Название | Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868 |
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Автор произведения | Hector Berlioz |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088897 |
Le faux Pierre Ducré ressentit quelque amertume de ce succès calomnieux pour ses œuvres antérieures. L'Enfance du Christ, complétée et remaniée, fit recette à la salle Herz, pendant plusieurs soirées de suite[40]. Ce triomphe ne consola pas Berlioz du second échec que Benvenuto venait de subir à Londres, où les partisans de la musique italienne et de la vieille Société philharmonique dominaient encore. Le public de Weimar fut d'un avis contraire à celui du public anglais. Benvenuto, à Weimar, prit une revanche éclatante de ses autres déconvenues. Berlioz, étant venu à la représentation, on le célébra en langue allemande, en français, et même en latin. Nous avons découvert les paroles d'un toast, mis en musique par Raff, et chanté en chœur par l'élite des Weimarquois: c'est à pouffer de rire:
Nostrum desiderium
Tandem implevisti:
Venit nobis gaudium
Quia tu venisti.
Sicuti coloribus
Pingit nobis pictor;
Pictor es eximius,
Harmoniæ victor.
Vives, crescas, floreas,
Hospes Germanorum
Et amicus maneas
Neo-Wimarorum[41].
Vives, crescas, floreas, répétait le chœur des convives, en buvant du vin de Champagne: il n'y a que les Allemands pour s'amuser de la sorte. Berlioz, triste et préoccupé, ne retrouvait un peu de gaieté que hors de chez lui, au milieu de ces populations étrangères qui lui décernaient des honneurs dignes d'un proconsul mené au Capitole. Il venait de perdre sa femme, Henriette Smithson, et de se remarier avec mademoiselle Récio, l'ex-cantatrice de Bruxelles, dont le talent n'était pas toujours à la hauteur de l'ambition, si nous en jugeons par ce fragment de correspondance: «Plaignez-moi, mon cher Morel; Marie a voulu chanter à Mannheim et à Stuttgart et à Heckingen. Les deux premières fois, cela a paru supportable, mais la dernière!... et l'idée seule d'une autre cantatrice la révoltait[42]...»
Indépendamment de ses ennuis privés, Berlioz ne manquait pas non plus de tracas officiels; ainsi, à l'Exposition de 1855, on lui infligeait la charge de membre du jury, sous prétexte qu'à l'Exposition de Londres il avait rempli le même office; on souffrait que, la veille de l'ouverture, il organisât un immense Te Deum à Saint-Eustache; mais, pour la fermeture, on lui commandait une cantate, l'Impériale:
Du peuple entier les âmes triomphantes
Ont tressailli, comme au cri du destin,
Quand des canons les voix retentissantes
Ont amené le jour qui vient de luire enfin!...
Si l'Impériale passa comme une étoile filante, le Te Deum marqua davantage; quand on grava ce gigantesque morceau, les rois de Hanovre, de Saxe, de Prusse, l'empereur de Russie, le roi des Belges, la reine d'Angleterre, s'empressèrent de prendre part à la souscription: Beethoven avait été moins heureux, lorsque, pour faire éditer sa Messe, il ne rencontra que trois souscripteurs; deux riches habitants de Vienne et... Louis XVIII. Au début du règne de Napoléon III, on ne jouait nulle part de la musique de Berlioz, c'est vrai; seulement, il faut bien le reconnaître, le compositeur était comblé d'honneurs. Il avait reçu une avalanche de décorations; l'Aigle rouge à Berlin, l'ordre de la maison Ernestine à Weimar, la croix de la Légion d'honneur; il était correspondant de plusieurs sociétés, membre honoraire du Conservatoire de Prague, que dis-je? il faisait partie de l'Académie... de Rio-de-Janeiro[43]. L'Institut—le vrai, celui qui siège à l'extrémité du pont des Arts—ne pouvait manquer de s'attacher un homme si dédaigné par la vile multitude et si favorisé par les souverains. Un des intimes de Berlioz, l'intelligent facteur d'orgues M. Édouard Alexandre, s'employa à soutenir la candidature de son ami. Il s'agissait de conquérir la voix d'Adam; or, l'auteur du Chalet n'avait guère de points de contact avec l'auteur de la Symphonie fantastique et le rapprochement était difficile: «Voyons, voyons, dit M. Alexandre à Berlioz, qui ne voulait se résoudre à aucune démarche; réconciliez-vous avec Adam; que diable! c'est un musicien; vous ne pouvez nier cela?...—Aussi, je ne le nie point, dit l'autre; mais pourquoi Adam, qui est un grand musicien, s'obstine-t-il à s'encanailler dans le genre de l'opéra-comique; s'il voulait, parbleu! il ferait de la musique comme j'en fais!» M. Alexandre ne se découragea pas, et, se rendant chez Adolphe Adam: «Mon cher ami, vous donnerez votre voix à Berlioz, n'est-ce pas? Vous avez beau ne pas vous entendre avec lui, vous savez aussi bien que moi que c'est un musicien...—Un grand musicien certes (et le petit Adam rajusta ses lunettes sur son nez), un très grand, très grand... Seulement, il fait de la musique ennuyeuse; s'il voulait, il en ferait d'autre... il en ferait tout aussi bien que moi!...»
