Название | Lettres à Mademoiselle de Volland |
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Автор произведения | Dénis Diderot |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079130 |
D'Alembert a prononcé, à la clôture de l'Académie française, un discours sur la poésie, fort blâmé des uns, fort loué des autres[44]. On m'a dit que l'Iliade et l'Énéide y étaient traitées d'ouvrages ennuyeux et insipides, et la Jérusalem délivrée et la Henriade préconisées comme les deux seuls poëmes épiques qu'on pût lire de suite. Cela me rappelle ce froid géomètre qui, las d'entendre vanter Racine, qu'il ne connaissait que de réputation, se résolut enfin à le lire. À la fin de la première scène de Psyché[45]: «Eh bien, dit-il, qu'est-ce que cela prouve?»
Il paraît une Épître de Satan et de Voltaire[46]. Je ne vous en dis rien; vous la verrez et les autres brochures du jour. Si le marquis de Ximènes me tient parole, j'espère vous faire passer, acte par acte, ou peut-être tout à la fois, la tragédie de Tancrède[47]. Vous voyez, chère amie, avec quelle exactitude je me conforme à vos intentions; il ne tiendra pas à moi qu'on ne vous trouve fort aimable en province. Je ne vous parlerai plus de l'histoire de mon cœur que quand les anecdotes de la ville me manqueront. Vous mériteriez bien que je fermasse cette lettre sans vous dire seulement que je vous aime; mais je ne saurais; ne m'en sachez point de gré, c'est pour moi et non pour vous que je vous dis que je vous aime de toute mon âme, que vous m'occupez sans cesse, que vous me manquez à tout moment, que l'idée que je ne vous ai plus me tourmente même quelquefois à mon insu. Si d'abord je ne sais ce que je cherche, à la réflexion je trouve que c'est vous; si je veux sortir sans savoir pourtant où aller, à la réflexion je trouve que c'est où vous étiez; si je suis avec des gens aimables et que je sente l'ennui me gagner malgré moi, à la réflexion je trouve que c'est que je n'ai plus l'espérance de vous voir un moment, et que c'était apparemment cette espérance qui me rendait le temps supportable. Je vous en dirais bien davantage, mais vous n'êtes pas digne seulement de savoir ceci que j'avais bien résolu de vous celer. Ma mie, n'allez pas au moins avoir la bêtise de prendre une plaisanterie au sérieux. Vous m'êtes chère, et si vous imaginez quelque moyen d'abréger l'éternité de votre campagne, apprenez-le-moi vite, afin que je vous satisfasse. Si je pouvais vous assoupir d'un sommeil de deux mois, je le ferais d'autant plus volontiers que le pouvoir de vous envoyer le sommeil supposerait un peu celui de vous faire faire des rêves, et que vous en feriez de jolis, rarement pourtant. Pour Dieu, dites-moi si vous avez reçu mes lettres; dites-moi comment je vous enverrai votre boîte. Adieu.
XXXIII
Paris, le 2 septembre 1760.
J'attendais ce soir un mot de vous qui me rassurât sur le sort de mes deux dernières lettres. Il est sept heures: on a ouvert ici les dépêches; et il n'y a rien chez M. Grimm. Que faut-il que je pense? La curiosité, la méchanceté, l'infidélité, des contre-temps, que sais-je? quoi encore? Tout s'oppose donc à la douceur de notre commerce, et nous ravit le seul bien qui nous reste, l'unique consolation que nous ayons et qui nous est si nécessaire! Je vous ai envoyé l'Épître du Diable; je vous envoie Tancrède, qu'on joue demain. Si vous croyez que cette lecture puisse amuser quelques heures de notre chère sœur, faites-lui-en ma cour, ne m'oubliez jamais auprès d'elle, ni auprès de madame votre mère.
