petite société comme un voile parfumé et souple, mais qui la séparait du monde.
Malheureusement pour ma tranquillité, j’étais bien loin d’être comme tous ces gens. De beaucoup d’entre eux je me souciais; j’aurais voulu ne pas être ignoré d’un homme au front déprimé, au regard fuyant entre les oeillères de ses préjugés et de son éducation, le grand seigneur de la contrée, lequel n’était autre que le beau-frère de Legrandin, qui venait quelquefois en visite à Balbec et, le dimanche, par la garden-party hebdomadaire que sa femme et lui donnaient, dépeuplait l’hôtel d’une partie de ses habitants, parce qu’un ou deux d’entre eux étaient invités à ces fêtes, et parce que les autres pour ne pas avoir l’air de ne pas l’être, choisissaient ce jour-là pour faire une excursion éloignée. Il avait, d’ailleurs, été le premier jour fort mal reçu à l’hôtel quand le personnel, frais débarqué de la Côte d’Azur, ne savait pas encore qui il était. Non seulement il n’était pas habillé en flanelle blanche, mais par vieille manière française et ignorance de la vie des Palaces, entrant dans un hall où il y avait des femmes, il avait ôté son chapeau dès la porte, ce qui avait fait que le directeur n’avait même pas touché le sien pour lui répondre, estimant que ce devait être quelqu’un de la plus humble extraction, ce qu’il appelait un homme «sortant de l’ordinaire». Seule la femme du notaire s’était sentie attirée vers le nouveau venu qui fleurait toute la vulgarité gourmée des gens comme il faut et elle avait déclaré, avec le fond de discernement infaillible et d’autorité sans réplique d’une personne pour qui la première société du Mans n’a pas de secrets, qu’on se sentait devant lui en présence d’un homme d’une haute distinction, parfaitement bien élevé et qui tranchait sur tout ce qu’on rencontrait à Balbec et qu’elle jugeait infréquentable tant qu’elle ne le fréquentait pas. Ce jugement favorable qu’elle avait porté sur le beau-frère de Legrandin tenait peut-être au terne aspect de quelqu’un qui n’avait rien d’intimidant, peut-être à ce qu’elle avait reconnu dans ce gentilhomme-fermier à allure de sacristain les signes maçonniques de son propre cléricalisme.
J’avais beau avoir appris que les jeunes gens qui montaient tous les jours à cheval devant l’hôtel étaient les fils du propriétaire véreux d’un magasin de nouveautés et que mon père n’eût jamais consenti à connaître, la «vie de bains de mer» les dressait, à mes yeux, en statues équestres de demi-dieux, et le mieux que je pouvais espérer était qu’ils ne laissassent jamais tomber leurs regards sur le pauvre garçon que j’étais, qui ne quittait la salle à manger de l’hôtel que pour aller s’asseoir sur le sable. J’aurais voulu inspirer de la sympathie à l’aventurier même qui avait été roi d’une île déserte en Océanie, même au jeune tuberculeux dont j’aimais à supposer qu’il cachait sous ses dehors insolents une âme craintive et tendre qui eût peut-être prodigué pour moi seul des trésors d’affection. D’ailleurs (au contraire de ce qu’on dit d’habitude des relations de voyage) comme être vu avec certaines personnes peut vous ajouter, sur une plage où l’on retourne quelquefois, un coefficient sans équivalent dans la vraie vie mondaine, il n’y a rien, non pas qu’on tienne aussi à distance, mais qu’on cultive si soigneusement dans la vie de Paris, que les amitiés de bains de mer. Je me souciais de l’opinion que pouvaient avoir de moi toutes ces notabilités momentanées ou locales que ma disposition à me mettre à la place des gens et à recréer leur état d’esprit me faisait situer non à leur rang réel, à celui qu’ils auraient occupé à Paris par exemple et qui eût été fort bas, mais à celui qu’ils devaient croire le leur, et qui l’était à vrai dire à Balbec où l’absence de commune mesure leur donnait une sorte de supériorité relative et d’intérêt singulier. Hélas d’aucune de ces personnes le mépris ne m’était aussi pénible que celui de M. de Stermaria.
Car j’avais remarqué sa fille dès son entrée, son joli visage pâle et presque bleuté, ce qu’il y avait de particulier dans le port de sa haute taille, dans sa démarche, et qui m’évoquait avec raison son hérédité, son éducation aristocratique et d’autant plus clairement que je savais son nom – comme ces thèmes expressifs inventés par des musiciens de génie et qui peignent splendidement le scintillement de la flamme, le bruissement du fleuve et la paix de la campagne, pour les auditeurs qui, en parcourant préalablement le livret, ont aiguillé leur imagination dans la bonne voie. La «race» en ajoutant aux charmes de Mlle de Stermaria l’idée de leur cause, les rendait plus intelligibles, plus complets. Elle les faisait aussi plus désirables, annonçant qu’ils étaient peu accessibles, comme un prix élevé ajoute à la valeur d’un objet qui nous a plu. Et la tige héréditaire donnait à ce teint composé