Название | L'Écuyère |
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Автор произведения | Paul Bourget |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066081218 |
Allait-il apercevoir à nouveau la robe alezane du cheval de la mystérieuse enfant? Il était bien décidé, dût-elle penser qu'il abusait de la situation, à la suivre cette fois, s'il la rencontrait... Elle devait avoir eu, de son côté, un pressentiment de cette poursuite, et son désir passionné d'éviter Maligny alternait sans doute, chez elle, avec un désir, non moins passionné, de le revoir. Il la reconnut, en effet, à la hauteur du lac supérieur, qui avait mis son cheval au pas, et elle regardait sans cesse derrière elle. A son tour, elle reconnut le jeune homme. Elle rougit si profondément, qu'à cette distance il put voir la pourpre du sang incendier ce délicat visage, dont il ne distinguait pas les traits. Cependant, elle ne changea pas aussitôt l'allure paisible qu'elle venait d'adopter. Visiblement, elle ne voulait pas sembler craindre l'approche du poursuivant, qui l'eut bientôt rejointe. Il la salua en la croisant et, l'ayant dépassée, se trouva singulièrement embarrassé. S'il revenait en arrière, il avait par trop l'air de l'épier. S'il poussait de l'avant, il la perdait tout à fait. Un seul procédé s'indiquait: obliquer vers la Muette, toute voisine, surveiller la porte cinq minutes—c'était le temps qu'il fallait à la jeune femme pour y arriver au pas.—Ces cinq minutes écoulées, si elle n'avait pas paru, il gagnerait la Porte-Dauphine, en coupant au plus court de toute la vitesse de sa bête, et il attendrait là, de nouveau.
—«Mais qui peut-elle être?...» se disait-il en exécutant la première partie de ce programme, puis la seconde. «Voilà ce que c'est que de jouer trop cher et d'être emmené loin de Paris tout l'hiver, par une maman inquiète!...» Jules, en effet, avait dû, au mois d'octobre précédent, avouer de très grosses pertes au baccara. Sa mère avait mis, pour condition au règlement de cette dette, que son fils passerait l'hiver avec elle à La Capite, une grande terre qu'ils possédaient en Provence, à mi-chemin entre Hyères et Saint-Tropez. Mme de Maligny était veuve. Elle adorait son enfant unique, ce garçon généreux intelligent, charmant, qu'elle avait follement gâté,—on saura, tout à l'heure, pourquoi,—mais les légèretés de ce caractère l'inquiétaient, maintenant, jusqu'à la torture. Le sang des Maligny, de ces Parisiens à moitié Slaves, lui était connu par une triste expérience: son défunt mari l'avait à moitié ruinée. Elle avait donc imaginé ce moyen d'enlever Jules plusieurs mois aux tentations de Paris. Par la même occasion, elle surveillerait d'un peu plus près une exploitation d'où dépendait le meilleur de leurs revenus. Ils étaient rentrés rue de Monsieur, dans le vieil hôtel familial, depuis trois semaines, et le jeune homme, qui s'était parfaitement amusé dans cet exil rustique,—il s'amusait toujours, et de tout, et partout,—commençait, malgré de solennelles promesses, à respirer avec gourmandise les effluves retrouvés du boulevard et des Champs-Elysées. «Je ne connais plus,» continuait-il, «les nouvelles recrues du bataillon de Cythère, comme disent les journaux que lisent ces dames!... C'en doit être une...» Est-il besoin de commenter cette formule, qui prouvait dans quelle variété le jeune homme classait définitivement la gracieuse enfant à laquelle il venait de rendre un si courageux service et si spontané? «Mais, alors, pourquoi ne m'a-t-elle pas donné son nom?... Pourquoi?... Son monsieur est peut-être jaloux... Peut-être ne veut-elle pas qu'il sache qu'elle est sortie ce matin, et seule... Dieu sait avec qui elle avait rendez-vous, quand elle a été attaquée par le chemineau!... En tous cas, le monsieur, si monsieur il y a, fait rudement les choses. Il n'a pas lésiné sur le cheval. Quelle admirable bête, et comme cette petite s'y tenait!» Hilda était déjà cette petite! «C'est une Anglaise ou une Américaine. Il n'y a que ces femmes-là pour avoir cette souplesse et cette énergie. C'est égal, pour un joli début d'histoire, c'est un joli début... Et maman qui m'a ramené à Paris avec l'idée de me marier! Si elle savait!... Il faudra expliquer les coupures de ma main. Bah! je trouverai. J'y penserai plus tard... Pour le moment, la grande affaire, c'est de ne pas manquer ma Dulcinée, puisque je joue les Don Quichotte, maintenant... Pourquoi diable a-t-elle paru si contrariée à l'idée de déposer une plainte?... Elle veut consulter? Mais qui? Elle aura eu honte de mentionner un protecteur. C'est encore très anglo-saxon, cela... Bon! je la vois... Oui, c'est elle... Cette fois, je saurai qui elle est, ou je ne m'appelle plus Maligny...»