Je reçois à présent le numéro 7, et je n'apprends rien de mes lettres, voici pourtant la cinquième; ces délais me désespèrent, mais il faut espérer que la personne qui a mis à la poste la lettre que je vous lis vous rapportera un paquet des miennes. Non, chère amie, tranquillisez-vous; il ne m'est rien arrivé de fâcheux depuis votre départ. Vos inquiétudes sont les seules peines nouvelles que j'aie ressenties. Je n'ai point écrit à Châlons: votre mère avait dit en ma présence qu'elle ne voulait pas y séjourner plus de vingt-quatre heures. J'ai cru pouvoir compter sur la fermeté avec laquelle elle refusait un jour de plus à Mme Le Gendre, qui la sollicitait bien tendrement. Vous avez bien fait de consulter votre goût et votre santé sur la promenade qu'on vous proposait. Continuez, mettez-vous à votre aise, à présent que vous en avez des raisons ou des prétextes, afin qu'on y soit tout accoutumé dans la suite, et qu'on perde peu à peu le droit de vous mener à la lisière: n'y a-t-il pas assez longtemps qu'on abuse de vous? Aimez votre mère, supportez ses humeurs, prêtez-vous à toutes ses fantaisies, allez au-devant de ses goûts, faites par raison tout ce que l'estime vous inspirerait; mais conservez-vous. Supposons que la fatigue du voyage vous eût brisée et que vous fussiez restée entre la vie et la mort dans quelque misérable chaumière, croyez-vous que votre condescendance déplacée n'eût pas été autant à blâmer que l'inadvertance ou la dureté des autres? Vous faites tout ce que vous pouvez pour me réconcilier avec votre sœur; cela est fort bien; mais répondez-moi. Vous dirai-je, comme vous disait votre mère dans une autre circonstance: Répondez-moi avec cette belle franchise que vous professez? Si la petite Émilie eût été réduite dans un état pareil au vôtre, aurait-elle jamais souffert qu'on la déplaçât de son lit? On a cherché à contrister madame votre mère, au hasard de vous faire périr. Ma bonne amie, laissons tout cela.
Mais, à propos du pauvre Vialet, seriez-vous une femme à m'excuser auprès de lui? Croiriez-vous bien que je n'ai pas encore répondu à sa confiance? Je le ferai; mais il faut que j'aie la tête plus libre; et puis, je serai vrai: mais le moyen de rien dissimuler et de ne pas empirer son mal? Dites-lui tout ce que vous voudrez, promettez-lui une réponse de ma part, et cherchez tout ce qui pourra lui faire pardonner mon silence.
Vous vous plaignez des lieux que vous habitez, des occupations qui prennent votre temps, des gens que vous voyez; et croyez-vous qu'on soit mieux ici? Non, chère amie, tout y est aussi mal que là-bas, parce que vous n'êtes pas ici, parce que je ne suis pas là-bas. Rien ne manquerait où vous êtes, je n'aurais rien à désirer où je suis, si j'y étais, si vous y étiez. Comptons les jours écoulés, et tâchons d'oublier ceux qui sont encore à passer, vous loin de moi, mais loin de vous. Le discours de votre sœur à madame votre mère est excellent; mais elle se fera haïr. Combien de gens avec qui nous n'avons jamais eu d'autres torts que d'avoir remarqué leurs sottises!
Il n'y a plus d'apparence que je reprenne mon journal: il vaut mieux que je l'achève ici en quatre mots. J'ai vu d'Argental, qui m'a encore parlé du projet des Comédiens sur le Père de Famille[48]. J'ai dîné avec l'abbé Sallier[49], chez moi; madame a très-bien fait les honneurs, elle a même dit à l'abbé un mot assez plaisant. Mme d'Épinay et M. Grimm sont venus aujourd'hui à Paris. Le projet était d'assister à la première représentation de Tancrède, mais un mal de dents a tout dérangé. On s'en retournera vendredi à la Chevrette, avec une dent de moins, au lieu d'aller au Grandval; pour moi, je resterai: on désespère de m'avoir, et je ne m'engage pas trop. Je travaille beaucoup moins cependant que je n'espérais; mes collègues me font enrager par leurs lenteurs.
Adieu, ma tendre amie, vous me rendez justice; tout ce qui est autour de vous peut changer, excepté mes sentiments; ils sont à l'épreuve du temps et des événements. Quand mon estime croît pour vous de jour en jour, dites, est-il possible que ma tendresse diminue? Je disais autrefois à une femme que j'aimais et en qui je découvrais des défauts[50]: «Madame, prenez-y garde, vous vous défigurez dans mon cœur; il y a là une image à laquelle vous ne ressemblez plus; si vous n'êtes plus celle qui m'engageait malgré moi, je cesserai d'être ce que je suis.» Si j'avais à dire de ma Sophie, ce serait ceci: Plus je vis avec elle, plus je lui vois de vertus, plus elle s'embellit à mes yeux, plus je l'aime, plus elle m'attache; et puis il y a bientôt cinq ans que je lui prouve que le système de sa sœur est faux. Patience, chère amie, patience; ils reviendront, ces moments où vous reverrez mon ivresse, où je vous forcerai de prononcer au fond de votre cœur que les faveurs d'une honnête femme sont toujours précieuses, et que c'est elle dont les charmes ne passent jamais. Adieu, adieu. Le 2 septembre, le jour de la naissance