Ce fut une scène digne de Molière[44].
«Mais, parlant sérieusement, dit Adam, Berlioz est un homme d'une grande valeur. Je vous donne l'assurance, que, après Clapisson, auquel nous avons tous déjà promis, Berlioz aura le premier fauteuil vacant.»
L'institut nomma Clapisson.
Hélas! bizarrerie du sort: Adam mourut. Le pays fit une grande perte. Le premier fauteuil vacant fut le sien et ce fut Berlioz qui l'occupa. Il fut élu par dix-neuf voix contre six données à Niedermeyer, six à Charles Gounod et deux à Panseron. MM. Leborne, Vogel et Félicien David s'étaient présentés aussi. Ce dernier échec de Félicien David contre Berlioz rendit Azevedo, ce critique de mauvais aloi, furieux contre Berlioz[45].
De 1856, année où nous sommes arrivés, à 1863, année des Troyens, nous ne distinguons pas dans la vie du compositeur un grand nombre d'événements importants. Il organise, chaque année, un festival à Bade; il y fait représenter son ravissant opéra de Béatrice et Bénédict; la jeunesse de la ville de Gior (en allemand: Raab) lui envoie une adresse de félicitation; les artistes du Conservatoire de Paris lui font une ovation, peu de temps après le Tannhäuser; le Grand-Théâtre de Bordeaux s'avise de jouer Roméo et Juliette; voilà tout, ou à peu près tout. Ah! j'oubliais!... Il surveille les répétitions d'Alceste; quoique inspirant peu de confiance à l'administration de l'Opéra, on le juge capable de remplir cette besogne d'obscur manœuvre.
Pendant ce temps, un nouveau théâtre lyrique s'élevait sur les rives de la Seine, et les faiseurs de partitions, si délaissés d'ordinaire, commençaient à espérer qu'on allait enfin s'occuper d'eux. Le livret des Troyens, lu dans divers salons, y avait rencontré une approbation unanime; même l'empereur Napoléon III, ayant entendu parler de la chose, invita Berlioz à dîner; mais on causa de la pluie et du beau temps: «Je me suis splendidement ennuyé!» écrivit le lendemain le convive de Sa Majesté Impériale.—A un autre dîner mensuel où se réunissaient MM. Fiorentino, Nogent-Saint-Laurens, Édouard Alexandre, Paul de Saint-Victor, Carvalho, on s'inquiéta plus sérieusement de Didon et d'Énée; M. Carvalho, le directeur du Théâtre-Lyrique, n'avait pas besoin d'encouragement; il connaissait l'œuvre, il l'admirait et il comptait bien la révéler aux masses, comme il avait révélé Faust.
La première représentation des Troyens fut assez calme; les spectateurs qui se souvenaient de Benvenuto Cellini s'attendaient à des péripéties; le divertissement de la Chasse causa seul quelques rires, dus plutôt à l'interprétation de ce ballet qu'aux modulations hardies de l'orchestre. En revanche, l'air de Didon au premier acte, le fameux septuor et le duo: Nuit d'ivresse et d'extase... allèrent aux nues, alle stelle. Certains opéras modernes contiennent des morceaux plus soutenus, plus amples, que le septuor des Troyens, mais aucun de ces morceaux ne peut soutenir la comparaison avec lui au point de vue du sentiment pittoresque et de l'originalité poétique. C'est un diamant qui brille d'un éclat inouï; cela ne ressemble ni à la Bénédiction des poignards, ni à la Sérénade de Don Juan, ni au trio de Guillaume Tell, ni à la pastorale du Prophète; cela tient de la symphonie et du drame, de l'ode pindarique