Название | L'Écuyère |
---|---|
Автор произведения | Paul Bourget |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066081218 |
—«Voilà!...», dit-il avec le rire d'enfant qu'il savait avoir et qui prenait plus de grâce encore sur sa bouche hardie, après qu'il venait de montrer une si intrépide audace. Il secoua sa main bandée et il ajouta: «Dans huit jours, il n'y paraîtra plus...» Puis, regardant autour de lui: «Il faut que je retrouve mon cheval, si je veux pouvoir vous raccompagner... Bon. Il s'est arrêté à brouter l'herbe au bout de l'allée. Il n'a pas volé son nom: Galopin. Le temps de le rattraper, pour qu'il ne lui passe pas par la tête l'idée de vagabonder à sa fantaisie, je reviens vous mettre en selle... N'ayez pas peur, madame, je ne vous perdrai pas de vue...»
—«Mais, je n'ai pas peur, monsieur...», dit miss Campbell avec un peu de rougeur à ses joues. Les premières minutes de saisissement étaient passées et la fierté, qui faisait le trait dominant de son caractère, reparaissait, en même temps qu'une timidité, plus farouche encore que d'habitude. Elle se sentait agitée d'une émotion si étrange, si inusitée, qu'elle lui était physiquement douloureuse, et elle éprouvait un besoin presque sauvage: fuir la présence de celui qui lui donnait cette émotion. Elle détacha le Rhin, qui se laissa faire, non sans avoir allongé ses lèvres, dans un dernier mouvement de convoitise, vers une belle pousse toute nouvelle, qu'il se réservait pour un suprême régal. Elle se mit à rouler tellement quellement la courroie, cause indirecte de son étonnante aventure. Elle assura davantage les sangles demeurées intactes, en avançant de deux trous les ardillons. Ce travail achevé, elle approcha son cheval d'un tronc coupé, s'y appuya du pied, et sauta en selle lestement, non sans s'être assurée que le jeune homme ne la regardait pas. Elle le vit qui s'approchait prudemment de sa bête à lui; mais, à l'instant où il étendait la main pour saisir la bride, le cob fit une dérobade, trotta environ vingt-cinq mètres et se remit à brouter. Le jeune homme s'avança de nouveau, de ce même pas tranquille qui devait rassurer le cheval. Il n'était plus qu'à deux pas, et il allait lever son bras. Une nouvelle fuite du rusé animal mit vingt-cinq autres mètres entre eux. Maligny se retourna pour tenir sa promesse et se rendre compte qu'il restait à portée de la jeune fille. Il continuait de la prendre pour une jeune femme... Elle n'était plus à la place où il l'avait laissée... Il se demandait, non sans une certaine inquiétude, ce qu'elle était devenue, quand il entendit une voix pousser un petit cri d'appel, bien différent de celui dont la détresse l'avait fait accourir au galop. C'était Hilda qui, ayant coupé à travers bois, débouchait, montée sur le Rhin. Elle passa juste à côté du cheval échappé, et, avec son adresse d'écuyère professionnelle, accrocha, du manche recourbé de sa cravache, les rênes pendantes. L'animal, pris à l'improviste, essaya de se débattre une seconde! Tout de suite, un à-coup du mors, bien donné, lui fit sentir que sa résistance était inutile, et il suivit docilement la jeune fille qui le ramena vers son maître, en disant:
—«Il est tout penaud de s'être laissé prendre... Quand on est sur un autre cheval, ils ne se défient pas et on les rattrape toujours. Vous voyez qu'il ne se défend plus...» Comme Jules, à cause de sa main malade, avait un peu de mal à remonter: «Je vous le tiens», insista-t-elle, du ton dont elle eût parlé à une des élèves en équitation que son métier lui faisait, parfois, conduire au Bois. Et quand il eut, tant bien que mal, chaussé ses étriers et ajusté ses rênes, elle ajouta: «Il ne me reste, monsieur, qu'à vous remercier du fond du cœur... Sans vous, il est très probable que cet assassin m'aurait tuée...»
—«Et sans vous, madame, répondit le jeune homme, «il est très certain que je devrais rentrer à pied et peut-être aurais-je perdu ce mauvais drôle de Galopin... Mais,» continua-t-il avec la même grâce insinuante, «vous me permettrez de vous donner mon adresse, pour que vous disposiez de moi à votre gré comme témoin, si l'on arrête ce brigand, car on l'arrêtera, je l'espère... J'ai son signalement si net, ici.» Il montrait son front d'une main. De l'autre il avait tiré de la poche de son gilet un petit étui en argent où Hilda put voir, gravée, une couronne. Elle prit la carte mince qui portait simplement: Le comte Jules de Maligny, et au-dessous: 38, rue de Monsieur. Le jeune homme n'avait pas fait cette offre de témoignage ni offert sa carte au hasard. Il avait vu là une occasion trop tentante d'apprendre lui-même le nom de la jolie cavalière, sans paraître trop curieux, et il saisissait ce prétexte. Il venait, durant ces quelques instants, de la détailler tout entière du regard, avec la perspicacité d'un Parisien de vingt-cinq ans qui a trop vécu déjà dans les mauvais milieux pour se tromper sur la condition sociale d'une femme. Il n'avait pu classer celle-ci dans aucune catégorie distincte. Montant à cheval seule, au Bois, le matin, elle n'était pas une jeune fille... Etait-elle une jeune femme un peu excentrique, qui s'amusait à se promener librement, sans écuyer? Sa prononciation la révélait étrangère. Mais l'extrême sobriété de sa toilette et son air de réserve ne s'accordaient pas avec le rien d'effronterie que suppose un trop hardi dédain des convenances... Appartenait-elle au demi-monde? Ces mêmes façons ne rendaient pas cette hypothèse plus probable... Jules était, d'autre part, trop connaisseur des choses de sport pour ne pas avoir aussitôt observé que son inconnue montait parfaitement bien. C'était une énigme de plus, que ce talent équestre qui supposait l'habitude quasi quotidienne du plus coûteux des divertissements. Le désir de savoir à quoi s'en tenir, autant, pour le moins, que l'impression produite sur lui par la beauté de la jeune fille, le poussa donc à insister encore,—ruse bien simple, mais qui lui parut d'un effet infaillible: «Oui,» reprit-il, «on l'arrêtera... C'est un exemple nécessaire. Il y a trop longtemps que l'on se plaint des rôdeurs et des rôdeuses à mine sinistre qui encombrent ces allées, autrefois si sûres... Mais on n'avait pas encore entendu dire qu'en 1902 l'on risquât d'être dévalisé et assassiné en plein Bois de Boulogne, à dix heures du matin, comme si l'on était en 1825 sur les routes de Naples ou de Sicile. Oui, il faut que la plainte soit déposée aussitôt. Il le faut, pour nous tous... Vous êtes encore trop émue, madame, pour ne pas désirer rentrer au plus vite. Si vous m'y autorisez, j'irai chez le commissaire de police le plus proche, à votre lieu et place... en votre nom.»
Hilda Campbell hésita une seconde. Elle comprit bien que son sauveur employait ce moyen détourné pour ne pas se séparer d'elle ainsi. Cette insistance, dont le but évident était contenu dans ces deux derniers mots: «Votre nom,» trahissait un intérêt commençant qui lui fit soudain chaud au cœur. Il eût été naturel qu'elle cédât aussitôt à cette impression. Tout au contraire, un irrésistible instinct de défense, le signe, chez la femme, le plus certain d'un début d'amour, la fit se dérober d'abord à l'inquisition déguisée du jeune homme et à son propre