Chacune son Rêve. Daniel Lesueur

Читать онлайн.
Название Chacune son Rêve
Автор произведения Daniel Lesueur
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066079901



Скачать книгу

Le doute qui s'élevait en lui hésitait à s'exprimer. Toutefois, les lèvres loyales ne purent le sceller plus longtemps.

      —«Je me suis souvent demandé depuis... Hélas! mon pauvre Delchaume... Je devine trop bien. Ce scandale, que nous avons écarté de la mère, il va éclater autour de l'enfant... Et qu'en adviendra-t-il?»

      L'autorité, qui haussait ce front de maître sous la neige des cheveux encore drus, qui étincelait dans le regard, sembla fléchir. Pour la première fois de sa vie, cet homme, qui pouvait regarder l'univers en face et lui dire: «Je n'ai fait que du bien», connut, à un faible degré, mais combien intolérable pour lui, l'anxiété du jugement des autres.

      L'être de sensibilité, de délicatesse, qui se savait la cause d'un tel malaise, en souffrit plus que lui-même.

      —«Mon cher maître, je suis venu implorer votre pardon, me placer sous votre volonté, sous votre main, surtout sous la direction de votre conscience.»

      Perrelot dit, avec une nuance de sécheresse:

      —«Voyons...

      —Ce que vous pressentez est plus qu'exact. La réalité dépasse toute prévision. Je viens de découvrir, aujourd'hui même, l'innocence absolue de Francine. «Victime plus que coupable,» disiez-vous généreusement. Rectifiez: «Victime, et non coupable.» On l'a assassinée à cause d'un secret, non par représailles amoureuses. L'enfant n'était pas le sien.

      —Que dites-vous!...

      —Ce dont je suis sûr. Ce dont je vous donnerai les preuves.

      —Inutile. Ma pensée y correspond. Rappelez-vous mes paroles devant sa forme pure: «C'est presque le corps d'une jeune fille.» Seulement, par quels chemins êtes-vous arrivé?...

      —Sa confession, que j'ai trouvée enfin. A peine reçue docteur, elle fut amenée, les yeux bandés, en automobile, auprès d'une jeune femme, qu'elle délivra. On la fit reconduire de nuit, et elle se retrouva seule, en pleine campagne, avec le nouveau-né dans les bras.

      —A-t-elle soupçonné qui était la mère?

      —Non.

      —Et le père?

      —-Je le connais.»

      Perrelot bondit. Raymond, qui ne cherchait pas des effets, mais allait droit au but, déclara aussitôt:

      —«C'est le prince Boris Omiroff.

      —Boris Omiroff!...» répéta le maître, avec une stupeur horrifiée. «Boris Omiroff!... Mais il est ici, en bas, parmi mes invités.

      —Non!» cria Delchaume, se dressant.

      Le ressort de fureur qui le jeta hors de son siège agit avec une si brusque violence, que le professeur Perrelot, comme s'il eût craint des voies de fait immédiates, se leva à son tour, et crispa ses doigts précis et solides d'opérateur sur le bras du jeune homme.

      —«Pardon!» fit Delchaume. «Ç'a été plus fort que moi.»

      Et il se rassit.

      —«C'est d'ailleurs la première fois qu'il vient chez nous,» observa le chirurgien. «Des amis ont demandé à ma femme une invitation pour lui. Vous savez... la maison d'un opérateur un peu connu... c'est un terrain neutre et international. J'ai coupé quelque chose à peu près dans toutes les grandes familles de l'Europe.

      —Mais... sa blessure? Je ne le croyais pas remis.

      —Il porte encore le bras en écharpe.

      —Vous savez qu'il s'est fait arranger de la sorte pour ne pas se battre avec moi?»

      Le vieux maître éleva les sourcils. Raymond perçut l'ironie presque invisible.

