Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz

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Название Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088897



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Berlioz s'en alla tout seul aux Menus-Plaisirs; car il changeait de salle de concerts aussi souvent que d'appartements privés, voyageant du Vaux-Hall à la rue Vivienne et du Garde-Meuble de la rue Bergère au Gymnase musical, situé sur le boulevard Bonne-Nouvelle[19]. Le bruit, commençait à se faire autour de son nom; si l'argent lui manquait parfois, les ennemis déjà ne lui manquaient pas. M. Fétis jeune l'attaquait dans je ne sais quelle feuille de chou; Arnal le parodiait au bal de l'Opéra, pendant que les masques dansaient des quadrilles, que les débardeurs faisaient vis-à-vis aux pierrettes, que la folie agitait ses grelots (style d'alors), et que Musard soufflait dans ses cornets à pistons: «Oui, messieurs, s'écriait Arnal, je vais faire exécuter devant vous une symphonie pittoresque et imitative, intitulée Épisode de la vie d'un joueur. Je n'ai besoin pour faire comprendre mes pensées dramatiques, ni de paroles, ni de chanteurs, ni d'acteurs, ni de costumes, ni de décorations. Tout cela, messieurs, est dans mon orchestre; vous y verrez agir mon personnage, vous l'entendrez parler, je vous le dépeindrai des pieds à la tête; à la seconde reprise du premier allegro, je veux vous apprendre même comment il met sa cravate. O merveille de la musique instrumentale! Mais je vous en ferai voir bien d'autres dans ma seconde Symphonie sur le code civil. Quelle différence, messieurs, d'une musique comme celle-là, qui se passe de mille accessoires inutiles au vrai génie et n'a besoin pour se faire comprendre que de... trois cents musiciens! Quelle différence, dis-je, avec les ponts neufs de Rossini! Oh! Rossini! ne me parlez pas de Rossini! un intrigant qui s'avise de faire exécuter sa musique dans les quatre parties du monde pour se faire une réputation!... Charlatan!... Un homme qui écrit des choses que comprendra le premier venu! Tenez, c'est abominable; et pour moi, la musique de Rossini est une chose ridicule; elle ne me fait aucun effet, mais aucune espèce d'effet, voilà l'effet qu'elle me fait[20].»

      Dans la Caricature, un journaliste anonyme publiait un article intitulé: le Musicien incompris: «Le musicien incompris méprise profondément ce qu'on nomme vulgairement le public; mais en compensation il n'a qu'une médiocre estime pour les artistes contemporains. Si vous lui nommez Meyerbeer:—Hum! hum! il a quelque talent, je ne dis pas, mais il sacrifie à la mode.—Et M. Auber?—Compositeur de quadrilles et de chansons.—Bellini, Donizetti?—Italiens, Italiens, musiciens faciles, trop faciles.—Par exemple, s'il traite très-cavalièrement le présent, il a une grande vénération pour tout ce qui date d'un siècle; et quand vous lui parlez d'un opéra nouveau, d'un succès, il vous répond d'une voix attendrie: Ah! que diriez-vous, si vous connaissiez le fameux Jacques Lenglumé (un incompris de la jeunesse de Louis XIV); quelle musique! quel musicien!... Notre grand homme va chercher la solitude au huitième au-dessus de l'entresol; là, après s'être parfumé d'une grande quantité de cigares, après avoir tourné trois fois sur lui-même, il se livre tout entier au feu qui le dévore. Il saisit sa guitare (le piano généralement tapoté lui semblant fort mesquin) et tombe, le poil hérissé, sur un sofa où il compose, compose jusqu'à extinction de chaleur naturelle. Il court surtout après la haute philosophie musicale; pour lui la romance est un mythe qui doit exprimer une des faces les plus superficociquenqueuses de la vie humaine... Une fois lancé, rien ne l'arrête; il invente des accords inouïs, des rythmes inconnus, des mélodies inaccessibles. Grâce à cet agréable procédé et à cet exercice violent, le compositeur échevelé arrive à produire une partition qui peut lutter avec les charivaris les mieux organisés et il obtient toujours le succès... non, la chute demandée[21].»

      L'allusion est on ne peut plus claire.

