Le domino rose. Alexis Bouvier

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Название Le domino rose
Автор произведения Alexis Bouvier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066330385



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lui avait conseillé, s’était grisé, la flamme étrange de ses yeux, que Renée croyait allumée par la passion, c’était l’ivresse qui en était la cause.

      Elle se débattait; il la tenait toujours, résistant aux secousses furieuses qu’elle faisait pour se dégager; elle fermait les yeux pour ne plus le voir, car il avait un regard qu’elle ne lui connaissait pas.

      –Lâche! infâme! gueux! disait-elle en continuant à lutter.

      –Je t’aime! répétait Maurice. Tout à coup il la sentit se glisser de ses bras, il voulu la retenir, mais la tête pendait sur son épaule… les yeux étaient éteints, une mousse sanglante venait aux lèvres, ses bras se dressèrent, elle tomba à genoux. Maurice, effrayé, ne la tenait plus; le corps s’affaissa lourdement à terre et la tête heurta le parquet.

      –Ciel! et se baissant, ayant placé sa main sur le cœur de la noble enfant, il sentit qu’il ne battait plus; il se redressa épouvanté, courant dans la chambre, s’arrachant les cheveux, gémissant:

      –Morte! morte!

      Il ouvrit la porte et cria dans l’escalier.

      –Sidie! Sidie! au secours!

      La grande fille, qui bavardait chez la concierge, remonta aussitôt. En voyant la jeune fille étendue sur le parquet, elle courut à elle.

      –C’est son mal, dit-elle, Pauvre petite!… Aidez-moi, aidez-moi à la mettre sur le lit.

      Rassuré par Sidie, Maurice l’aida. Sachant en deux mots l’atroce scène qui s’était passée et que Maurice, dégrisé, lui racontait en admirant la solide vertu de Renée, la grande fille n’eut pour tout cela qu’un haussement d’épaules. Lorsque Renée commença à respirer, il ne se sentait pas le courage de subir le regard de mépris de celle qu’il aimait maintenant bien plus encore. Sidie le consolait. Lorsque Renée revint à elle, son regard clair et pur se fixa sur le malheureux jeune homme,–qui suppliant, mit genoux en terre, les larmes aux yeux, les bras tendus vers elle, et disant:

      –Pardon! pardon!

      Et d’une voix sèche, sans réplique, lui montrant la porte, elle lui dit:

      –Sortez, monsieur, sortez.

      Malgré les supplications de Sidie qui disait:

      –Laisse-le donc, pardonne-lui… puisqu’il se repent!…

      Le bras de Renée montrait la porte… Maurice balbutiait; écrasé par le mépris de celle qu’il aimait, il n’osait lever les yeux. Elle, d’une voix profonde dans laquelle toute son honnêteté révoltée se faisait entendre:

      –Sortez, monsieur, que je ne vous revoie jamais.

      Le pauvre garçon ployait sous le poids de sa honte, debout, gauche dans sa démarche; ses mains maladroites cherchaient la serrure de la porte, il sortit enfin gémissant:

      –Ah! je suis un misérable et un lâche!

      Il descendit un peu comme un homme ivre, s’accrochant à la rampe et toujours poursuivi par ce regard brillant d’où jaillissait tant de mépris.

      Maurice souffrait de deux choses; il se sentait infâme de sa tentative et il se sentait ridicule de sa non-réussite. Il cherchait vainement à s’excuser: il se disait que le vrai coupable c’était Sidie, il n’avait pas eu l’idée de la faute, on la lui avait fait commettre, et plus il descendait en lui, plus il se trouvait innocent. Cependant il éprouvait en lui-même une gêne horrible. Qu’allait-il faire? il le sentait bien, il ne pourrait plus vivre sans celle qui lui avait si courageusement résisté.

