Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz

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Название Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор произведения Hector Berlioz
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066088897



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Que le souvenir nous charme encore, puisqu'il est tout ce que nous pouvons conserver. Lui, du moins, sera impérissable, ô Paganini! et les symphonies divines échappées de tes cordes émues retentiront dans nos cœurs et dans notre mémoire comme un bien qui n'est plus, mais que l'on sent toujours!...

      »Les nations qui sont par delà les Alpes et par delà les mers s'étonnaient, et la mère des chants, l'Italie elle-même, au bruit de ces mélodies inouïes, s'étonnait, comme firent les Thraces, quand, guidés par la lyre divine, faveur d'une déesse, ils serrèrent entre eux les premiers nœuds fraternels. Oui, tous étaient frappés d'étonnement, car des mains habiles et célestes avaient posé si loin les bornes de l'art, qu'il ne semblait plus possible de les reculer. Tous admiraient la puissance créatrice et souveraine donnée à un archet, et quand ils voulurent comparer, toutes les cordes qui, jusque-là, avaient vibré devant eux, leur parurent sourdes et inertes....

      »Tout ce que la terre et le ciel et les flots ont de voix, tout ce que la douleur, la joie et la colère ont d'accents, tout est là dans le sein de ce bois creux; c'est la harpe qui frémit et mêle ses soupirs aux nocturnes soupirs de la lyre d'Éolie, aux plaintes du vent parmi les branches et les feuilles; c'est le pâtre entonnant sa chanson rustique en rassemblant son troupeau; c'est le ménestrel invitant à la danse; c'est la vierge se plaignant de ses peines à la lune silencieuse; c'est le cri d'angoisse d'un cœur séparé du cœur qu'il aime; c'est le badinage, c'est le charme, c'est la vie, c'est le baiser....

      »Sur cette corde sont d'autres notes.... que peut seul connaître le génie audacieux qui la tend et la modère; mais l'Italie un jour avec transport les entendra...»

      Nous avons emprunté ce morceau à un recueil, la Gazette musicale, qui fut, pour ainsi dire, le journal officiel de Berlioz, pendant vingt ans.

      La Gazette musicale, fondée en 1834 par l'éditeur Schlesinger et continuée depuis par les frères Brandus, venait à un moment propice; cette année était une année féconde pour l'art. Victor Hugo publiait Claude Gueux dans la Revue de Paris, Alfred de Musset jetait au vent les pages légères de Fantasio, Halévy donnait à l'Opéra-Comique les Souvenirs de Lafleur et surveillait à l'Opéra les répétitions de la Juive, Ingres peignait les portraits de M. Bertin et du comte Molé, Jules Janin passionnait Paris avec ses feuilletons étincelants, un journal littéraire, le Protée, paraissait sous les auspices de Louis Desnoyers et de Léon Gozlan, que les compositeurs d'imprimerie ne connaissaient pas bien encore; car ils écrivaient ainsi son nom: Gorian ou Gozean. La Gazette musicale obtint tout de suite un vif succès, mêlé de scandale. Le gérant de la Gazette, M. Schlesinger, fut attaqué dans une salle de concert par un élève de M. Herz, nommé Billard, et un duel s'ensuivit; M. Billard fut atteint au bas ventre; heureusement que la balle, amortie, ne produisit qu'une violente contusion.

      Les articles de Berlioz dans la Gazette musicale sont nombreux; nous signalerons spécialement le compte rendu de la première représentation de l'opéra des Huguenots, qui devait s'appeler primitivement la Saint-Barthélemy, et dont le rôle de basse, illustré par Levasseur, devait être confié à Serda. Pendant les répétitions, on ne croyait guère au succès de l'ouvrage; le chef d'orchestre s'arrêtait souvent pour dire à Meyerbeer:—Ce passage-là n'a pas le sens commun.—Eh bien! répliquait Meyerbeer de sa voix flûtée et avec un léger accent gascon, si ma musique n'a pas le sens commun, c'est qu'elle en a un autre[25].

      En fait de critique, on a généreusement prêté à Berlioz les opinions les plus saugrenues; il aimait les Huguenots, il aimait Guillaume Tell; il n'a jamais écrit sur le Pré aux Clercs le fameux article qu'on lui a tant reproché. En veut-on la preuve? Qu'on se donne la peine d'ouvrir le Journal des Débats du 15 mars 1869, Jules Janin s'y avoue coupable du méfait dont un innocent, pendant un quart de siècle, a été victime:

      «Certains critiques ont reproché à Berlioz d'avoir mal parlé d'Hérold et du Pré aux Clercs. Ce n'est pas Berlioz, c'est un autre, un jeune homme ignorant et qui ne doutait de rien en ce temps-là, qui, dans un feuilleton misérable, a maltraité le chef-d'œuvre d'Hérold. Il s'en repentira toute sa vie. Or cet ignorant s'appelait (j'en ai honte!) il faut bien en convenir... Monsieur, Jules Janin.»