      Tout en se défendant du bec et de l'ongle dans les journaux, l'auteur de la Symphonie fantastique prouvait son talent de la même façon que le philosophe grec prouvait le mouvement en se mettant à marcher; il travaillait jour et nuit, il couvrait de croches et de doubles croches des liasses énormes de papier réglé. Paganini, qui devait lui faire, quatre ans après, un cadeau royal, lui commandait un morceau sur les Derniers instants de Marie Stuart[22]; ce projet n'eut pas de suite ou fut transformé en un autre projet. Comme dans Harold en Italie, il y avait une partie d'alto principal que Paganini se chargeait de jouer et dont il voulait essayer l'effet sur le public anglais, un jour, à un concert de la rue Vivienne, Berlioz se trouva en face d'un géant aux ongles crochus, à la mine livide, à la chevelure tombant sur les épaules; ce géant l'embrassa en lui disant:—Tu Marcellus eris! Tu seras Beethoven!—C'était Paganini.

      Comme nous le rappelions plus haut, les bienfaits du grand artiste ne s'arrêtèrent pas à cette démonstration théâtrale. Un dimanche, le 16 décembre 1838, Berlioz, riche de gloire, mais pauvre dans le vrai sens du mot (il avait dû payer les dettes de sa femme, qui s'élevaient à un chiffre assez respectable), donnait au Conservatoire une séance musicale dont nous transcrivons le programme exact: 1º Symphonie d'Harold. 2º Grand air de Marie Stuart, d'Alari, chanté par Madame Laty. 3º Le Pâtre breton, chanté par Madame Stoltz. 4º Cantando un di, de Bari, chanté par M. Boulanger et Mademoiselle Bodin. 5º Solo de violoncelle par M. Batta. 6º Scène de l'Alceste de Gluck, par M. Alizard et Madame Stoltz. 7º La Symphonie fantastique.

      Paganini assistait au concert; deux jours après, il écrivit à son protégé le billet suivant[23]:

      «Mon cher ami, Beethoven mort, il n'y avait que Berlioz qui put le faire revivre; et moi qui ai goûté vos divines compositions dignes d'un génie tel que vous, je crois de mon devoir de vous prier de vouloir bien accepter, comme un hommage de ma part, vingt mille francs qui vous seront remis sur la présentation de l'incluse. Croyez-moi toujours votre affectionné.»Nicolo Paganini.»

      Voici la réponse de Berlioz:

      «O digne et grand artiste,

      »Comment vous exprimer ma reconnaissance!!! Je ne suis pas riche, mais, croyez-moi, le suffrage d'un homme de génie tel que vous me touche mille fois de plus que la générosité royale de votre présent.

      »Les paroles me manquent, je courrai vous embrasser dès que je pourrai quitter mon lit, où je suis encore retenu aujourd'hui.»H. Berlioz.»

      Jules Janin, un ami de la première et de la dernière heure, écrivit de son côté la lettre qu'on va lire[24]:

      «Cher Berlioz,

      »Il faut absolument que je vous dise tout mon bonheur en lisant ce matin cette belle et bonne lettre de change et de gloire que vous recevez de l'illustre Paganini. Je ne vous parle pas, je ne parle pas seulement de cette fortune qu'il vous donne, trois années de loisir, le temps de faire des chefs-d'œuvre, je parle de ce grand nom de Beethoven par lequel il vous salue. Et quel plus noble démenti à donner aux petits-maîtres et aux petites-maîtresses qui n'ont pas voulu reconnaître votre Cellini comme le frère de Fidelio! Donc, que Paganini soit loué comme le méritent ses belles actions, et qu'il soit désormais inviolable; il a été grand et généreux pour vous, plus généreux que pas un roi, pas un ministre, pas même un artiste de l'Europe, les véritables rois du monde. Il vous a appuyé de son approbation et de sa fortune; c'est maintenant plus que jamais qu'il faut louer ce grand musicien qui vous tend la main.

      »Cher Berlioz, je vous embrasse bien tendrement, dans toute la joie de mon cœur.

      »Jules Jamin.

      »20 décembre, 1838.»

      Paganini n'avait pas affaire à un ingrat.

      D'abord, Berlioz lui dédia sa symphonie de Roméo et Juliette; puis, il traduisit l'ode italienne que le poëte Romani avait écrite en l'honneur du roi des violonistes, après un concert donné par ce dernier au théâtre Carignano, à Turin. L'ode de Romani est peu connue, la traduction en est oubliée tout à fait; ce poétique morceau méritait un meilleur sort. On en jugera par les strophes suivantes:

      «Oh! qui me rendra un seul des sons fugitifs que verse ton archet comme un torrent de splendeurs éthérées? Peut-être, ô souffles des airs, de ces lieux où ils se perdraient épars, les reportez-vous au ciel conservateur de toute mélodie? Oh! dans quel astre d'amour les déposez-vous afin de rendre et plus douces et plus joyeuses les évolutions de sa sphère radieuse? Oh! laissez-moi me désaltérer dans cette source pure d'immortelle harmonie? que je m'y plonge et que j'y nage