Название | Lettres à Mademoiselle de Volland |
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Автор произведения | Dénis Diderot |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066079130 |
Nous irons peut-être demain au soir ou lundi matin passer un jour à la ville; je verrai donc cette amie que je regrettais; je recouvrerai donc cet ami silencieux dont je n'entendais point parler. Mais je les perdrai le lendemain; et plus j'aurai senti le bonheur d'être à côté d'eux, plus je souffrirai de m'en séparer. C'est ainsi que tout va: tournez-vous, retournez-vous, il y aura toujours une feuille de rose pliée qui vous blessera... J'aime ma Sophie; la tendresse que j'ai pour elle affaiblit à mes yeux tout autre intérêt. Je ne vois qu'un malheur possible dans la nature; mais ce malheur se multiplie et se présente à moi sous cent aspects. Passe-t-elle un jour sans m'écrire, qu'a-t-elle? serait-elle malade? Et voilà les chimères qui voltigent autour de ma tête et qui me tourmentent. M'a-t-elle écrit, j'interpréterai mal un mot indifférent, et je suis aux champs. L'homme ne peut ni améliorer ni empirer son sort. Son bonheur et sa misère ont été circonscrits par un astre puissant. Plus d'objets, moins de sensibilité pour chacun. Un seul, tout se rassemble sur lui. C'est le trésor de l'avare...
Mais je m'aperçois que je digère mal, et que toute cette triste philosophie naît d'un estomac embarrassé. Crapuleux ou sobre, mélancolique ou serein, Sophie, je vous aime également; mais la couleur du sentiment n'est pas la même... On est allé à Charenton vous porter un volume de moi et chercher une ligne de vous. Et attendant, je piétine et je maudis la longueur du messager. Amour et mauvaise digestion. J'ai beau dire: Ce coquin s'est amusé dans un cabaret; il n'a pu voir une couronne de lierre pendue à une porte sans entrer; je ne m'en crois pas moi-même. Qu'est-ce donc que cette raison qui siège là, que rien ne corrompt, qui m'accuse et qui absout mon valet? Est-ce qu'on est sage et fou dans un même instant?
Je n'ai presque rien fait aujourd'hui; la matinée s'est échappée je ne sais comment, et je vous écris un mot ce soir pour me raccommoder avec moi-même. Je n'aurai pas perdu la journée, si j'en ai employé un quart d'heure à causer avec vous. Adieu, ma Sophie! À demain au soir ou à lundi matin, s'il fait beau et si les projets du Baron ne se dérangent point. Gardez-moi les lettres de votre sœur, et, quand vous lui écrirez, ne m'oubliez pas. Serrez la main pour moi à M. de Prisye. Présentez mon dévouement et mon respect à Mlle Boileau. Laissez-moi oublier de votre mère, puisque c'est son projet.
Mais voilà notre nouvelle arrivée qui passe en chantant par mon corridor. Il me semble qu'elle a de la voix. Adieu, mon amie! Soyez toujours bien sage. Pour moi, je suis les conseils que je donne. Je vous l'ai dit souvent, et, plus je vais, mieux je sens que je vous l'ai bien dit: il n'y a et il n'y aura jamais qu'une femme au monde pour moi. Et cette femme, qui est-elle? C'est ma Sophie; c'est elle qui pense à moi, mais qui ne m'écrit point. Car voilà mon messager revenu de Charenton sans lettres. J'ai de l'humeur; je vais me coucher de peur de gronder mal à propos et de mériter toutes les épithètes que je donnerais à mon valet; car, après tout, ce n'est pas sa faute, si l'on n'écrit point à Paris, et si cela me fâche.
XXVIII
Au Grandval, le 3 novembre 1759.
Les IL FAUT[38] Il faut penser; sans quoi l'homme devient, Malgré son âme, un franc cheval de somme. Il faut aimer: c'est ce qui nous soutient, Car sans aimer, il est triste d'être homme. Il faut avoir un ami, qu'en tout temps, Pour son bonheur on écoute, on consulte, Qui sache rendre à notre âme en tumulte Les maux moins vifs et les plaisirs plus grands. Il faut le soir un souper délectable, Où l'on soit libre, où l'on puisse en repos Goûter gaîment les bons mets, les bons mots, Et sans être ivre il faut sortir de table. Il faut la nuit dire tout ce qu'on sent Au tendre objet que notre cœur adore; Se réveiller pour en redire autant, Se rendormir pour y songer encore. Mes chers amis, convenez que voilà Ce qui serait une assez douce vie. Ah! dès le jour que j'aimai ma Sylvie, Sans plus chercher, j'ai trouvé tout cela.