      Il s’assit à la porte d’un café du boulevard, accoudé sur la table la tête dans ses mains, il pensa et malgré lui, sur ses lèvres qu’il mordillait, revenaient sans cesse les mots:

      –Un niais et un misérable1

      Il cherchait dans son cerveau le moyen de racheter sa faute, d’obtenir le pardon. Tout à conp prenant un parti, il appela le garçon et lui demanda ce qu’il fallait pour écrire. Il écrivit cinq lignes, les signa et écrivit sur l’enveloppe;

       A madame Caroline Vallier,

       Rue des Acacias,

       Paris-Montmartre.

      Il se leva, paya le garçon et jeta sa lettre à la poste.

      Il traversait la place du Château-d’Eau, lorsqu’il lui sembla apercevoir Renée. Il pressa le pas et la reconnut. La jeune fille se hâtait de regagner sa demeure. Il évita d’être vu, et, attiré par elle comme par un aimant, il la suivait, bien décidé cependant à ne pas lui parler.

      –Demain, disait-il, demain, c’est elle qui m’écrira de venir chercher mon pardon.

      Renée était pâle. De temps à autre, sa poitrine oppressée se soulevait; elle étouffait ses sanglots et passait souvent sa main sur ses yeux pour essuyer les larmes indiscrètes.

      Pauvre enfant! tous ses rêves de bonheur et d’avenir étaient envolés! Le seul homme qu’elle avait remarqué, le premier qui avait fait battre son cœur était désormais mort à jamais pour elle. Et la pauvre petite, comme elle sentait bien qu’elle n’aimerait jamais ainsi!… Elle marchait vite, vite, ayant hâte d’embrasser sa mère, de retrouver en ses bras l’affection perdue.

      Maurice pressait le pas, la suivant, décidé à ne pas lui parler, évitant d’être vu par elle et cependant espérant qu’un hasard heureux changerait tout cela. C’est le propre des amoureux de se persuader à eux-mêmes le contraire de ce qu’ils désirent.

      Les yeux du jeune homme dévoraient la taille bien prise, l’allure élégante de la jeune fille; il lui sembla que Renée, par deux fois, avait fait un crochet rapide comme pour échapper à quelqu’un, il se rapprocha d’elle, et pâlissant de colère, il vit qu’elle était suivie et obsédée par un homme de quarante à quarante-cinq ans; il n’osait s’interposer, et, furieux, cherchait le moyen de débarrasser la jeune fille de l’importun.

      La nuit commençait à tomber, lorsque Renée se trouva dans les environs de l’hospice de Lariboisière; les passants à cet endroit sont plus rares: enhardi par cette circonstance, l’homme qui la suivait s’avança près d’elle, et lui conta dans l’oreille quelques odieux propos, car la jeune fille s’écarta en faisant un soubresaut: l’homme lui glissa la main autour de la taille, pour l’embrasser. Renée jeta un cri en se dégageant.

      Maurice avait vu la scène, il n’hésita pas et s’élança au devant de celle qu’il aimait.

      Il prit Renée entre ses bras; celle-ci, sentant une nouvelle étreinte, prit pour une nouvelle attaque le secours qui lui arrivait, elle se débarassa par un mouvement brusque de Maurice et le regarda avec un souverain mépris. Elle demeura stupéfaite en le reconnaissant.

      L’homme, envoyant le jeune homme se placer entre lui et celle qu’il poursuivait, se retirait prudemment, cherchant l’excuse à donner à celui qu’il prenait pour le mari, l’amant ou le frère, s’il venait à lui.

      Renée ne voulait rien devoir à Maurice; son aide, à cette heure, lui semblait une nouvelle injure. Attirée dans un guet-apens, la joue encore humide des baisers qu’elle avait subis, elle crut qu’une nouvelle tentative était faite par le jeune homme. Son regard le prenant des cheveux aux pieds, écrasant de mépris, cloua le jeune homme à sa place, et Renée, achevant, lui dit:

      –Un homme m’insulte, il était digne de vous d’y ajouter l’injure de votre protection.

      –Que me dites-vous? je.

      –Je ne vous connais pas, monsieur, fit Renée en s’éloignant rapidement.

      Maurice était resté stupéfait, écrasé par les paroles, par les regards et surtout par l’accent