L'innocente et farouche écuyère arrivait, en effet, juste à ce moment où Jules portait sur elle, dans sa pensée, un jugement qui l'eût consternée, si elle avait pu en connaître les termes et les comprendre. Elle approchait de la Porte-Dauphine, en longeant le trottoir de droite, au lieu de suivre l'allée cavalière, à gauche,—toujours dans le même désir d'échapper aux interrogations des habitués des Poteaux, qui la connaissaient. Maligny, lui, se tenait dans cette allée. Il passait, entre eux deux, tant de voitures et tant d'automobiles, dans cette avenue, la plus fréquentée de Paris à onze heures du matin, au printemps, que miss Campbell ne vit pas son sauveur, déjà transformé, de par les tristes lois de la brutalité masculine, en un suborneur. Elle franchit la grille au trot allongé de son cheval, contourna la petite gare, toujours à droite, et longea le boulevard Flandrin, qui longe lui-même la voie du chemin de fer. Maligny, qui venait par derrière, put de nouveau constater son talent équestre, dans une bataille contre son cheval, qui s'effara, cette fois, au sifflement d'une locomotive. Le Rhin, tout à l'heure si paisible, se défendit, pendant deux minutes, avec la sauvagerie d'une bête trop récemment débarquée, qui se sent sur le chemin de son écurie. L'adroite fille en eut pourtant raison, et, comme si de rien n'eût été, elle poussa l'animal, redevenu sage, dans la rue du Général-Appert, dans celle de la Faisanderie, dans celle de Longchamp, toujours sans donner aucun signe qu'elle remarquât le jeune homme, dont le cheval emboîtait le pas au sien, à trente mètres à peine. Il avait bien un peu de honte de son indiscrète chasse, mais le sort en était jeté. Il voulait savoir... Il la vit, enfin, qui tournait par la rue de Pomereu et qui s'engageait dans l'espèce d'impasse sur l'entrée de laquelle une grande pancarte transversale portait écrits ces mots: R. Campbell, horse dealer. L'insulaire n'avait pas daigné les traduire. La pensée que sa «Dulcinée»—comme il l'avait appelée mentalement—pût être la fille de ce marchand de chevaux,—par hasard, il le connaissait seulement de nom,—ne traversa pas une seconde l'esprit de Jules. Il pensa qu'elle avait son cheval en pension là, et il attendit qu'elle sortît, en allant et venant au milieu des embarras de la rue de Longchamp, les yeux sans cesse fixés sur l'entrée de la rue de Pomereu. Cinq minutes, dix minutes, vingt minutes s'écoulèrent ainsi. La jeune fille ne reparaissait pas.
—«Elle se sera défiée,» se dit-il, «et défilée... Elle aura fait venir une voiture et sera partie par l'autre extrémité, celle qui donne sur la rue Mérimée...» Il venait de constater cette particularité. «N'importe. J'ai mon point de repère, maintenant... Avec un louis, un des garçons de l'écurie Campbell me donnera tous les tuyaux... Pour l'instant, allons nous faire panser la main. Elle commence à me faire très mal et mon poignet a enflé... Cette petite Anglaise est très jolie. Tout de même, je n'aimerais pas beaucoup à devenir manchot, fût-ce pour ses beaux yeux!...»
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