À la place de ma Sylvie, mettez ma Sophie, si vous voulez. Ces vers m'ont paru jolis, et je vous les envoie pour vous, pour Mme Le Gendre et pour madame votre mère. J'ai vu la réponse que vous avez faite à un certain billet. Elle a ajouté ce qui manquait à ma peine! Il serait bien plus simple de me dire: Le sentiment que j'avais est usé; j'ai pesé la peine et le plaisir ... et le plaisir m'a paru léger; comme je n'aimais plus, j'ai conçu que ma sœur avait raison. Je vous estimerai toujours. Et j'entendrais tout cela bien mieux que: je ne veux point le gêner, je ne veux point l'être, je n'empêche point qu'il saisisse l'amusement qui se présente, et j'espère qu'il approuvera que je le cherche. On a tant d'indulgence quand on n'a plus d'amour! Avec l'habitude que vous avez de regarder au fond de votre âme, voilà ce que vous y devez voir. Avec l'habitude de dire ce que vous voyez, c'est ainsi que vous auriez dû me parler. Si vous saviez le mal que vous m'avez fait!... Mais quand vous le sauriez, qu'est-ce que cela vous ferait? Je ne rappellerais point en vous des sentiments qui n'y sont plus, et j'éloignerais peut-être une vérité qu'il faudra pourtant que je sache. Parlez-moi vrai, n'est-ce pas que vous n'aimez plus?
XXIX
À Paris, le 15 janvier 1760.
Il est neuf heures sonnées. Je perds l'espérance de vous voir. J'ai lu toutes les lettres de notre sœur, qui m'ont fait grand plaisir. Voilà un griffonnage qu'elles m'ont suggéré. Vous le lui enverrez, si vous croyez qu'il en vaille la peine. Je m'en retournerai donc sans vous avoir embrassée; je remporterai l'envie de vous faire une petite caresse. Il y a cependant longtemps que je l'ai, cette envie, et qu'elle me peine. Adieu, portez-vous bien, aimez-moi comme je vous aime. Je ne sais quand je vous verrai. Demain, j'ai un rendez-vous d'affaires à six heures du soir. Dimanche je vais dîner à l'École militaire où je devais dîner jeudi; mais nous en fûmes rappelés dans la matinée par l'accouchement de Mme d'Holbach, qui nous a donné une petite créature un mois plus tôt qu'elle n'était attendue. Lundi je suis invité, je ne sais où, à une représentation d'une tragédie de M. de Ximènes[39]. Grimm exige que j'aille avec lui. Je ferai de mon mieux pour vous apercevoir dans cet intervalle; mais de quoi me plains-je? Depuis un mois fais-je autre chose que de vous apercevoir? Cela me parai dur. Je ne me fais point, je ne me ferai jamais à l'austérité de ce régime. Pour le coup, votre mère a trouvé le secret de nous désespérer. Je m'en console un peu en imaginant qu'elle ne s'en doute pas. Bonsoir, bonsoir, voilà dix heures à votre pendule, c'est-à-dire neuf heures et demie au moins par toute terre.
XXX
À Paris, le 1er juillet 1760.
Je ne sais pas précisément combien il y a de temps que je vous ai vue; mais ce temps m'a bien duré! Je ne sais pas précisément ce que j'ai fait; si j'avais fait quelque chose qui m'eût intéressé, je m'en souviendrais. Je venais passer aujourd'hui la journée avec vous. Il était environ cinq heures; vous veniez de sortir; vous étiez toutes allées à Spartacus[40]. Quand vous ne m'auriez pas attendu, cette pièce ne vous aura pas fait grand plaisir; on n'y est ni transporté d'admiration, ni ému d'une commisération forte, ni touché d'horreur. On ne sait pour qui s'intéresser. Ce n'est ni pour