      Malgré cette déclaration formelle, on trouvera encore des obstinés qui parleront avec horreur du feuilleton sur le Pré aux Clercs.

      Mais Berlioz n'aimait pas Mozart?

      Il ne l'aimait pas?... Nous allons citer ses propres paroles au sujet d'Idoménée: «Mozart... Raphael!... Quel miracle de beauté qu'une telle musique! comme c'est pur! quel parfum d'antiquité! C'est grec, c'est incontestablement grec, comme l'Iphigénie de Gluck, et la ressemblance du style de ces deux maîtres est telle dans ces deux ouvrages qu'il est vraiment impossible de retrouver le trait individuel qui pourrait les faire distinguer[26]...» En fouillant dans la collection du Journal des Débats, nous rencontrerions bien d'autres témoignages de la fausseté des sentiments attribués au réformateur musical que M. Ingres et bien d'autres considéraient comme un monstre: immanissimum et foedissimum monstrum. Une fois pour toutes, établissons que Berlioz ne prétendait nullement au rôle que certains compositeurs ont tenu depuis. Il ne se vantait pas d'être le seul de son espèce et ne croyait point qu'avant lui, la musique fût une science ignorée, ténébreuse, inculte; loin de renier les anciens, il se prosternait avec vénération devant les dieux de la symphonie, il brûlait devant leurs autels l'encens le plus pur. Son unique prétention (et elle nous paraît justifiée) était de continuer la tradition musicale en l'agrandissant, en l'améliorant, grâce aux ressources modernes: «J'ai pris la musique où Beethoven l'a laissée», disait-il avec quelque orgueil à M. Fétis.—Il y avait du vrai dans cette assertion.

      Dès 1835, les journaux annoncèrent que Berlioz s'occupait d'écrire un opéra sur un livret d'Alfred de Vigny; il s'agissait de Benvenuto sans doute, qui ne parut sur la scène que trois ans plus tard. En France, tout compositeur qui n'aborde pas le théâtre est condamné à l'obscurité; Berlioz se rendait bien compte de cet axiome et cherchait à se produire dans la musique dramatique. Un instant, il obtint le poste de directeur des Italiens[27]; mais la presse opposante cria au favoritisme et répandit le bruit que M. Bertin, des Débats, avait fait obtenir à son feuilletoniste le sceptre directorial, pour que mademoiselle Louise Bertin, qui composait, elle aussi, fît jouer, salle Ventadour, les ouvrages qu'on lui refusait ailleurs. Devant cette malveillance caractérisée, Berlioz se retira; il n'avait pas trop à se plaindre du Gouvernement qui lui commandait tantôt un Requiem, tantôt une Marche funèbre et triomphale, toutes les fois qu'il était question de célébrer les victimes de Juillet.

      Le Requiem fut exécuté dans diverses villes de France, notamment à Lille, d'où Habeneck envoya à l'auteur une lettre de félicitation[28]. Mais ce n'étaient là que des succès relatifs. La grosse partie allait se jouer à l'Opéra, où les études de Benvenuto Cellini étaient poussées avec activité. Le soir de la première représentation, une horrible cabale fut organisée contre la pièce; le parterre siffla, grogna, hurla; les ennemis de la famille Bertin imitèrent les cris des animaux les plus divers pour faire payer à l'infortuné musicien l'honneur qu'il avait d'écrire dans une feuille ministérielle. Où la politique va-t-elle se nicher! Duprez, habituellement si applaudi, ne réussit pas à conjurer l'orage; madame Stoltz et madame Dorus-Gras eurent beau être charmantes, on leur tint rigueur; les musiciens de l'orchestre s'associèrent au ressentiment du public. Deux d'entre eux, pendant les répétitions, avaient été surpris jouant l'air J'ai du bon tabac, au lieu de jouer leur partie.

      Vaincu dans cette bataille inégale, l'auteur de Benvenuto ne se découragea point; il avait la foi qui transporte les montagnes. Dès 1842, il commença par la Belgique la série de ces voyages à l'étranger qui furent pour lui la compensation et la revanche des insuccès parisiens. Si la France résistait au génie de Berlioz, l'Allemagne, la Russie, la Suisse, le Danemark pressentaient chez ce lutteur incompris une force bizarre et peut-être nouvelle: ainsi Cologne écoutait attentivement l'ouverture des Francs Juges, Mayence et Leipzig ne tardaient pas à acclamer le même morceau. Romberg, premier violon