      —«Oh! je ne me donne pas pour un adversaire capable de faire se dérober le bretteur qu'est ce Russe. Non. C'est pour mieux m'outrager de son mépris qu'il me refuse réparation. Et, comme, tout de même, on aurait pu trouver ça étrange, il s'est offert un beau duel, pour démontrer à la galerie qu'un Omiroff ne peut être soupçonné d'avoir peur.

      —En effet,» réfléchit Perrelot... «On m'avait raconté... Ne l'aviez-vous pas provoqué au Pré Catelan, à la représentation de gala?...

      —Oui.

      —Mais pourquoi le provoquer?

      —Je le croyais l'amant pour lequel était morte Francine.

      —Oh!

      —Il n'est que son assassin.»

      L'illustre praticien considéra son jeune ami longuement, silencieusement. Demeurait-il figé de surprise? Ou bien son expérience de la comédie tragique qu'est la vie, des complications des êtres et des complications des circonstances, le laissait-elle sans étonnement? Au bout d'un instant, il proféra:

      —«Son assassin, dites-vous? Et aussi le père de l'enfant?

      —Et aussi le père de l'enfant.

      —C'est lui qui l'a fait enlever?

      —Oui, c'est lui.

      —Mais alors?..

      —Oh! je sais ce que vous allez m'objecter, mon cher maître: au nom de quel droit empêcherai-je un père de reprendre son fils?... D'abord, j'ai la loi pour moi. J'ai reconnu l'enfant. Lui, l'a renié, abandonné.

      —Mais... si vous l'avez reconnu, Delchaume, c'est vous qui le lui avez pris.

      —Oh! mon cher maître... Écoutez... Je vous en prie... Laissons les mots... laissons même les conventions que les hommes appellent des lois...

      —Hé!... Hé!...

      —Patience!... je vous en conjure!... Vous ne comprenez plus ma tendresse pour l'enfant?...

      —Ma foi, non! S'il n'est pas le fils de Francine... S'il appartient à l'homme qui, suivant vous, a tué votre femme...

      —Je tâcherai de vous expliquer tout à l'heure... Maintenant, il me faut vous dire ce que je suis venu vous demander.»

      Le célèbre professeur avança un visage attentif, darda un regard divinateur—le visage, le regard, qu'il inclinait vers les chairs souffrantes, où il allait enfoncer son bistouri.

      —«Mon cher maître, ce matin, mon premier mouvement a été de prévenir le chef de la Sûreté. Mais, ce soir, après avoir lu les révélations de Francine, j'ai pressenti un drame plus compliqué, plus obscur, que tout ce que nous imaginions. Comment, si je m'adresse à la haute police, ne pas l'éclairer entièrement?... La crainte de vous voir mis en cause m'a troublé. Le médecin des morts rejettera sur votre présence la discrétion qu'il a eue de ne pas examiner ma pauvre femme. Il ne faut pas que votre personnalité apparaisse, surtout par ma faute, dans une attitude équivoque, illégale... Et cependant, puisque l'honneur de Francine est intact, rien ne m'empêche plus, sinon ce trop juste scrupule envers vous, de faire poursuivre son assassin. Je viens vous demander comment vous envisagez cette situation terrible.»

      Sans hésiter, Perrelot riposta:

      —«Voulez-vous qu'avant tout nous écartions les considérations qui me concernent? Jamais la vérité ne m'a fait peur, Delchaume. Je me suis dérobé à elle une seule fois, sur vos instances. Mon Dieu! ce que vous me demandiez était si naturel, presque si juste!... Toutefois, vous le reconnaissez à présent, nous avons eu tort. Eh bien, laissons cela. Que ce tort devienne manifeste, public, me cause des désagréments plus ou moins graves, ceci est secondaire. Vous entendez... N'en parlons même plus. Encore une fois, la vérité ne me fait pas peur. La satisfaction de revenir à elle compense les difficultés du chemin que j'ai à faire pour cela. Nommez-moi, invoquez-moi, citez-moi, je vous y autorise, je vous le demande...

      —Noble cœur... admirable maître...

      —Laissons... laissons!... Maintenant, regardons